Mis à jour le : 31 janvier 2020 / Publié le : 30 janvier 2020
Que savent les adolescents des religions ?
Invité par la faculté d’Éducation de l’Institut catholique de Paris, le 15 janvier dernier, le sociologue Bruno Michon a présenté son enquête sur les connaissances religieuses de collégiens du public. Elle révèle que le christianisme n’est plus pour eux qu’une religion parmi d’autres.
François Husson
Strasbourgeois à cheval sur une culture française et allemande, Bruno Michon s’intéresse depuis toujours aux religions. Diplômé d’un double master en histoire et sociologie, il est chargé de recherche et de développement à l’Eseis (École supérieure européenne de l’intervention sociale) autour des différences de conception des religions et de la laïcité. Il a également travaillé sur la radicalisation des jeunes, notamment en prison.
(©FH)
En 1986, la principale du lycée Buffon, à Paris, s’étonnait de voir le martyre de saint Sébastien évoquer pour ses élèves une bataille entre cowboys et Indiens. C’est sur ce témoignage que le sociologue Bruno Michon a ouvert sa conférence à l’Institut catholique de Paris, le 15 janvier dernier. Le chercheur a voulu savoir si cette « inculture religieuse » perdurait. « On dit depuis longtemps que les jeunes ne savent rien. Je vais poser un constat et examiner les conséquences pédagogiques. »
Pour son enquête, Bruno Michon a employé une méthode d’étude mixte, composée d’entretiens en groupe autour d’un jeu de type Trivial Pursuit, et des questionnaires individuels autour d’images. Il assume son choix d’entretiens en groupe de 5 à 6 élèves, pour éviter que l’entretien individuel ne fasse ressortir que des versions convenues. Il a rencontré 207 élèves de 3e, en France et en Allemagne, dans cinq régions représentatives (collèges populaires et bourgeois, ruraux et urbains, périphériques…).
Résultat : les connaissances religieuses des adolescents sont réelles et diversifiées, mais donnent difficilement du sens au monde qui les entoure.
Le travail du sociologue fait ressortir des sources de connaissances cloisonnées : « Lorsque l’on croise les deux enquêtes, elles diffèrent fortement sur les médias, plus cités sur l’enquête qualitative et la famille, représentée dans l’enquête quantitative. »
Sources traditionnelles : la famille est la grande absente
La famille reste très peu convoquée comme source d’informations, pour donner du sens au monde dans lequel les adolescents évoluent.
L’enquête pointe l’inefficacité des connaissances scolaires, qui transmet des connaissances patrimoniales, notamment en cours d’histoire, mais sans permettre de relier sens aux savoirs. Par exemple, les Hébreux dont on parle en histoire ne sont pas connectés aux Juifs croisés dans la rue.
« Les sources confessionnelles sont connotées négativement, notamment celles des églises chrétiennes, mais elles sont efficaces, explique Bruno Michon. Elles apportent des connaissances solides sur sa propre religion, et permettent de donner du sens à sa vie. »
Les médias sont omniprésents mais superficiels
Les médias ont une importance considérable, les adolescents citent comme références des jeux vidéos, des publicités, des épisodes du dessin animé satirique Les Simpson.
« Et moins la religion est proche du quotidien, plus les médias sont pertinents. En banlieue strasbourgeoise, où il y a moins d’hindous ou de musulmans, les ados ne les connaissent que par les médias », précise Bruno Michon, qui constate de grandes différences dans le VIe arrondissement de Paris et une banlieue strasbourgeoise.
En revanche, ces connaissances issues des médias sont superficielles, très marquées par leur spectacularisation : « les guerres et les miracles plus que la messe du dimanche à la télévision », note le sociologue. Leur sens originel est souvent détourné (pub, jeux vidéos, humour…) « C’est la “popularisation du religieux“, qui fait que des éléments de la sphère religieuse se diffusent dans celle de la culture populaire. Et vice versa », explique le sociologue en diffusant une vidéo citée de la présentation des JMJ de Madrid, construite comme une bande-annonce de cinéma.
Bruno Michon a pu affiner son enquête en comparant les résultats des deux pays étudiés. En Allemagne, la religion, structurellement intégrée à l’espace social, est mieux connue grâce à l’école qu’en France, où l’impact de la laïcité donne l’impression aux adolescents qu’on n’a pas le droit de parler de religions à l’école. « La compréhension de la laïcité comme une neutralité, c’est faux juridiquement, mais l’évolution depuis trente ans de la laïcité à la française vers ce qu’on nomme la neutralité plus que vers la liberté de conscience amène les élèves à penser que parler des religions est interdit. De plus, c’est un sentiment confirmé par la gêne des enseignants qui abordent souvent le sujet de la religion avec des pincettes. »
Chaque religion est perçue différemment
Bruno Michon est ensuite entré dans le détail de ses travaux, qui ont pu montrer comment chaque religion était perçue par les jeunes interrogés. « La culture adolescente religieuse a finalement une bonne connaissance des religions antiques. Ils vont également plus retenir les cultures ésotériques, les théories du complot et les phénomènes paranormaux, dissociant mal la réincarnation de la résurrection, par exemple. »
Le sociologue pointe la « dictature de la connaissance visuelle » au sujet des religions « asiatiques » qui constituent le « marqueur principal » des sources citées, car elles sont omniprésentes visuellement dans l’environnement quotidien (symbole Yin et Yang sur des affiches, Bouddha ou Shiva dans les restaurants, bouddhiste en toge dans les publicités…).
Le judaïsme, lui, est marqué par le folklore et l’étrangeté. « Rabbi Jacob a fait du mal », affirme Bruno Michon, qui précise au passage n’être quasiment jamais tombé sur des paroles antisémites lors de ses entretiens. Des références aux productions médiatiques notamment américaines, où le fait d’être juif pour un personnage est juste une donnée, mais les jeunes ne font pas de connexion entre l’histoire des Hébreux et un Juif vu dans une fiction contemporaine.
« L’islam donne lieu à un paradoxe, entre référence et domination, note Bruno Michon. Dans certains collèges l’islam devient la religion de référence, car seuls les élèves qui parlent de religions sont musulmans. Et le Ramadan est un sujet de conversation prégnant. » L’islam est également considéré comme religion inférieure et violente, tous les poncifs du XIXe siècle ayant la vie longue, surtout dans les collèges ruraux.
Quant au christianisme, il devient une religion « exculturée », pour reprendre une expression de Danièle Hervieu-léger (« l’évidemment ultime du catholicisme, l’exculturation du christianisme dans la société française »). Le chercheur constate « une mutation constatée où le christianisme n’a plus la place prépondérante et devient une religion comme une autre ».
Quelques pistes pour agir
« Il faut considérer qu’à partir du moment où les ados citent une source de connaissances, ça fait partie du religieux. Il faut prendre en considération ce fait, notamment chez les catéchètes. Il faut accepter cet état de fait sans jugement. Les connaissances sont compartimentées. C’est aux pédagogues et aux catéchètes de les laisser ouvrir tous les tiroirs pour donner un sens qu’ils ne trouvent pas », a conclut Bruno Michon, en lançant quelques préconisations qu’il qualifie de « pistes destinées plus à l’enseignement public que confessionnel » :
- arrêter d’avoir peur de parler des religions. Etudier l’histoire de chaque religion et son impact sur le monde actuel ;
- décloisonner en acceptant que Les Simpson soient la source la plus citée et travailler à partir de ça ;
- laisser la place à la parole hétérodoxe et hétérolaïque. L’enfant doit pouvoir dire : « Je ne suis pas Charlie » ;
- ne pas exclure la dimension expérientielle et communautaire, car « les religieux sont avant tout des gens qui croient ensemble. Ça a l’air simple de le dire, mais ça doit faire partie de l’enseignement. Il existe de bons outils pédagogiques qui permettent de comprendre ce que veux dire être musulman, bouddhiste ou catholique, aujourd’hui, c’est ce qui me semble être le plus important »
Un livre pour aller plus loin
« Elle n’est pas islamienne, elle et musulmane » ; « La messe chez les protestants elle est normale, chez les catholiques, ils font une grande fête… » Ces dialogues savoureux sont issus des nombreux entretiens réalisés lors de l’enquête du sociologue Bruno Michon auprès de collégiens de 3e de France et d’Allemagne pour évaluer leurs connaissances en matière de religion. On peut les retrouver in extenso dans son ouvrage, qui décrit les résultats détaillés de son travail : tableaux croisés des résultats, iconographie des références adolescentes, développements exposant ses conclusions, comparaison entre la France et l’Allemagne…
Un ouvrage riche qui permet de bien se rendre compte de la manière dont sont perçues les religions auprès des adolescents, qui sera utile aux éducateurs comme aux jeunes.
Que savent les adolescents des religions ?, Petra, 398 p., 25 €.
Prochaine conférence à l'ISP:
le 5 février 2020, autour de la pensée créative
« Pourquoi et comment développer la pensée créative dans l’éducation ? » Former des individus créatifs en pensée et en comportement, des citoyens et des acteurs économiques du 21e siècle est, au-delà d’une nécessité éducative, un enjeu économique et social. Qu’est-ce que la créativité ? Quels en sont les fondements théoriques ? Quel est son rôle dans les processus d’apprentissage ? Comment lui donner concrètement une place dans nos pédagogies ?
Par Véronique Garczynska, enseignante et formatrice d’enseignants en didactique des Sciences Économiques et Sociales et en pédagogie de la créativité. Conceptrice d’un programme pédagogique Declic développant créativité et prise d’initiative mise en œuvre dans différents collèges et lycées en France et au Canada.