Mis à jour le : 26 septembre 2016 / Publié le : 19 juillet 2016

Les CE2 passent à l’action

L’école primaire Sainte-Geneviève d’Asnières (92) a expérimenté la démarche « Bâtisseurs de possibles », conçue par l’association SynLab. L’idée : mettre en projet les enfants et soutenir leurs capacités à trouver eux-mêmes des solutions à des problèmes du quotidien.

 

Par Aurélie Sobocinski

Séance de brainstorming sur la question des déchets.
Séance de brainstorming sur la question des déchets. ©AS

« Même quand on est petits, on peut avoir des idées et changer des choses ! » Du haut de leurs 8 et 9 ans, Martin et ses camarades de CE2 de l’institution Sainte-Geneviève à Asnières (92), en sont convaincus. Les petits CP l’ont bien fait, l’an dernier, en réfléchissant à l’amélioration de l’organisation de la cour et à celle des toilettes. Des zones de jeu ont été installées dans la première et de petites flèches cartonnées indiquant dans quel sens tourner le loquet de la porte a permis de rendre les secondes plus intimes.

Depuis janvier, eux aussi, accompagnés par leur enseignante Valérie Huille, sont devenus des « Bâtisseurs de possibles » et réfléchissent ensemble à trouver des solutions concrètes au gaspillage et à la gestion des déchets.

En plaçant les enfants dans une posture de chercheur-acteur, la démarche, inspirée du dispositif « Design for change » (cf. encadré) et lancée en France par l’association SynLab en 2013, vise à faire prendre conscience aux enfants qu’ils ne sont pas impuissants devant les problèmes qui les entourent. Elle leur permet de développer des compétences pour réussir à l’école et bien au-delà, dans leur vie. Les enfants sont guidés dans un parcours pensé en quatre étapes : identifier un problème qui me touche ; imaginer toutes les solutions possibles et retenir la plus pertinente à mes yeux ; établir un plan d’action et mettre en place cette solution ; partager ce que j’ai fait autour de moi.

Un tableau où figurent les solutions même les plus folles !

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Un tableau où figurent les solutions, même les plus folles ! © DR

Cette responsabilisation des enfants, ce développement de l’écoute et de la coopération entre eux pour mener un projet, ont séduit Valérie Huille, désireuse d’intégrer davantage ces dimensions dans sa pratique, après un voyage d’observation en Finlande, avec le diocèse de Nanterre. « Quels que soient les contextes, on ne le fait pas assez à l’école française ! », souligne l’enseignante qui a donc choisi depuis l’an dernier d’expérimenter « Bâtisseurs de possibles » dans sa classe – sans horaire ni jour fixe, en fonction de ses disponibilités.

Les solutions les plus folles

Cette année, Valérie Huille a opéré un pas de côté : c’est elle qui a soumis à ses CE2 l’idée de « passer à l’action » sur la question du tri, thème en lien avec le programme de sciences et de géographie, jusqu’à présent peu développé. Chacun a pris le temps d’écrire ce qui lui posait problème puis les élèves ont fait émerger en commun des lieux possibles d’action. Lucinée, Pauline, Foucauld et leurs alter ego de CE2 ont identifié à ce jour trois problèmes : le gaspillage alimentaire à la cantine, l’insuffisance du tri à la maison, les détritus jetés dans la rue.

Parallèlement, les enfants ont commencé à élaborer des questionnaires pour mener l’enquête auprès des personnes qui pourront les aider à comprendre la situation au sein de l’école (élèves, chef d’établissement, personnel de cantine, d’entretien), mais aussi de leur quartier (voisins) et de la municipalité - associée au projet (éboueurs et cantonniers, adjoints).

« Ils ont une liberté totale d’imaginer toutes sortes de solutions, y compris les plus folles, confie Valérie Huille. On ne sait pas à quoi on aboutira ! Cela les déstabilise un peu au départ parce qu’on les renvoie à eux-mêmes et à leurs propres ressources. Mais, au final, cela libère leur créativité ! ». « Ce qui est frappant, c’est le sérieux avec lequel ils s’engagent, et la manière dont ils ajustent naturellement leur projet vers des actions réalistes, faisables », poursuit-elle.

L’expérience, hors du cadre strictement scolaire, ouvre aussi à une relation différente avec les enfants et révèle, dans l’action, d’autres facettes de leur personnalité… Ils acquièrent des apprentissages sociaux qui rejaillissent sur la vie de la classe, comme la capacité à s’organiser, à s’écouter et à débattre sans moquerie ni jugement, à rebondir sur les idées des autres, à prendre des initiatives et à les mener jusqu’au bout…

« Entre nous, on s’écoute plus, note Thays. On essaie de se respecter, ça nous fait réfléchir et au final on trouve plus de solutions ensemble ! » Et puis, « on est fiers » ajoute Ambroise, « parce que même si on est des enfants, on peut faire quelque chose, sinon on essaiera jamais rien ! » Côté enseignant, un lâcher-prise, tout sauf anodin, est à l’œuvre. 

« On appréhende une autre posture – de régulation principalement, plus en retrait, plus à l’écoute aussi pour les aider à formuler leurs solutions », analyse Valérie Huille, qui a trouvé dans ce cadre souple le moyen d’ intégrer les jeux coopératifs appris en formation.

L’approche se veut, en outre, « facilement appropriable » grâce aux documents d’accompagnement disponibles en ligne et aux conseils de l’équipe de SynLab : « Il y a une vraie volonté de mettre en place une forme de communauté d’acteurs, plus large que celle du réseau catholique », ajoute l’enseignante qui apprécie aussi de pouvoir faire sortir le projet hors de l’école et souhaite développer davantage les liens avec la mairie.
Selon Valérie Huille, cette action nécessite peu de moyens matériels « mais du temps et de la modestie dans la définition du projet pour espérer aboutir». Elle estime également que des transpositions pourraient être envisagées du côté du collège pour aider notamment les professeurs principaux qui peinent à construire les heures de vie de classe. Il s’agirait de les transformer en de véritables espaces de mise en cohésion du groupe. Thierry Dauge, chef d’établissement pour le 1er degré à Sainte-Geneviève, envisage déjà de nouvelles missions pour « Bâtisseurs de possibles » telles celle de l’animation du conseil des enfants. Initié depuis l’an dernier, ce conseil peine à vivre du fait d’un fonctionnement trop vertical. « Après avoir côtoyé des établissements aux visages très divers, ce qui m’intéresse aujourd’hui, c’est la mise en projet et la co-responsabilisation des acteurs. Cela vaut pour les enfants mais pour les adultes aussi, les postures restent beaucoup trop hiérarchisées ! », estime le responsable qui a demandé à SynLab d’accompagner son équipe sur le chemin d’un fonctionnement plus collaboratif.

Valérie Huille anime sa classe d’une manière plus horizontale.
Valérie Huille anime sa classe d’une manière plus horizontale. © AS

Mieux connaître « Bâtisseurs de possibles »

 

Élaboré avec des enseignants, « Bâtisseurs de possibles » est un projet pédagogique coopératif et pluridisciplinaire qui vise à développer des compétences transversales et à donner du sens aux apprentissages fondamentaux en les reliant au quotidien des enfants. Adaptée en France en 2013 par SynLab, association d’intérêt général et laboratoire citoyen de recherche-action focalisé sur le développement des compétences émotionnelles, sociales et civiques dans les systèmes éducatifs francophones, la démarche s’inspire des méthodes du « Design thinking », appliquées au monde de l’éducation par le mouvement « Design for Change » initié en Inde en 2009. Elles préconisent, pour concevoir une solution, de partir des besoins et usages des personnes. Cet « esprit design » permet de proposer un parcours d’apprentissage qui place les enfants dans une posture de chercheur-acteur. Pour l’accompagner, l’association Synlab propose des outils pédagogiques accessibles gratuitement en ligne, un accompagnement personnalisé, des rencontres entre pairs ainsi que des formations. Les 15 et 16 juin prochains, un temps fort de rencontres nationales sera organisé à Paris afin que tous les enfants participant au mouvement échangent sur leurs expériences. Cette année, 45 classes ont lancé un projet « Bâtisseurs » en France et la plateforme numérique de l’association compte 800 acteurs de l’éducation, dont la moitié d’enseignants. Principalement financée par des fonds privés, l’association espère bénéficier prochainement des aides publiques. Actuellement, un seul service est payant : la formation et l’accompagnement sur-mesure des équipes dans la conduite du projet.

Le site batisseursdepossibles

Le site dfcworld (site en anglais)

eca366Issu du magazine Enseignement catholique actualités n° 366 p 28 - 29, avril 2015 - mai 2015

À retrouver dans l'ECA n° 366

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