Mis à jour le : 24 février 2020 / Publié le : 15 mai 2018

Éveiller l’intériorité à l’école

Comment développer l’éveil de l'intériorité au sein des établissements scolaires dans les pratiques pédagogiques et éducatives?

Auteurs : Dominique Joulain. Christian Louvet.

IFEAP Angers

Introduction : l’origine de la recherche action

“ L’intériorité ” est un thème récurrent dans l’enseignement catholique (ex : en 1986 la publication de l’EC (ECD) titrait “ les voies de l’intériorité, une finalité souveraine pour l’éducation ”.
Nous faisions aussi comme beaucoup les constats suivants : une incitation permanente à la consommation, la surabondance des informations, le stress de notre vie actuelle, mais aussi, des élèves démotivés, en mésestime d’eux-mêmes… beaucoup de facteurs nous invitent à vivre tout en extériorité.
Enfin nous avions une conviction issue de l’expérience de la formation pédagogique et éducative : la vraie solidité d’une personne est intérieure.

Ainsi l’idée d’une recherche action est née avec trois perspectives :
- clarifier la notion d’intériorité pour qu’elle soit utilisable par les acteurs des établissements
- repérer dans les pratiques ce qui contribue à l’éveil de l’intériorité
- dégager des enseignements pour aider les acteurs de la communauté éducative

Problématique

Quelles sont les réelles possibilités d’une éducation à l’intériorité au sein de nos établissements scolaires ?
- 4 hypothèses, ont été formulées

  • À l’école, lieu privilégié de l’éveil de l’intériorité, différentes activités peuvent contribuer au développement de l’intériorité
  • Des caractéristiques du processus d’éveil de l’intériorité peuvent être dégagées
  • Les activités d’éveil de l’intériorité ont des effets repérables
  • Des conditions contribuent à l’éveil de l’intériorité

Cadre méthodologique

- Vingt personnes ont participé au groupe de recherche : enseignants, Chefs d’établissement, responsables de vie scolaire, adjoints en pastorale scolaire …
- Pierre Robitaille, du SGEC, garant de la méthodologie
- 2 Formateurs de l’IFEAP : Dominique JOULAIN, Christian LOUVET
- Les matériaux collectés ont été : la contribution des participants, les activités issues des Communautés éducatives, des interviews d’acteurs (jeunes et adultes)
- Travail effectué : Analyses de contenus d’expériences, de témoignages
(construction d’une grille d’analyse …)
- Durée : 7 journées de travail étalées sur 2 ans et un travail intermédiaire
- Restitutions
Document écrit remis à Formiris
Publication d’un extrait dans ECA hors-série Juillet 2012
Ouvrage complet IFEAP (avec fiches et collaborations)

Cadre théorique

Le travail initial d’exploration nous a conduits à prendre appui sur trois éléments, véritables références pour le travail d’analyse :
- une réflexion du Jésuite Claude Flipo qui a été rédacteur en chef de la revue Christus . Celui-ci définit 3 niveaux de l’intériorité : l’intériorité psychique, la capacité d’entrer en soi-même, de se poser, de réfléchir, d’avoir un projet, d’analyser ses émotions, de prendre de la distance par rapport à ses affects, de se construire en devenant l’auteur de son histoire, le sujet de ce qui arrive et non pas l’objet ; l’intériorité morale, la capacité à discerner le bien du mal, à se référer à une conscience morale, la capacité à se déterminer par rapport à son propre système de valeurs, indépendamment de son voisin ou des autres ; l’intériorité spirituelle, on est ici dans le domaine du sens, des questions existentielles, du mystère personnel, de la fine pointe de l’être (Thérèse d’Avilla), de la capacité d’émerveillement… C’est aussi le domaine de la relation à soi-même, à sa conscience profonde, aux autres, à une dimension de transcendance que certains vont appeler Dieu, d’autres l’amour, l’absolu….

- L’intériorité comme “ aventure intérieure ” d’après Emmanuel Mounier mettant en évidence 7 caractéristiques de l’intériorité : le recueillement, avec une invitation à se recentrer face à la tentation de la dispersion, de l’éclatement ; le secret évoquant la part un peu mystérieuse de la personne, l’unicité radicale de chaque personne ; l’intimité avec des sentiments contradictoires ; le vertige des profondeurs, prenant l’image d’un spéléologue qui descendrait en soi-même comme dans une grotte ; l’attitude de désappropriation, ce travail intérieur que nous avons à faire pour nous détacher de ce que nous avons ; la vocation une recherche perpétuelle d’une unité désirée mais que nous n’atteignons jamais vraiment ; la dialectique intériorité – extériorité, le besoin de s’extérioriser alterne avec celui de l’intériorisation des choses.

- Une définition simple et opérationnelle que le groupe de recherche a construite lors de ses travaux. Nous avons deux perceptions de l’intériorité : c’est l’espace profond de la personne, espace où est inscrite notre identité d’homme, sa “ réalité profonde ” ; une potentialité, une disposition qu’il faut éveiller, développer. Cet espace peut devenir une référence intérieure, un appui sur lequel on peut compter pour faire des choix, orienter sa vie. Mais l’intériorité est aussi un chemin : notre vécu intérieur est complexe, où se mêlent des sensations, des sentiments, des émotions, des convictions, des réactions… Dans ce vécu nous pouvons vivre un cheminement, un chemin d’intériorité : pouvoir accéder au plus intime de nous-même, faire du lien avec ce qui nous est le plus au cœur de nous. Cela passe par la prise de conscience (de nous, des autres, du monde), et, au final aboutit à la capacité à exercer notre liberté.

Résultats et analyses

En écho aux hypothèses posées différentes conclusions ont été tirées :

1- Beaucoup d’activités dans l’établissement scolaire peuvent contribuer à l’éveil de l’intériorité

Citons quelques catégories d’activités que nous avons étudiées : autour du silence, la rencontre de témoins, la relecture d’événements, l’expression artistique, les débats, les activités pédagogiques, les activités pastorales …
Ainsi nous avons abouti à la question suivante : “ Toute activité peut être l’occasion d’éduquer à l’intériorité ? ”. Le groupe de travail a pu répondre à cette question en disant qu’effectivement beaucoup de situations peuvent être menées de telle manière qu’elles contribuent à l’éveil de l’intériorité, à des niveaux différents. C’est plus le processus mis en œuvre et la manière d’accompagner l’activité qui vont être essentielles pour faire de l’activité un support pertinent pour le développement de l’intériorité.
Nous avons complété cette réponse en précisant que certains contextes sont plus porteurs que d’autres.

2- On reconnait des processus communs dans ces activités d’éveil de l’intériorité

L’analyse des activités apportées par les participants et les communautés éducatives a permis de mettre en relief des caractéristiques communes qui deviennent pour nous comme des critères de reconnaissance d’activités susceptibles d’éveiller l’intériorité.

  • La prise de conscience et l’acceptation de soi, des autres, du monde, d’une transcendance
  • Le développement de la capacité d’exercer sa liberté passant par le discernement et se traduisant dans l’action. Ce qui nécessite de cerner ses mouvements intérieurs, de se rendre compte que tout ne se vaut pas, de s’engager dans l’action.

3- Les activités ont des effets repérables

L’étude des situations rencontrées a montré que ces activités susceptibles d’éveiller l’intériorité ont des effets visibles et communs :

  • la sérénité chez la personne, le groupe, dans les relations
  • le renforcement de la confiance en soi, de l’estime de soi
  • un autre regard sur l’autre
  • un questionnement sur sa vie spirituelle (au sens large)

4- Quelles sont les conditions pour que nos activités contribuent à l’éveil de l’intériorité ?

La comparaison des activités étudiées montre qu’un certain nombre de conditions sont favorables, voire nécessaires pour qu’un développement de l’intériorité soit effectif. Citons entre autres :

  • La place de l’adulte : entre rigueur et bienveillance ; entre guidance et effacement ; dans une posture d’animation plus que d’enseignement magistral.
  • Un cadre éthique : les jeunes mais nous-mêmes avons besoin de sécurité, d’écoute, de bienveillance pour oser plonger et mettre à la lumière notre vécu intérieur. Quand avec des jeunes nous savons créer un espace sans jugement de valeur des autres, en garantissant le respect, la bienveillance, alors la parole est libre, une parole profonde et qui va aider à mettre en lumière le meilleur de chacun …
  • un contexte porteur : il y a des contextes qui nous sortent de l’ordinaire, qui nous portent à l’intériorité, qui nous poussent au recueillement … un paysage magnifique, une rencontre, une cathédrale, …
    o une incitation au déplacement : déplacement souvent représenté par un déplacement physique, comme une marche … la régularité des rencontres met alors en évidence les évolutions …
    o des rencontres profondes : d’être à être. On sent bien que certaines rencontres sont profondes, créatrices ; on n’en ressort pas indemne, ça nous a fait bouger …
  • L’adhésion à la démarche : on ne peut contraindre à une telle démarche. On peut inciter, inviter, créer des conditions favorables… mais la démarche ne peut être vécue que librement.
  • Un climat d’établissement : nos rencontres des établissements nous ont conduits à dire qu’il y a des climats favorables. Là, on ne court pas tout le temps, on prend le temps de l’accueil, de l’écoute, des temps de pause, de convivialité … et puis il y a ce souci de creuser la réflexion, de ne pas en rester à l’aspect technique de nos métiers …

Par ailleurs un certain nombre de conclusions ont pu émerger au fur et à mesure de la recherche :

1- Le lien entre intériorité et fragilité

Si l’intériorité est prise de conscience de ce qu’il y a à l’intérieur de nous, alors nous découvrons que notre réalité entière est certes faite de potentialités mais aussi de nos fragilités, de nos failles, de notre capacité à nous couper de notre source intérieure. Cette découverte nous sort de l’illusion de la toute-puissance. Notre tentation suprême en effet est de vouloir nous construire par nous-mêmes, sans l’aide de qui que ce soit, à la force de nos poignets. Reconnaitre notre fragilité c’est reconnaitre notre besoin de la rencontre de l’autre, notre besoin de communion, besoin de l’Autre avec un grand A pour ceux qui sont croyants. En fait on peut vivre là un basculement où l’on découvre que notre force réside dans notre faiblesse, qui est l’entrée possible pour la relation(C’est le message porté par l’Arche, ensemble de communautés qui accueillent des personnes porteuses de handicap).

2- Les enjeux de l’éveil de l’intériorité

Il est apparu clairement que l’éveil de l’intériorité porte des enjeux forts pour les établissements scolaires catholiques. Citons quelques enjeux :

  • un enjeu d’unification de la personne : promouvoir des personnes solides humainement
  • un enjeu de cohérence éducative pour chacun des acteurs de l’établissement mais aussi de cohérence éducative pour la structure entière
  • un enjeu pastoral : l’éveil de l’intériorité n’est pas le monopole de l’animation pastorale (toute activité menée dans certaines conditions peut contribuer à cet éveil avons-nous dit) mais il est nécessaire pour donner sens aux activités pastorales. L’intériorité invite à cultiver la qualité du regard posé sur chacun à l’image du regard de Jésus dans l’Evangile.

Enfin des outils ont pu être construits et des préconisations formulées pour les équipes éducatives :

1- fiches de description et d’analyse de 26 activités de natures différentes
2- outils divers : nos actions vont-elles dans le sens de l’éveil de l’intériorité ? Comment créer les conditions pour l’éveil de l’intériorité ? Quelle posture pour l’éducateur dans le cadre de l’éveil de l’intériorité ? Et si le Socle Commun devenait support pour l’éveil de l’intériorité ?
3- préconisations :

  • S’arrêter pour relire : la relecture apparait comme centrale pour faire le point, se questionner, cueillir les fruits d’une expérience, aider chacun à devenir intelligent de ce qu’il vit
  • Développer la culture de l’intériorité, il y a urgence de l’intériorité face au culte de l’urgence : former les adultes au chemin d’intériorité (en faire une dimension transversale aux différentes formations d’enseignants, de personnels de vie scolaire, de chefs d’établissement …) ; nourrir une intériorité collective (par la promotion d’une posture éducative réelle et d’un regard de qualité …)
  • Oser : l’intériorité suscite souvent une certaine réserve, une appréhension, une peur de fouler des registres intimes ou de se dévoiler… C’est une invitation à ne pas s’arrêter à ces réticences mais à mobiliser la volonté pour donner toute sa place à l’intériorité. Oser pour soi-même, mais aussi oser dans le cadre de nos propositions aux jeunes et aux adultes de la communauté éducative.

Impact et prolongements de la recherche action

À la suite de ce travail, différentes actions ont révélé l’intérêt porté à cette démarche. Citons entre autres :

  • Des sensibilisations à l’intériorité et son éveil dans le cadre des formations dispensées à l’IFEAP (enseignants, chefs d’établissement, personnels de vie scolaire, animateurs en pastorale scolaire
  • des actions de sensibilisation dans les établissements scolaires : l’éveil de l’intériorité comme axe d’unité pour les différents acteurs de la communauté éducative
  • des interventions dans des DDEC ou congrégations choisissant l’intériorité comme thème fort pour l’année
  • des prolongements de la recherche par des travaux sur le terrain pour construire des outils pratiques (ex : réalisation de fiches de séances d’éveil de l’intériorité par la DDEC 49, 1er Degré) …

Bibliographie :

Abel Olivier; “Paul Ricoeur, la promesse et la règle”, Editions Michalon, 1996
Aubert Nicole, “ Le culte de l’urgence, une société malade du temps ≫, Flammarion 2009
Coudreau François, “ Le projet éducatif de l’Enseignement Catholique ” ECD N° 146 – 1989
Doré (Mgr.) Joseph, “ Au cœur du monde, le cœur de Jésus ” Christus La Mission : tous envoyés ; N° 156, Octobre 1992 Dossier 1 n° 78, mars-avril 1985 : “Approche de l’intériorité ”, Dossier 2 n° 79, mai-juin 1985 : “ Intériorité menacée, Dossier 3 n° 80, juillet-aout 1985 : “Eduquer l’homme intérieur à l’âge de l’école maternelle et primaire ”, Dossier 4 n° 81, septembre-octobre 1985 : “Eduquer l’homme intérieur à l’âge de l’école secondaire ”
Flipo Claude, conférence a l’IFEAP le 28 janvier 2004 lors de la seconde Rencontre de la pastorale intitulée “ L’éveil de la dimension spirituelle ”
Hillesum Etti, “ Une vie bouleversée – Journal 1941-1943 ”), Seuil, 361 p, 1995
Honoré (Mgr.) Jean, “ Les voies de l’intériorité ”, ECD 1204 avril 1986
Laupies Vincent, “ L’homme intérieur, méditation sur le psychisme et le spirituel ”, Toulouse,
Edition du Carmel, collection intériorités, 2005
Légault Marcel, “ intériorité et engagement ”, Aubier, Paris, 1977
Lenoir Frédéric, “ Petit traité de vie intérieure ”, Plon, 2010
Les Cahiers Croire “ Le silence : une pause pour l’âme ” N° 276 Juillet/Aout 2011
Mounier Emmanuel, “ Le Personnalisme ”, PUF, coll. ≪ Que Sais-je ? ≫, n° 395, 2001 (1ere ed.1949)
Simard Jean Paul et Dufour Simon “ Ephata, la spiritualité du cœur ”, coll. Ephata, 2003
Stein Edith, “ Intériorité et altérité ” ; Blog de Bernard Romain http://bernard-romain.overblog.
com/article-36778091.html
Théobald Christophe, “ Transmettre un évangile de liberté ” Bayard, 2007
Ugeux Bernard, “ Retrouver sa vie intérieure ” Edition de l’atelier, 2001
Ugeux Bernard, “ Traverser nos fragilités ” Edition de l’atelier, 2006
Van der Plancke Chantal, bulletin de l’OIEC (Office International de l’E. C.)
Vrignon Jérôme “ Vivre l’intériorité au cœur d’une mission ” in ≪ pour une nouvelle présence de l’Enseignement Catholique au sein de la laïcité ≫

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