L’accompagnement, une posture éducative

Maela Paul, spécialiste de l’accompagnement, décrypte cette pratique qui conduit les personnes vers l’autonomie dans le cadre d’une relation authentique. Un processus éducatif qui peut participer à réenchanter l’École s’il est pratiqué de façon éthique.

 

En quoi l’accompagnement relève-t-il du registre éducatif ?

Maela Paul : Étymologiquement, le « pédagogue » est « celui qui accompagne l’enfant ». Dès son plus jeune âge, l’enfant attend qu’on prenne la main qu’il tend et que l’adulte lui demande : que veux-tu faire ? Comment vas-tu t’y prendre ? Il a besoin du regard, du questionnement bienveillant qui l’amène à se découvrir, lui révèle son potentiel. Cette posture, qui est celle de tout éducateur, est au cœur de l’accompagnement, qui peut se définir comme une situation de dialogue dans laquelle se déploie une réflexion qui vise l’émancipation des personnes. Dans cet échange, l’accompagné prend du recul face à sa situation, la questionne et trouve en lui-même les ressources pour la surmonter.

 

Quels bénéfices adultes et élèves peuvent-ils tirer de l’accompagnement dans un établissement scolaire ?

M. P. : L’accompagnement induit une manière spécifique d’être en relation particulièrement respectueuse car il s’agit d’accepter l’autre, tel qu’il est, et de lui reconnaître sa capacité à agir. Cette attitude gagne à s’exprimer de manière indifférenciée en direction des familles, d’enseignants ou de personnels en difficulté comme des élèves, à tout âge. Ceux qui ont été accompagnés intériorisent eux-mêmes cette posture et accroissent leurs compétences relationnelles. Un climat bienveillant s’instaure.
De plus, si l’enjeu éducatif de la modernité, tel que le pointe le philosophe Paul Ricœur, est bien « d’apprendre à se repérer dans un monde problématique », l’accompagnement propose un lieu d’exercice idéal pour problématiser et penser par soi-même.

Vous mettez en garde contre le risque de dévoyer l’accompagnement…

M. P. : Le risque principal est de confondre « accompagner » et « prendre en charge ». Or, priver une personne du libre arbitre qui la mène aux choix et aux décisions, c’est l’infantiliser et la déresponsabiliser. Ainsi, accompagner ne peut signifier instruire un dossier ou régler une situation en se substituant à la personne. L’impératif éthique suppose enfin que l’on ne se saisisse pas non plus d’une position hiérarchique pour imposer son point de vue.

Comment éviter cet écueil ?

M. P. : L’accompagnant n’est pas un expert détenteur de la Vérité. Au contraire, les vérités étant désormais plurielles, il est essentiel de faire dialoguer les subjectivités, tout en posant l’impératif éthique de leur égale dignité. Le tout dans une réciprocité de parole et d’écoute. C’est cet impératif éthique qui concourt à réenchanter le lien. Au-delà du rapport professionnel qui désigne des places, le lien est la mise en jeu d’une parole qui considère autrui comme un semblable, bien que différent, capable de répondre des situations qu’il rencontre.

 

Y-a-t-il des risques spécifiques pour les acteurs éducatifs ?

M. P. : J’interviens à l’École des cadres missionnés (ECM) auprès des cadres de l’enseignement catholique. Je suis aussi intervenue en Bretagne auprès de formateurs chargés d’enseignants en difficulté ou de professeurs qui suivent des élèves en difficulté. Ils sont souvent dans la recherche d’une alternative à la sanction. Ce regard qu’ils portent sur les personnes les prédispose à pratiquer l’accompagnement avec justesse.

Chacun (et a fortiori les éducateurs) est appelé à accompagner. La formation permet toutefois de lutter contre les « déformations professionnelles ». Le souci d’efficacité peut en effet conduire des enseignants à court-circuiter les processus d’autonomisation pour aller plus vite. De même, sous la pression de parents, des chefs d’établissement peuvent être conduits à traiter de manière trop expéditive un enseignant en difficulté, sans l’amener à réfléchir aux manières dont il pourrait faire évoluer sa pratique en ne renonçant pas à ses principes éducatifs. Globalement, l’urgence est l’ennemi de l’accompagnement, qui garantit une efficacité certes moins immédiate mais plus durable.

 

Dans quelles situations, l’accompagnement apparaît-il le plus pertinent ?

M. P. : L’accompagnement aide à vivre des passages délicats. Il peut donc concerner la fin de vie comme la succession des transitions que traversent des jeunes en construction. En fait, il peut intervenir à chaque fois qu’il y a une situation à surmonter.
Pour ma part, je suis venue à l’accompagnement à partir de la notion de créativité qui fonctionne comme une vague. Cette représentation pose alors la question de savoir comment faire, quand on est dans un creux. L’accompagnement m’est apparu comme un levier pour passer du creux de la vague au courage de la reprise…

Comment le mettre en œuvre ?

"L’accompagnement
m’est apparu
comme un levier
pour passer
du creux de la vague
au courage
de la reprise…"

Maela Paul

M. P. : Très simplement en proposant un rendez-vous, pour parler de ce qui a été repéré comme faisant difficulté. On formalise alors un contrat de communication. Il s’agit d’instaurer un échange pour que la personne trouve des moyens de faire évoluer une situation problématique. C’est l’accompagné qui signalera la fin de l’entretien lorsqu’il aura trouvé des pistes pour agir. On fixe alors un rendez-vous de débriefing, non pas dans une perspective de contrôle ou de vérification mais pour manifester à la personne que l’on s’intéresse aux ressources et aux stratégies qu’elle va mettre en place pour avancer.

 

Et dans les classes ?

 

M. P. : Auto-questionnement, auto-évaluation, auto-régulation… Une culture de l’accompagnement s’exprime dès que les enseignements visent à transmettre des stratégies d’auto-apprentissage.
Mais attention ! « l’auto » ne peut jamais aller sans le « co » : tout ce travail d’autonomisation doit s’inscrire dans une relation. Ce sont en effet les interactions avec l’éducateur-accompagnant qui font accéder les élèves à une dimension métacognitive et les aident à évaluer leurs propres forces et faiblesses. Développer les pédagogies coopératives, empreintes d’écoute et de questionnement, c’est aussi favoriser une forme d’accompagnement entre pairs. La particularité de l’accompagnement, sa dimension existentielle, c’est qu’il ne fait pas simplement travailler les accompagnés mais aussi les professionnels. Tout cela se joue dans l’intériorité des élèves et des accompagnants et les installe dans une présence plus authentique à autrui et au monde.

Propos recueillis par V. Leray

Savoir plus

Maela Paul forme des professionnels de l'accompagnement dans différents secteurs professionnels (éducation, formation, travail social, insertion, orientation, santé…), selon différentes modalités.

Elle est l’auteur de deux ouvrages : L'accompagnement : une posture professionnelle spécifique (L'Harmattan, 2004) et La démarche d'accompagnement (De Boeck, 2016).

Son site : www.maelapaul.com

Partagez cet article

>