Mis à jour le : 8 décembre 2016 / Publié le : 22 août 2016

A l’école de la fraternité

Le groupe scolaire Saint-Vincent d’Hendaye, sur la côte basque, accueille 420 élèves de quinze nationalités différentes. Si la différence fait ici partie du quotidien des jeunes, c’est d’abord parce qu’elle se vit et se travaille au sein de l’équipe éducative.

 

Par Aurélie Sobocinski

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En ce matin de mai, les collégiens de Saint-Vincent appliquent les dernières touches à l’un des projets phare de l’année : une grande fresque multilingue autour du mot « fraternité » qui égaiera la cour. Dans cet établissement familial d’Hendaye qui comprend une école et un collège, la différence (culturelle, sociale, linguistique) fait partie du quotidien des 420 élèves, aux quinze nationalités différentes – du Sénégal à la Colombie, en passant par la Moldavie et les pays du Maghreb.

« Ici, l’accueil de chacun dans sa singularité est une culture, inscrite dans l’ADN de l’établissement. Avant la dimension scolaire, on veut d’abord donner aux jeunes un espace à vivre leur permettant de rejoindre le groupe et de se sentir partie prenante », annonce Adeline Vincien, cadre éducatif à Saint-Vincent depuis quinze ans. Un accompagnement particulier est notamment proposé aux primo-arrivants et leurs familles, ainsi que des heures de français langue étrangère dispensées par une enseignante spécialement formée et deux autres à la retraite. Sans oublier un tutorat dans le cadre de la classe qui invite tout élève à partager les notions qu’il maîtrise avec ses camarades.

Si un tel terreau semble particulièrement propice à l’expérience de la fraternité, reste l’enjeu principal : celui de l’habiter au quotidien, insiste Philippe Bancon, chef d’établissement depuis 2013. « La fraternité n’est pas un état, elle est avant tout relation. C’est un chemin, une attention constante portée à l’autre, qui n’est pas facile à construire et qui peut devenir fadasse très rapidement ! », poursuit l’ancien délégué général des Scouts et Guides de France. 

La communication non violente, un levier utile

Pour approfondir cet élan et le cultiver au quotidien, le chef d’établissement, sa collègue de l’école primaire, Martine Gaunet, et la responsable de la vie scolaire, ont choisi de creuser d’abord le sillon avec les adultes de la communauté éducative. Depuis un an et demi, le trio de l’équipe de direction a initié le développement de la communication non violente (CNV) comme outil de médiation dans la résolution des conflits en particulier lors de la conduite des entretiens avec les enfants, les parents, etc. « La première mission lorsque l’on veut piloter un établissement scolaire, c’est de prendre en compte les adultes et plus précisément leur croissance, souligne Philippe Bancon. Tout ce que l’on souhaite que les enfants vivent, il faut que les adultes eux-mêmes l’expérimentent. La cohérence entre l’animation, le management, l’organisation et les finalités éducatives est centrale. Et pour se concrétiser, elle doit s’appuyer sur une méthodologie. »

Parmi les outils à disposition, la CNV est apparue comme un levier idéal pour aborder collectivement les questions éducatives. « Dans le travail sur la fraternité, les moments les plus forts ne sont pas ceux qui peuvent se vivre entre amis mais entre des personnes qui ont du mal à se voir. Et au sein d’un établissement, il y en a comme partout, indique Adeline Vincien. Pour nous, chaque difficulté relationnelle est une occasion d’éducation. La fraternité commence par la confrontation avec l’autre, la prise de conscience de ce qui lui a été dit ou fait. Il y a, pas loin derrière, la question de l’empathie. »

Depuis la rentrée, cinq soirées de formation ont été organisées pour les personnels Ogec, et en décembre dernier, les Rendez-vous de la fraternité ont été l’occasion d’une première réflexion commune avec les enseignants sur le sujet. Cette volonté d’intégrer tous les adultes de l’établissement est une question de cohérence là aussi : « Chacun est responsable des questions éducatives et doit pouvoir prendre part au pilotage global de l’établissement », soutient Martine Gaunet. D’ici l’été, deux membres du personnel Ogec, un enseignant et le chef d’établissement du second degré participeront également à une formation à la CNV appliquée au milieu éducatif, en attendant la proposition d’un cycle d’approfondissement à l’ensemble des enseignants...

Vers un collège coopératif ?

Sur le terrain déjà, l’amélioration du climat est perceptible : les sanctions ont été divisées par deux, et se traduisent souvent par des « travaux d’intérêt collectif ». Du côté des adultes, la CNV change profondément la posture dans la régulation des petits et grands conflits. « D’arbitre on devient médiateur, observe Adeline Vincien, en laissant chacun prendre la parole, ce qui est loin d’être évident et nécessite beaucoup de temps et d’énergie. Mais cela fonctionne très bien et il n’est pas rare d’assister à des moments magiques de basculement où les enfants se reconnaissent dans la souffrance de l’autre. »

Si la posture fait débat chez les enseignants, elle est l’occasion aussi d’un vrai dialogue sur la pratique professionnelle, comme en témoigne Jean-Bernard Mingo, enseignant d’EPS à Saint-Vincent depuis trente-sept ans : « Sans être pour l’action/réaction, trop chercher à écouter et à comprendre n’est pas toujours la solution. À un moment, si cela recommence, il faut sanctionner beaucoup plus et je n’hésite pas à le dire en conseil ! Mais cela s’exprime sans tensions parce qu’un réel échange est possible entre nous. »

Guidé par le même souci de cohérence, Philippe Bancon aimerait aller plus loin encore dans le mode de gouvernance et instituer davantage d’horizontalité entre les adultes… pour mieux faire vivre la coopération aux élèves. Le chemin est long. « J’ai soumis aux enseignants la proposition de passer à un collège coopératif. L’idée était d’attribuer une partie de mes prérogatives – celles relevant du collectif comme les demandes d’ouverture de classe, l’organisation du collège, les horaires – à l’assemblée générale des professeurs tandis que j’aurais conservé les décisions relatives aux pertes horaires et répartitions de classes. Au vote, deux tiers des enseignants ont refusé et exprimé le besoin d’avoir un chef pour diriger. »

Philippe Bancon a donc opté pour une autre voie : celle d’encourager et de soutenir chacun à devenir expert et à prendre de nouvelles responsabilités au sein de l’équipe, au-delà de son champ disciplinaire (en communication, en gestion mentale, en neurosciences, en BEP-ASH (1)…). « C’est ici que l’horizontalité rejoint à mon sens la fraternité. Sans identité assumée et sans reconnaissance de la singularité de chacun, pas de fraternité ! »

(1). Besoins éducatifs particuliers - Adaptation scolaire et scolarisation des élèves en situation de handicap.

scouts-guides-de-france-enseignement-catholiqueL’expérience scoute, toujours… 

Philippe Bancon doit beaucoup à son parcours chez les Scouts et Guides de France qui l’a façonné. Il s’en explique : « Chez les Scouts, la question éducative englobe la question de l’instruction et résonne très fortement. Pour le coup, dans ce domaine, l’enjeu réside avant tout dans la transmission de savoir-être et de savoir-faire plutôt que dans celle d’un savoir tout court. Dans la pratique concrètement, cela se traduit par une façon d’animer le groupe, d’instituer un cadre et une cohérence qui constituent à mes yeux une véritable école de management. C’est comme si tous les jours encore au sein de l’établissement scolaire, je travaillais avec des volontaires comme je l’ai fait en milieu associatif. Si vous voulez que votre projet vive et perdure, il faut travailler sans cesse à la façon de susciter la motivation, l’intérêt, la reconnaissance, la fraternité, la responsabilisation, l’utilité… C’est aussi la question de la fraternité : comment humaniser la relation. »

Eca-ecole-creuset-fraterniteLe hors-série de juillet 2016 du magazine ECA est entièrement dédié à la notion de fraternité et sur la manière dont elle se vit dans les établissements scolaires.

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