L’actualité à l’école

L’actualité violente perturbe le cadre scolaire, y fait surgir l'émotion, déstabilise les acteurs et complexifie la pratique enseignante.
Une formation de l'ISP-Faculté d'éducation visait à aider les enseignants, habitués « gérer le froid », à trouver la bonne posture réflexive et à éduquer à l'esprit critique pour mieux « gérer le chaud »

Nicole Priou

Quand l’actualité percute le monde de l’école : quelles éducations ? Voilà le thème de la journée d'étude proposée le 30 mars 2019 par l'ISP-Faculté d'Education, structure de l'Institut catholique de Paris chargé de former les éducateurs. Une question brûlante pour bien des enseignants. Une soixantaine d'entre eux ont bénéficié d'une approche pluridimensionnelle très éclairante du sujet : questionnements philosophique et anthropologique, mise en perspective historique, outils sociologiques, éclairages issus des sciences de l’information et des sciences de l’éducation.

En prolongement, les temps d’ateliers et les ressources documentaires proposés pouvaient les aider à choisir et construire des balises pour mieux faire face à l’incursion – parfois sauvage – de l’actualité dans les espaces scolaires : une irruption source d’ « émotion », mot fréquemment utilisé dans les diverses interventions.

Dans son approche historique Emmanuel Saint-Fuscien, Chercheur, EHESS, fait bien la différence entre «l’événement qui percute et l’actualité qui s’invite ». Avec les attentats de Charlie Hebdo et du Bataclan on est dans le choc de l’événement qui « se reçoit et se partage dans un large champ d’émotions ». L’événement implique une rupture de temporalité et une perte de repères. Il impacte le présent, la vision du passé et la perception du futur.

François Moog, doyen de l'ISP.

Or – comme le rappelait François Moog, doyen de l’ISP Faculté d’éducation, en ouverture de cette journée d’étude- l’école n’est pas préparée à cela. Elle se pense habituellement comme « un sanctuaire, un lieu où on est préservé de certains remous qui agitent la société ». L’actualité violente perturbe le cadre et déstabilise les acteurs. Parce que le contexte est rendu instable, la pratique enseignante devient de plus en plus complexe. D’autant –comme le soulignait Marlène Loicq, docteur en sciences de l’information Université Paris Créteil formatrice en ESPé, qu’en formation initiale « on ne forme pas les enseignants à « gérer le chaud » on les forme à « gérer le froid ». Comment se débrouiller alors face aux émotions, parfois violentes, qui font irruption en classe ? Comment aider les élèves à adopter une posture de réflexivité qui les conduit à réfléchir avant d’agir, ou – comme le dirait Philipe Meirieu - à surseoir à l’impulsivité ?

Décrypter l'actu en maternelle

L'événement de la semaine raconté par Marlène Loicq

« Contexte : moyenne section de maternelle. L’enseignant travaille avec twitter pour faire écrire des énoncés courts à des enfants qui sont dans une phase de développement du langage. L’enjeu de la maternelle c’est le langage. Il est donc dans les clous de ce qui est demandé par les programmes . Chaque semaine les enfants s’interrogent en regroupement : « quelle est l’actualité de la classe ? qu’est-ce qui s’est passé cette semaine qui semble intéressant, qui mérite d’être partagé avec les parents, les autres classes ? » Ces enfants de quatre ans parlent entre eux et choisissent un événement. Puis, pour le partager, il faut construire la phrase avant de poster le message sur twitter. Cette semaine-là les enfants discutent, donnent leur avis et se mettent d’accord : ce qui fait événement cette semaine c’est que Charlotte s’est fait punir parce qu’elle a fait une grosse bêtise. Qu’est-ce qu’on va dire là-dessus ? Est-ce qu’on rentre dans le détail ? Comment on va tourner ça ? Là, on est déjà dans de la construction narrative élaborée. Et de fil en aiguille en discutant il y a finalement une petite fille qui dit « Charlotte, elle a été punie à l’école, et puis quand elle est rentrée chez elle , elle a été punie aussi, peut-être que ce n’est pas utile de partager ça avec tout le monde ? » De là on discute : pourquoi on partagerait cet événement-là ? qu’est-ce que ça ferait à la personne dont on parle ? qu’est-ce que ça ferait aux autres parents ? aux parents de Charlotte ?

Une occasion donc, avec ces enfants de quatre ans, de travailler ensemble sur ce qu’ils veulent pour cette petite société à eux qu’est leur école, sur ce qu’ils veulent comme société juste, empathique.

Et pour moi, là ça percute. On est dans le cadre : on travaille le langage, la production d’écrits, l’EMC et au-delà de tout ça il se passe quelque chose de plus : on amène l’enfant à réfléchir, pas seulement à sa position de futur citoyen : on développe aussi une posture de réflexivité qui, pour moi, est la base de ce qu’est l’éducation aux médias et à l’information : que l’élève en vienne à se questionner sur ce qu’il fait quand il fait quelque chose, sur ce qu’il comprend, sur ce que ça fait aux autres s’il le partage, sur ce que ça lui fait à lui dans son rapport à la société, aux autres . Et ça, on peut le faire avec des enfants de quatre ans. Et au-delà aussi, bien sûr. C’est certes compliqué de faire bouger l’école … mais on trouve parfois l’occasion de pépites qui donnent de l’espoir pour peu que l’on ne perde jamais de vue quelle école on veut, quel enfant on veut. »

 

"Pas si simple !"

Emilie Kochert, professeur d'histoire-géographie/ EMC, membre du Cercle de recherche et d’action pédagogiques (CRAP) 

La question des biais cognitifs en éducation aux médias et à l'information est centrale. L'EMI vise une lecture critique de l'information, enjeu et condition de l'exercice de la citoyenneté. La plupart des biais cognitifs sont connus des enseignants, cependant, la pensée critique vire parfois - lorsqu'ils sont mis face à un exercice - à l'esprit de critique et la recherche du piège. Et c'est particulièrement le cas lors d'un exercice qui leur demande de faire appel à leur pensée critique. C'est là-dessus que j'ai construit l'exercice de déclic critique qui a clôturé l'atelier : trouver dans un texte proposé 3 arguments montrant que l'information est vraie, ou trois arguments montrant qu’elle est fausse. Les participants sont partis du principe que si je les questionnais, la probabilité que les textes soient faux était plus grande que l'inverse. Nous avons donc travaillé sur les biais cognitifs : pour autant ils ne se sont pas eux-mêmes perçus comme victimes possibles de ces biais (ici l'association implicite).

En complément des ateliers où les participants ont pu mutualiser leurs pratiques, partager leurs questions et découvrir quelques repères utiles (analyse de vidéos, jeu des trois figures, repérage des biais à l’œuvre en EMI, usages de la littérature jeunesse ...) des pistes ont été proposées tout au long de la journée par les différents intervenants. François Moog, en ouverture, avait invité à s’intéresser à la dimension performative de la vérité et à transformer les savoirs en sagesse de vie. Marlène Loicq encourageait à développer chez les élèves une posture de réflexivité, posture qui peut se construire dès la maternelle (lire-ci-contre).

Pour Emmanuel Saint-Fuscien une vigilance est à exercer en permanence pour articuler l’individuel et le collectif en éduquant au lien social. Augustin Mutuale, Professeur ICP /ISP, rappelait avec insistance la nécessité d’oser discuter avec les élèves, et celle de former et de se former à la pensée critique en invitant l’école à se soumettre elle-même à l’épreuve de cette pensée critique.

Tous s’accordaient sur le diagnostic que  « là où ça percute les catégories anciennes éclatent » et deviennent caduques. Les différents acteurs sont donc tenus à « un impératif d’invention face à une configuration inédite ». Une chance pour l’école ?

Marlène Loicq

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