Mis à jour le : 23 septembre 2016 / Publié le : 23 septembre 2016
Le projet de l’Éducation nationale
L’éducation morale et civique à l’école, et plus largement l’éducation du citoyen, font l’objet d’une prise en charge qui n’est pas entièrement satisfaisante, bien que l’école ait largement relevé le défi de cette éducation. Si l’éducation civique a des contenus disciplinaires propres, notamment au collège et au lycée, elle s’est aussi doublée, à partir du milieu des années 1990, d’une éducation à la citoyenneté aux contours indécis. Cette dernière comprend une dimension « vie de la classe » et « vie scolaire », en marge d’enseignements aux contenus élargis : dans le cadre de l’éducation à une citoyenneté démocratique, l’éducation du citoyen en France comme en Europe a cessé de se centrer sur le nationalisme civique pour accorder davantage de place à la connaissance des droits de l’individu, dans le but d’éduquer une conscience citoyenne démocratique. Ainsi, en une vingtaine d’années, l’éducation du citoyen a tenté de se réformer dans une ambiguïté entre éducation disciplinaire, d’une part, et éducation par l’exercice effectif de la citoyenneté au sein de l’école, d’autre part. Entre une éducation à l’école et une éducation par l’école, pourrait-on dire. Partant de ce constat, la mission sur la morale à l’école (1) a pris appui sur les nombreuses auditions menées pour faire valoir les droits d’un enseignement de morale à l’école doté d’un triple objectif : redonner du sens au lien entre morale et éducation ; réarticuler la dimension morale et la dimension civique de l’éducation du citoyen et réconcilier la personne et le citoyen (ce lien existait dans l’éducation morale scolaire au xixe siècle, il inspirait l’humanisme civique au fondement des programmes) ; permettre aux élèves une meilleure appropriation des valeurs communes.
Cynisme de la société
Un enseignement de morale à l’école répond d’abord à une nécessité pratique : la morale est en effet indissociable de l’acte éducatif. il n’y a pas d’éducation sans morale, qu’on en soit conscient ou non. Un des principes qui animent ce rapport consiste en ce sens à redonner des couleurs à ce lien intrinsèque, de faire en sorte qu’il s’articule à une culture et à des gestes professionnels. L’idée est que tout ce qui contribue à bonifier une relation éducative consciente d’elle-même soit au bénéfice de la réussite des élèves, d’une meilleure estime de soi, d’une meilleure confiance en soi et de relations avec les autres plus apaisées. Revitaliser à l’école le lien entre morale et éducation, c’est du même coup considérer sous un autre aspect la mission de transmission des valeurs de la République et de la démocratie, qui est celle de l’ensemble de la communauté scolaire. On touche là à la mission séculaire de l’école, mais qui aujourd’hui se heurte à de nouvelles difficultés : les valeurs communes constituent en effet le cadre de fonctionnement de l’école qui prescrit à ses personnels de faire respecter les valeurs de la République. Ces valeurs, cependant, rencontrent le scepticisme ou l’indifférence des élèves, parfois même des enseignants. Elles semblent lointaines, froides, abstraites et surtout peu respectées (qu’on pense à la dignité, à l’égalité, au refus des discriminations de toute nature). il est difficile de ne pas opposer à ces valeurs communes le cynisme de la société, mais il est en même temps nécessaire que les enseignants, quel que soit leur niveau d’exercice, se situent par rapport à ces valeurs. Un enseignement de morale permettrait en ce sens une meilleure appropriation de ces valeurs et réassurerait les enseignants et les acteurs de la communauté scolaire dans leur légitimité à éduquer et à transmettre les valeurs et les principes constitutifs de la communauté républicaine et démocratique. il s’agit là d’une ambition de réarticulation du moral et du civique, de la personne et du citoyen, mais dont les conditions de possibilité doivent être réexaminées, tant elles s’inscrivent dans un contexte social et politique problématique. Le fait du pluralisme propre aux démocraties contemporaines a complexifié la manière dont chaque individu se relie au collectif, à la sphère de ce qui est commun à tous. On peut ainsi identifier une sorte de point critique de la formation morale à l’école, ce que le rapport appelle la nécessité de « faire communauté » ; l’expression « faire communauté » suggérant ici que la communauté, le partage des principes et des valeurs, sont à construire ensemble par les adultes et les élèves. Car ces principes ne sont ni préétablis, ni prédéfinis. C’est l’engagement de chacun, la manière de faire vivre ces biens communs au sein de l’école qui rend possible le « faire communauté ». L’enseignement laïque de la morale ne peut ainsi être qu’un projet commun, n’impliquant pas seulement les enseignants et les enseignements, mais aussi celles et ceux qui œuvrent dans le domaine de la vie scolaire. il requiert aussi l’adhésion des familles. Sur cette base, un enseignement moral et civique à l’école devrait avoir pour objectif tout à la fois de former le sujet, la personne et de poser les bases de l’adhésion à une morale commune, des valeurs susceptibles d’être partagées par tous, sans avoir le sentiment de trahir ses valeurs personnelles. Apprendre à réflé- chir, à délibérer, parler en son nom propre, soutenir un point de vue, accepter le point de vue des autres, comprendre que les valeurs de la démocratie sont un bien commun, comprendre aussi que ces valeurs ne sont pas figées, qu’elles sont héritées mais qu’elles s’inscrivent en même temps dans un dynamisme en lien avec les évolutions de la société, telles sont les ambitions d’un enseignement de morale. il requiert en priorité le respect des principes du pluralisme des opinions et des croyances, de la liberté de conscience, des droits des élèves et de leur famille. il est un levier pour éduquer contre la violence et surtout considérer que la violence et l’injustice ne sont pas des fatalités. S’il doit être commun, ce projet comporte aussi des difficultés intrinsèques, qui peuvent ou doivent être considérées comme autant de défis théoriques et didactiques. Les enseignants ont souvent un préjugé négatif à l’égard de la morale en tant que telle. Ce préjugé fait obstacle à une appropriation sereine de ce domaine d’enseignement. Lever ce préjugé est la première difficulté.
Un enseignement traversé par le doute
On ne peut plus enseigner la morale avec les certitudes qui étaient celles du xixe siècle. La difficulté de cet enseignement tient précisément dans l’absence de certitudes, sur ce qu’est le bien, le mal, le vrai. L’absence de certitudes concerne aussi les conceptions morales : ce qu’on appelle le pluralisme moral conduit à des conceptions et des approches différentes de la morale. C’est un domaine d’enseignement par définition traversé par le doute. il faut faire de ce doute un moteur de l’enseignement et non le motif d’un repli sur le relativisme ou le scepticisme. L’idée est de mettre les enseignants en capacité d’enseigner la diversité des visions du monde, de passer d’une laïcité d’abstention à une laïcité de confrontation, celle-ci étant éloignée de la tradition de l’école. Or, la laïcité est aujourd’hui au sein de l’école un principe volontiers perçu comme négatif, liberticide, interdisant la liberté d’expression plutôt qu’un principe de liberté lui-même. Elle est per- çue comme la réponse pour pacifier l’espace scolaire et neutraliser ce qui déstabilise les enseignants : le religieux, les questions controversées relatives aux choix de vie, à l’orientation sexuelle, aux différences de tous ordres. Au lieu d’être perçue comme un principe qui garantit la liberté, au sens où il ouvre un espace commun de liberté. D’où la nécessité de remobiliser les enseignants autour des principes d’une éthique laïque enseignante. Pour enseigner la morale, il faut se situer quelque part, avoir un point de vue sur ce qu’il est requis de faire partager et sur les moyens de faire partager les biens communs ; cela engage aussi la réflexion pédagogique. Une dernière difficulté concerne la formation : il y a peu de personnes ressources dans le champ de l’éducation morale scolaire en France. Ce champ requiert un outillage à la fois théorique et didactique entièrement à construire.
1. À la demande du ministre de l’Éducation nationale Vincent Peillon, cette mission était composée de Laurence Loeffel, Alain Bergounioux et Rémy Schwartz. Le rapport de cette mission a été remis au ministre en avril 2013. Il s’intitule Morale laïque : pour un enseignement laïque de la morale
Issu du hors-série du magazine Enseignement catholique actualités de juillet 2014