Khairollah Alémi, sur les routes de l’exil

Parti d’Afghanistan après la mort de ses parents, Khairollah Alémi est arrivé en France à 15 ans. Embauché comme apprenti par l’Iseta, le lycée agricole catholique de Poisy, près d’Annecy, il a raconté son histoire à des élèves de bac pro. Cela leur a inspiré un livre, écrit collectivement puis a fait l'objet d'un film documentaire qui raconte cette rencontre. Plébiscité comme outil de sensibilisation par les associations s'occupant de migrant, il est notamment à l'affiche de nombre d'événements organisés jusqu'au 8 décembre 2019, dans le cadre du festival de la Cimade, Migrants scène.

Noémie Fossey-Sergent

Il n’est pas très grand, svelte, presque timide. C’est son regard noir, profond, qui marque quand on le rencontre la première fois, un soir d’automne, dans un petit bureau de l’Iseta, le lycée agricole de Poisy, situé près d’Annecy, en Haute Savoie. Cheveux coiffés en arrière, Khairollah, 20 ans tout juste, porte un jean slim et un sweat à capuche gris et noir avec des roses dessinées sur les manches. Des roses sans épines. Le détail fait sourire quand on sait ce qu’il a traversé. Khairollah est né en Afghanistan. 

Il appartient à l’ethnie des Hazaras, majoritairement chiite, sur un territoire sunnite où les talibans et Daech font régner la terreur. « J’ai toujours connu mon pays en guerre », confie le jeune homme. Dès 9 ans, il travaille comme cireur de chaussures dans les rues de Lashkar Gah, au sud-ouest du pays. Un jour, sa vie bascule. « Mes parents sont morts dans l’explosion d’une mine alors qu’ils passaient en voiture sur un pont entre Kandahar et Qalât. » Ne lui reste que son petit frère, Fayzollah... dont il devient responsable sans argent pour s’en occuper. Les attentats se multiplient.
À 11 ans, Khairollah décide de partir à pied en direction du Pakistan, sans prévenir son frère de 7 ans, confié à un voisin. Il entame alors un long parcours de quatre ans dont il ignore encore la destination. « Je ne visais pas la France, je voulais juste trouver un pays où je puisse travailler, être protégé et faire venir mon frère », se souvient Khairollah. Il restera d’abord un an en Iran, à la recherche d’un travail, avant de revenir en Afghanistan puis de repartir en Iran et de poursuivre cette fois vers la Turquie, la Grèce, l’Italie et la France. De ces années sur les routes de l’exil, il garde des souvenirs douloureux.

Comme ce voyage particulièrement difficile de la Turquie vers l’Italie, « 28 heures, caché avec d’autres personnes dans le faux plafond d’un camion ». « On est resté des heures garé en plein soleil avant que le camion ne monte sur un porte- conteneurs pour faire la traversée. On transpirait de peur et de chaud, mouillant les cartons empilés en dessous de nous », raconte le jeune homme.

 

Quatre tentatives pour traverser la Méditerranée

 

Il se souvient aussi de ce compagnon touché d’une balle et abandonné blessé dans les montagnes iraniennes, près de la frontière turque, pour ne pas retarder le groupe. Ou encore de l’enfermement « dans des cages comme des animaux », à son arrivée en Grèce, après avoir réussi la traversée cauchemardesque de la Méditerranée lors d’une quatrième tentative. « À l’approche du bateau des garde-côtes, le passeur m’a poussé par-dessus bord. Je ne savais pas nager, j’ai dû lâcher mon sac à dos dans lequel se trouvait mon portable contenant toutes les photos de ma famille puis je me suis dirigé comme j’ai pu à la nage jusqu’à l’île de Lesbos », se souvient, pensif, le garçon.

Pour payer les passeurs, il accepte tous les boulots : travailler dans une usine à cartons, transporter des sacs de charbon, couper du bois dans une forêt... Le voyage le pousse vite à développer quelques réflexes : se cacher, courir, tendre l’oreille à la recherche d’une langue familière, scruter les traits des étrangers en espérant trouver d’autres Afghans qui pourraient l’aider, repérer rapidement les associations qui distribuent de la nourriture... « Je devais faire confiance quand je donnais mon argent à un passeur.
J’avais peur, mais j’avais décidé d’avoir une meilleure vie ou de mourir. » C’est à Nice qu’il foule pour la première fois le sol français, à l’âge de 15 ans, alors que le passeur lui avait juré qu’il partait pour Paris. Au gré des trains dans lesquels il monte au hasard, il arrive à Annemasse, non loin d’Annecy. Il ne quittera plus la région. « Il était 6 h du matin, je suis passé devant un bar et j’ai entendu parler farsi. C’était
un Afghan, en France depuis quinze ans.
Il m’a emmené au commissariat de police et a expliqué ma situation. J’ai pu être logé en foyer... » Ensuite, tout s’enchaîne : encore mineur, Khairollah bénéficie de cours de français intensifs et d’une scolarisation en 3e à Annecy dans un collège public. En novembre 2014, il entame en alternance un CAP en Maintenance des bâtiments en collectivité à l’Iseta de Poisy. Peinture, soudure, entretien des espaces verts… il devient un vrai couteau suisse et loge dans l’internat de l’établissement. L’équipe éducative est informée de son histoire et s’organise pour lui donner des cours de soutien en français.

Aline Nevez, professeur en éducation socioculturelle, est l’une de ses enseignantes. Elle lui propose un jour de venir témoigner devant sa classe de bac pro Aquaculture (voir encadré). « J’étais stupéfaite par son histoire. Mes élèves avaient son âge. Je me suis dit qu’entre adolescents, ils se comprendraient, se souvient Aline Nevez. En 2015, ici, on était comme dans une bulle par rapport aux migrants. On n’en voyait pas à Annecy. Je voulais que mes élèves réalisent que ces problématiques n’étaient pas si lointaines. » Khairollah accepte et, très vite, va témoigner dans d’autres établissements, et jusque dans les colonnes de Libération ou au studio de France Info. « J’expliquais que je n’ai jamais voulu quitter mon pays. Je suis venu juste chercher une bonne vie, c’est-à-dire pour moi la sécurité et la démocratie. » « Il veut que les gens comprennent pourquoi les migrants arrivent en France. Parler, c’est comme une psychothérapie pour lui », observe l’enseignante qui dit avoir été transformée par « la philosophie et la résilience » du jeune Afghan.

Aujourd’hui, Khairollah est majeur. Il a signé un CDI comme technicien de maintenance à l’Iseta. Il loge toujours à l’internat, en attendant un logement social. Certains des élèves de bac pro sont devenus ses amis. Après avoir obtenu une carte de séjour, il attend avec bon espoir sa naturalisation. À présent, il tend à son tour la main aux jeunes migrants qu’il rencontre. « Avec ma petite bagnole, je peux faire des courses ou les emmener en voiture quelque part pour les dépanner. Je donne aussi mon numéro de téléphone s’ils ont besoin d’aide pour les rendez-vous chez le médecin ou l’assistante sociale... »

Reste une ombre au tableau : « Mon frère est toujours en Afghanistan. J’ai pu aller le voir cet été et je l’ai fait déménager dans une zone plus sûre. Mais je suis inquiet : les talibans attaquent maintenant les écoles, je lui ai donc demandé de rester à la maison. J’aimerais qu’il me rejoigne en France. »
Mais le temps presse : dans deux ans, son petit frère sera majeur et il ne sera plus possible pour lui d’entrer en France.

 

UN LIVRE ET UN DOCUMENTAIRE « Ils peuvent tuer toutes les hirondelles, ils n’empêcheront pas la venue du printemps. »

 

Ce proverbe afghan a inspiré le titre d’un documentaire, diffusé début novembre sur France 3 : On a beau tuer les hirondelles. Il retrace l’histoire de Khairollah et le projet que le jeune homme a mené en 2015 avec la classe de terminale bac pro Aquaculture de l’Iseta, le lycée agricole de Poisy (Haute-Savoie).
Durant plus d’un an, des caméras ont suivi cette rencontre forte qui a conduit à la rédaction du livre, Carnet d’exil : l’histoire de Khairollah, en français, racontée par les élèves après un long travail d’enregistrement de son témoignage, puis de rédaction, de mise en dessins de son périple, de recherches sur son ethnie...
Un projet qui a changé pour toujours leur vision des migrants. 

 

Renseignements

  • Carnet d’exil, éditions Iseta, 10€. À commander auprès de l’établissement

 

 

Article extrait du n°388 d'ECA

Partagez cet article

>