Quelle évaluation?

Avec la mise en place de la continuité pédagogique et éducative, se pose la question du rapport à l’évaluation entretenu par l’Ecole. Que faut-il évaluer en cette période de confinement et comment ? Des pratiques très variées ont cours d’un lieu à l’autre. Du maintien des devoirs sur table à distance les premiers jours au choix d’une évaluation formative basée sur l’autoévaluation, sur une interaction intensifiée avec l’enseignant voire sur une co-évaluation … L’occasion est belle de s’interroger sur son sens et ses modalités.

Aurélie Sobocinski

De l’autoévaluation à la co-évaluation

« Ce confinement, cette mise à distance, c’est le moment d’expérimenter comment l’évaluation peut être à la fois source de collaboration, de partage et d’une appropriation approfondie des connaissances ! » Hors confinement, Véronique Garczynska, enseignante en SES au lycée La Rochefoucauld à Paris, cherchait déjà à explorer cette voie. « Dans ce contexte, où le format sommatif n’a aucun sens, c’est encore plus utile et il y a beaucoup de choses très intéressantes qui peuvent être faites ! », assure l’enseignante qui met en place avant chaque cours une grille explicitant les objectifs visés lors de la séance et invite les élèves à son issue à les relire en explicitant ce qu’ils sont désormais capables de faire ou non. Podcast à enregistrer pour définir une notion en un temps imparti, QCM en ligne avec des questions aléatoires et donc différentes pour chaque élève à réaliser en même temps, maints formats sont possibles.
« L’idée est d’être très clair sur les attendus pour que l’élève soit capable d’évaluer lui-même, d’analyser ses erreurs pour y remédier et qu’un processus de coévaluation puisse se développer avec l’enseignant », insiste Véronique Garczynska, qui privilégie aussi en la matière le travail en équipe. Chaque semaine, les élèves ont ainsi à rendre une synthèse, un podcast, des photos qu’ils postent sur le padlet de la classe sur un thème donné et où ils sont invités à regarder les productions de leurs pairs et à les coévaluer en leur attribuant non pas des notes mais des étoiles.

Un espace pour le développement de l’oral

A l’institut Ste Geneviève dans le 6e arrdt parisien, la suspension des notes -et de leur intégration dans la moyenne du 3e trimestre- décidée à tous les niveaux de classe de l’établissement suite au confinement, n’a pas été sans réactions : comment donner une valeur autre au travail réalisé par les élèves et susciter leur motivation? Devant le désarroi exprimé par certains enseignants de la communauté éducative, Xavier Mancel, chef d’établissement coordinateur perçoit avec l’équipe de direction dans cette période singulière une occasion féconde d’initier questionnement et réflexion collectifs sur le sens profond de l’évaluation. Quels moyens se donne-t-on pour accompagner des apprentissages différents que ceux réalisés dans le cadre de la classe? Comment indiquer autrement aux élèves ce qu’ils ont réussi ou pas dans les différents temps d’apprentissage ? Et garder mémoire de leurs progrès ? « L’enjeu c’est de sortir du fétichisme de la note ! », insiste le chef d’établissement. Pour cela, plusieurs propositions d’évolution ont été soutenues par l’équipe : celle de passer à un dispositif de grades (A/B/C/D ou E) -logique proche du principe de l’évaluation notée mais qui a pour avantage de casser celle de la note en tant que telle et de la tentation de certains parents de « faire à la place » de leurs enfants pour qu’ils capitalisent les meilleures notes possibles. Autre voie : celle au collège de réactiver la logique d’évaluation par compétences -initiée par la réforme mais pas assez suivie d’effets sur la durée- et sur la façon de s’assurer à distance de la maîtrise d’une compétence par l’élève, moins par un contrôle en temps limité que par une interaction avec lui. Autre piste qui présente beaucoup d’intérêt aux yeux de Xavier Mancel- l’oral et le développement de nouvelles pratiques collectives, par petits groupes -présentation d’exposés, de notions…qui permettent de s’assurer en direct du travail d’apprentissage réalisé effectivement par l’élève. Malgré ces démarches, les inégalités demeurent entre les élèves -parmi lesquels certains depuis des semaines ne sont pas en train d’apprendre. Au retour des vacances de Printemps, pour accompagner les enseignants sur cette question de fond, l’équipe de direction prévoit la mise à disposition d’un répertoire partagé d’outils. Une réflexion en équipe va également s’engager sur le sens et le calendrier des notations qui auront lieu post-confinement en mai-juin ainsi que la communication qui sera faite à ce sujet auprès des élèves et de leurs familles.

 

Plus que l’évaluation, l’importance d’un « feedback » personnalisé

Comment entretenir le lien avec les élèves en ce temps de confinement et faire de leurs travaux à distance un outil d’accompagnement pertinent de leur progression ? Plus que la question de l’évaluation en tant que telle, la priorité pour Jean-Philippe Solanet-Moulin, chef d’établissement de l’école primaire au sein du groupe scolaire Immaculée-Conception à Méru (60) et formateur à l’Isfec de Paris, est d’obtenir le retour le plus fin et proche possible de la réalité des apprentissages de chacun de ses élèves. Pas d’évaluation sommative qui tienne dans ce contexte pour lui, mais le souci d’une montée en compétence sur l’évaluation formative et diagnostique. Pour l’étayer, le directeur qui est aussi enseignant en classe de CM2, s’est appuyé sur une plate-forme d’apprentissage spécifique (Googleclassroom), qui lui permet d’envoyer des leçons, des ressources, des dictées en capsules audios, des vidéos, mais aussi des exercices, des « tests », en format individuel que chaque élève peut compléter en ligne. Dès réception des productions, l’enseignant peut anoter des commentaires, pointer des axes de progrès et les aider à se situer via la mise en place d’une échelle de compétences où leur sont attribuées des étoiles. Toutes les matières- sciences, géographie, français… sont concernées, à l’exception de l’EPS où le chef d’établissement nourrit un projet de mini-séances d’échauffement enregistrées par les élèves à la rentrée des vacances de Pâques. « L’objectif visé est celui d’une rétroaction bienveillante et d’une personnalisation qui permettent, plus encore qu’en temps normal, d’entretenir la motivation et de donner à chacun l’envie d’avancer», souligne le chef d’établissement, soucieux d’évoluer plus encore à l’avenir vers une évaluation positive « réellement au service des apprentissages des élèves ». Pour ces collègues -plutôt du CE1 au CM2- qui ne seraient pas aussi aguerris dans l’utilisation des technologies numériques, Jean-Philippe Solanet-Moulin avec l’équipe de Isfec de Paris ont initié un premier partage d’outils et de fiches simples et accessibles pour assurer ce « feedback » essentiel sur ce qui est produit par les élèves.

« Ne pas masquer cette période mais la valoriser »

Au collège St-Blaise au Vertou (44), l’une des principales difficultés exprimées par les enseignants depuis le début du confinement est celle de l’évaluation qui pouvait être faite sur la progression réelle des élèves dans les contenus disciplinaires, avec le sentiment « de travailler à l’aveugle ». D’où un fourmillement de démarches et d’outils dans l’établissement, engagé depuis la réforme du collège dans une évaluation par compétences, pour proposer d’autres formats -évaluation de l’oral en langues via de nouvelles applications, enregistrements « maison » demandés aux élèves en musique, padlets…. « Aujourd’hui il s’agit surtout de donner du travail à l’élève et la possibilité de se corriger. Cela remet en valeur la capacité d’autocorrection et d’analyse vis-à-vis de ce qu’il réussit ou pas, et de sortir d’une dynamique axée seulement sur des points acquis ou pas », analyse Corinne Rumin, la chef d’établissement. Avec son équipe, elle aimerait faire plus encore de cette expérience l’occasion de valoriser la progression de chacun en termes d’autonomie, d’adaptation, d’organisation, de coopération… autant de compétences souvent masquées derrière l’acquisition des contenus disciplinaires. « Or l’enjeu du collège est bien celui d’armer les collégiens pour être autonomes, savoir s’organiser et commencer à s’autoévaluer dans leurs apprentissages ! », poursuit la responsable. Pour la validation du 3e trimestre, l’idée serait ainsi de travailler sur les compétences « méthodes et outils pour apprendre » du socle commun. En conseil pédagogique, l’équipe doit désormais plancher sur les critères et les échelles de compétences qui permettront de positionner les élèves.

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