Mis à jour le : 2 mars 2022 / Publié le : 12 avril 2019
Témoignages d’hôtes
Dix élèves (MNA, ex-MNA et français) scolarisés dans deux établissements catholiques, témoignent de leur parcours et de ce que la rencontre a provoqué en eux.
Propos recueillis par Noémie Fossey-Sergent
Ali, 19 ans, venu de Guinée, scolarisé en 3e Dima (Dispositif d'initiation aux métiers en alternance) et en UPE2A
« Je suis arrivé en France en septembre 2017, en passant par l'Italie.
Ma grand-mère, qui m'a élevé en Guinée, est décédée et je me suis retrouvé seul.
Je vis dans un appartement avec cinq autres personnes en demande
d'asile. Je me suis vraiment senti accueilli en France et je me sens bien au lycée. Plus tard, je voudrais devenir conducteur d'engins de travaux. »
Youssef, Noémie, Eulaly et Mendy, élèves français en 3e Dima
« Au début, quand on les a vus arriver dans la classe, on a eu un peu peur parce qu'on ne les connaissait pas. Maintenant, ils font partie de la classe, on rigole avec eux, ils nous apprennent des mots de leur langue. En fait, on est différents mais on aime s'amuser comme eux, on a les mêmes goûts, les mêmes envies. »
Oumar, 19 ans, venu de Guinée, élève en 3è Dima et en UPE2A
« Ma maman est décédée, mon père s’est remarié et j'ai eu beaucoup de problèmes avec sa nouvelle femme. J’ai dû quitter mon pays à 17 ans. Je suis passé par le Niger, la Libye et l'Italie. Je suis arrivé à Paris puis on m’a envoyé à Toulouse et je suis arrivé à Tarbes. C'est plus petit que Paris, il y a moins de monde, c'est moins difficile. Je vis dans un appartement en colocation financé par le Cada (Centre d’accueil des demandeurs d’asile). J'ai beaucoup insisté pour avoir une place à l'école. Je suis venu directement me présenter au professeur de français langue étrangère, Mme Mathieu, en lui disant que je voulais venir dans son UPE2A. J'aime beaucoup ma classe : on rigole, on mange ensemble, il n'y a pas de racisme, on est tous des élèves. J’ai été élu délégué de 3e Dima. Ça me plaît beaucoup d'avoir un rôle ! »
Marie, 18 ans, élève française en Tle bac pro ASSP
(Accompagnement, soins et services à la personne)
« J’ai participé l’an dernier à un projet autour de Noël avec les élèves de l'UPE2A. De novembre à décembre, on a préparé avec des personnes âgées, des décorations, des chants... Jusque-là, je voyais les élèves étrangers seulement dans la cour. Avec mes copines, on stressait un peu mais je n'avais pas d'avis personnellement sur les migrants. En menant ce projet, on a travaillé en petits groupes ensemble, on cherchait des musiques... J’ai sympathisé avec certains. La plupart d'entre eux avaient envie de nous rencontrer, ils venaient vers nous, étaient souriants, ils parlaient bien. Le jour de la fête de Noël, ils ont fait danser toutes les personnes âgées, j'étais impressionnée. Cette expérience m’a ouvert les yeux. Je me suis dit que l'on n'avait pas le droit de se plaindre. »
Serxho, 17 ans, venu d’Albanie, élève en 3e Dima et en UPE2A
« Je suis venu en France avec mes parents et ma petite sœur mais leur demande d’asile n’a pas été acceptée. Ils ont dû repartir en Albanie. Pendant une semaine, je n'ai pas dormi. Est-ce que je devais repartir avec eux ou rester en France ? J'étais vraiment perdu. Finalement, j'ai décidé de rester. Je vis dans un foyer avec des jeunes d'autres nationalités. J'aime bien la vie en communauté, on parle avec tout le monde. Pour mon métier, j'hésite encore entre peinture ou boulangerie. »
Abdullah, Kurde syrien, 18 ans, ancien élève de 3e Dima et UPE2A, désormais mécanicien en CDD
« Chez moi, c'était la guerre. Ma mère est partie se réfugier en Turquie avec ma petite sœur et mon petit frère tandis que mon père et moi sommes partis vers l’Europe. Nous sommes arrivés ici il y a presque deux ans, après avoir été bloqués en Grèce dans un camp. Les quotas ont fait que nous avons été envoyés en France, à Bordeaux, puis à Lourdes. Je ne parlais pas du tout français et je n'avais jamais été à l’école en Syrie. Trois mois plus tard, je commençais à l’UPE2A. Au bout d'un an et demi, notre demande d’asile a été acceptée. J'étais en cours quand mon père m’a appelé pour me le dire et j'ai pleuré. Je pouvais enfin souffler !
J'ai l’autorisation de rester en France dix ans. Je veux travailler dans la mécanique, j'en faisais déjà un peu en Syrie et j’ai fait plusieurs stages pendant mon année. Avec l’aide des mes profs, j'ai posé des CV dans tous les garages de Tarbes.
L'un m'a rappelé. Il s'était renseigné auprès de mon ancien maître de stage qui lui a dit que j'étais un bosseur. Il m’a proposé un CDD. J’envoie une partie de mon salaire à ma mère. J’espère qu’elle pourra nous rejoindre en France bientôt. »
Khairollah, 20 ans, venu d’Afghanistan, apprenti puis technicien en maintenance des bâtiments
« Je suis arrivé en France à l’âge de 15 ans, après avoir quitté mon pays à 11 ans suite à la mort de mes parents et à la menace des talibans. J’ai confié mon petit frère à un voisin et suis parti à pied via le Pakistan. Je faisais plein de petits boulots pour payer les passeurs à chaque frontière. J’ai été accueilli dans un foyer à Annemasse, en Haute-Savoie, et scolarisé en classe de 3e dans un collège public tout en suivant des cours de français intensif. Puis j’ai pu suivre un CAP au lycée catholique Iseta. En 2015, j’ai raconté mon parcours à la classe de bac pro Aquaculture. Cela a touché les élèves qui ont décidé d’écrire mon histoire... »
Thomas, Jules, 19 ans, et Raphaêl, 20 ans, ont participé au projet d’écriture de l’histoire de Khairollah
Thomas : « Quand j’ai entendu le récit de Khairollah, je me suis dit : mais comment a-t-il pu vivre tout ça à 11 ans ? Les migrants, jusque-là, je n’en pensais pas grand-chose : je regardais un peu les informations à la télé mais je n’y étais pas confronté dans ma vie quotidienne. Notre première réaction dans la classe a été de vouloir faire venir son petit frère en France pour qu’ils soient tous les deux réunis. On voulait financer son billet.
Mais on a vite compris que ce n’était pas possible d’un point de vue légal. Du coup, certains élèves ont proposé d’écrire son histoire. Avec le dictaphone, on l’enregistrait chaque semaine puis on réécoutait l’extrait et on rédigeait nos parties. Au début, je me disais : on n’y arrivera pas, on est des bacs pros, pas très bons en français, on va donner de faux espoirs à Khairollah. Et puis finalement, on y est arrivés et ça a été une fierté pour nous. Aujourd’hui, je regarde les migrants différemment : je sais qu’ils ne partent pas pour leur plaisir, ils n’ont pas le choix. Et moi, je me suis rendu compte que j’avais une vie bien tranquille à côté de la leur. »
Jules : « Au début, on le voyait bosser dans la cour de récré et on se demandait si c’était un élève. Quand il a raconté ce qu’il avait traversé, j’ai été bluffé. Je ne suis pas sûr qu’au même âge, j’aurais été capable de faire la même chose. »
Raphaël : « Moi, je ne connaissais rien à la question des migrants. Mais je n’avais pas d’a priori négatif. Un jour, notre pays pourrait aussi être en conflit, comment serais-je alors accueilli ? Cette expérience a renforcé ma conviction qu’il faut être ouvert aux autres. »