Mis à jour le : 22 novembre 2016 / Publié le : 5 septembre 2016

Seconde indifferenciée

En offrant à ses élèves de suivre quatre spécialités avant de faire leur choix d’orientation professionnelle, la seconde indifférenciée du lycée professionnel Sainte-Marie-Saint-Sernin, à Toulouse, joue gagnant-gagnant : elle diminue de façon spectaculaire le décrochage scolaire et revalorise des filières parfois en difficulté.

Par Aurélie Sobocinski

À Sainte-Marie - Saint-Sernin, la nouvelle seconde ne laisse ni les élèves ni les profs indifférents
À Sainte-Marie - Saint-Sernin, la nouvelle seconde ne laisse ni les élèves ni les profs indifférents - © A. Sobocinski

Quand les élèves de la voie générale ont « la chance » de bénéficier en 2de d’une année d’aide à la détermination avant de se spécialiser en 1re, leurs camarades de la voie professionnelle doivent s’orienter, eux, dès la 2de« Pourtant on nous a expliqué que la réforme du bac pro 3 ans devait s’effectuer dansun esprit parallèle à celui du lycée général, alors on s’est dit “Pourquoi pas nous ?” » À Sainte-Marie - Saint-Sernin 1, lycée des métiers spécialisé dans le tertiaire (secrétariat, vente, commerce, comptabilité) et voisin de la célèbre basilique toulousaine, l’équipe de Catherine Rouffiac, engagée dès 2007 dans l’expérimentation de la rénovation de la voie professionnelle, a souhaité très vite offrir la même opportunité à ses élèves. Il s’agissait avant tout pour le chef d’établissement et ses enseignants de lutter contre une fatalité. « Nos jeunes subissent généralement leur orientation en venant chez nous », explique la responsable de ce petit lycée « socialement très mélangé » de 400 élèves. « On les oblige en outre à se déterminer dans une spécialité professionnelle sans qu’ils en connaissent les contenus et la réalité des métiers, et sans qu’ils puissent avoir recours à des passerelles en cas d’échec pour se réorienter. » Difficile dans de telles conditions de remédier au décrochage scolaire qui touchait jusqu’alors environ 15 % des lycéens en 1re année bac pro. Dans l’établissement toulousain, aujourd’hui, il n’excède plus 2 %… Que s’est-il passé ? Exit la 2de déterminée. Depuis la rentrée 2008, l’équipe a initié la 2de indifférenciée, pour permettre à l’élève de choisir son orientation « en connaissance de cause ». « Nous avons tout simplement souhaité replacer l’élève au coeur de son choix d’orientation », indique Catherine Rouffiac, fortement influencée tout au long de son parcours par la pédagogie vincentienne. À l’image des enseignements d’exploration de la voie générale, le cursus de 2de propose de découvrir l’ensemble des champs professionnels parmi lesquels l’élève devra faire un choix avant la fin de l’année. Idem pour son premier stage en entreprise de février où il a également la liberté totale de choisir entre les quatre spécialités, sans que cela n’engage la suite de son parcours.

Dynamique d’équipe

En contrepartie, le projet alternatif de Sainte-Marie - Saint-Sernin a dû apporter de solides garanties vis-à-vis du programme « classique » proposé dans les autres classes de 2de pro tertiaire : il n’était pas question de pénaliser ou de retarder les lycéens de 1re une fois lancés dans leur spécialité. À cet effet, les enseignants des spécialités professionnelles se sont attelés à un long et minutieux travail de réécriture en amont... Une tâche un peu « affolante » a priori par son ampleur, mais à laquelle les professeurs, y compris ceux des matières générales (de français particulièrement), ont adhéré très vite, comme l’explique Virginie Bahier, professeur de vente, de par « la dynamique d’équipe qu’elle insufflait et la formidable chance qu’elle représentait ». « Nous avons mis en commun les progressions envisagées pour les quatre spécialités, ce qui a permis d’identifier les redondances dans les programmes et de ventiler les compétences dans les différents domaines pour aboutir à un référentiel transversal et fixer une progression commune », explique Nathalie Tavernier, qui enseigne le secrétariat et s’est particulièrement investie en tant que professeur principal auprès des élèves de 2de. Ainsi, une partie de la communication abordée en vente est uniquement traitée désormais en secrétariat. Autre exemple : une partie de la gestion du référentiel standard de commerce est vue en comptabilité, et inversement certains points de comptabilité sont traités en vente… 

« On nous considère avec nos envies et nos difficultés, c’est un système qui tire vers le haut. »


In fine
, le référentiel proposé par l’équipe aborde toutes les notions du programme exigées pour chacune des spécialités. La compatibilité entre le choix d’orientation et la certification BEP est également assurée, les épreuves d’enseignement professionnel étant validées dans les délais requis (avant la fin du deuxième trimestre), et le deuxième stage des élèves de 2de en juin étant obligatoirement effectué dans la spécialité choisie. Dernière précaution : toute notion mal maîtrisée par les élèves peut être retravaillée et des entretiens individuels ont lieu à intervalles réguliers dans le cadre de l’accompagnement personnalisé…

S’ajoute pour tous « le gain en cohérence et en transversalité, puisque l’on connaît désormais le programme de nos collègues et que l’on relie sans cesse nos enseignements », souligne Olivier Laurent, professeur de comptabilité. Du côté des élèves, « ce dispositif n’entraîne aucune perte de professionnalisation », affirme Nathalie Tavernier, qui « le vérifie », comme ses collègues « à toutes ses visites de stage ». Au contraire, ce décloisonnement permet une meilleure adéquation avec la réalité professionnelle et la demande des entreprises où la polyvalence et l’adaptabilité, ainsi qu’une largeur de vue sur l’ensemble du champ d’activités, sont des compétences qui font toute la différence en matière d’insertion, relève Béatrice Rodriguez, directeur financier et maman de Zien, en 1re bac pro commerce. 
Plus encore, la posture des lycéens vis à vis de leur orientation se trouve profondément transformée. Après un parcours souvent chaotique, sinon douloureux jusque-là, la possibilité de pouvoir faire « leur » choix, souvent pour la première fois, et d’être accompagnés et reconnus dans ce cheminement par les adultes, les porte au meilleur d’eux-mêmes. « Ils n’ont plus honte », confirment les professeurs. « Zien a vécu en 2de la meilleure année de toute sa scolarité. Nous n’avons pas eu à choisir à sa place, il s’est approprié son projet, cela n’a pas de prix », insiste Béatrice Rodriguez. Même soulagement pour le père de Marion Felipe, en terminale secrétariat : « Sentir qu’il y avait autant de possibilités d’ouverture, après avoir connu des établissements où régnait le système de l’entonnoir pour les meilleurs sans droit à l’erreur, l’a libérée et lui a permis de retrouver confiance. » Victoria, 18 ans, en 1re commerce, est la première à en témoigner auprès des collégiens « dans le même cas » :« On nous considère avec nos envies et nos difficultés, c’est un système qui tire vers le haut. »

À moyens constants

Les résultats au bac de la première promotion ayant suivi la 2de indifférenciée en témoignent : 97 % de réussite en commerce ; 90 % en secrétariat et en comptabilité ; 85 % en vente – alors que la moyenne académique se situe à 87 %... Le taux d’accès à l’enseignement supérieur à cette rentrée aussi : 70 % des élèves poursuivent en BTS (en formation initiale ou continue), 10 % en faculté (Staps2 ou langues), les autres travaillent (10 %), sont en reconversion sur des CAP 1 an (5 %), et 5 % n’ont pas fait signe... Autre évolution intéressante : alors que 98 % des élèves souhaitent s’orienter vers vente et commerce à leur entrée en 2de, lors du choix définitif d’orientation en fin d’année, 35 % optent pour commerce, 35 % pour vente et 30 % se tournent vers comptabilité ou secrétariat. De quoi apaiser un climat d’établissement et relancer des filières parfois en difficulté… Le signal est d’importance pour les lycées professionnels, lesquels vont devoir relever encore bien des défis à l’horizon des prochaines échéances budgétaires… Réalisée à moyens constants même si des heures de concertation supplémentaires seraient nécessaires, validée par le recteur, la 2de indifférenciée a créé un appel d’air à Sainte-Marie - Saint-Sernin qui a dû refuser des élèves – une première historique. 
Pour les lycéens qui décrochent néanmoins (3-4 par promotion), Catherine Rouffiac a obtenu, concomitamment à l’expérimentation, la création d’un CAP. Elle souhaite également approfondir en académie la réflexion sur un dispositif alternatif de certification intermédiaire, moins stigmatisé... Décidée « à ne pas garder un élève qui n’est pas bien au lycée », la chef d’établissement mise profondément, avec le directeur régional de l’enseignement catholique, Hervé Bonamy, sur le travail en réseau. Leur prochain rêve : créer une 2de indifférenciée pour les filières à la fois industrielles et tertiaires…

(1). Adresse : 19 boulevard Armand-Duportal, 31000 Toulouse.

(2). Sciences et techniques des activités physiques et sportives.

Enfin profs !

« On est enfin profs ! » C’est le cri du coeur de Nathalie Tavernier, enseignante en secrétariat, lorsqu’elle présente le projet de 2de pro indifférenciée mis en place par l’équipe pédagogique de Sainte-Marie - Saint-Sernin. « On oublie parfois ce que cela signifie d’être accompagnateur, de partir de l’écoute de l’élève, d’être adaptable et réactif pour mieux dispenser son enseignement. Le système actuel nous en empêche trop souvent. » Avec ce pas de côté vis-à-vis du « modèle classique », l’équipe a retrouvé « le sens de son métier » : « Amener les élèves à faire leur choix en autonomie », souligne Laurent Olivier, son collègue en comptabilité. Finie l’orientation subie. « Notre rôle est de leur présenter les filières, les métiers, les poursuites d’études ou les ouvertures sur la vie professionnelle, d’évoquer les incidences sur la vie privée et d’écouter les résonances avec leurs trajectoires personnelles », poursuit Virginie Bahier, qui enseigne la vente. En dédramatisant et en leur montrant que « le pro mène quelque part », un travail de reconstruction essentiel est mis en oeuvre, souligne Laurent Olivier, particulièrement pour l’enseignement catholique : « On n’en fait pas des aigris pour la vie. »

eca345Issu du magazine Enseignement catholique actualités n° 345, octobre - novembre 2011

À retrouver dans l'ECA n° 345

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