Pour une école qui promeut la personne humaine

Fin connaisseur de l’enseignement catholique, le théologien François Moog vient de publier un livre sur les ressources éducatives propres au christianisme. Un essai utile pour relire un projet d’établissement à la lumière de cette « éducation intégrale » au cœur de la pédagogie chrétienne.

Propos recueillis par Sylvie Horguelin

 

Pourquoi ce livre sur l’éducation intégrale ?

François Moog : Il est né de deux convictions et d’une opportunité. Ma conviction première est que la foi chrétienne possède des ressources éducatives si puissantes qu’elles peuvent renouveler une éducation dont on dit qu’elle est en crise. Ma deuxième conviction est que personne n’a la maîtrise de ces ressources et qu’elles ne se dévoilent que dans leur mise en œuvre et dans un dialogue entre chercheurs, croyants et acteurs de l’éducation. D’autre part, j’ai la chance d’avoir pu connaître de l’intérieur l’enseignement catholique. J’ai été tour à tour adjoint en pastorale scolaire, membre d’un conseil diocésain de tutelle, l’un des rédacteurs du Statut de l’enseignement catholique et doyen de l’ISP, la faculté d’éducation de l’Institut catholique de Paris qui forme les professeurs de l’enseignement catholique. Pour un théologien, c’est rare ! Aussi, je me sens une responsabilité d’engager un dialogue avec les éducateurs. Cet ouvrage n’est pas la réponse définitive aux questions qu’ils se posent. C’est un point d’étape qui appelle leur prise de parole. Je l’ai voulu accessible à tous. Je conduis le lecteur dans un questionnement théologique mais mon propos est ancré dans les pratiques.

 

Il s’agit donc d’une invitation...

F. M. : Mon rêve serait de lancer une recherche entre chercheurs et praticiens pour que l’on puisse comprendre comment les ressources du christianisme sont utilisées dans un contexte de sécularisation. Un projet est d’ailleurs en train de naître avec l’Union des réseaux congréganistes de l’enseignement catholique. Urcec1 qui y voit un lien avec ses nouvelles orientations. Ce qui m’intéresse, c’est d’observer comment les éducateurs se saisissent des questions que je porte.
On attend souvent du théologien un discours. On me demande, par exemple, de présenter l’anthropologie chrétienne qui permet de fonder une éducation catholique. Or le plus important pour l’anthropologie chrétienne, c’est la forme qu’elle prend : il ne s’agit pas de concepts ou d’un corpus de textes à assimiler, mais plutôt d’une question ou d’une parole adressée. Elle incite à s’interroger en permanence sur le sens de l’action éducative : « Comment mes actes et mon projet éducatif traduisent- ils ce qu’est une personne humaine ? ».

 

Comment allez-vous travailler avec les congrégations ?

F. M. : Ce travail est en cours d’élaboration. Il s’agit d’engager un échange avec les réseaux congréganistes enseignants sur un temps long, pour approfondir le sens de leur contribution aux enjeux éducatifs et sociétaux actuels. L’objectif est de comprendre, ensemble, comment des réseaux d’établissements s’inspirent de l’Évangile dans leur pratique éducative.

 

Votre réflexion a-t-elle évolué depuis la publication en 2012 de votre ouvrage À quoi sert l’École catholique ?

F. M. : Au départ, je pensais que le théologien avait des choses à dire et qu’il devait les énoncer, ce qui induit bien sûr un discours en surplomb. Depuis, plusieurs expériences m’ont fait changer radicalement de perspective. Lorsque j’ai participé à la rédaction du Statut, j’ai pris conscience de la diversité de l’enseignement catholique sur tout le territoire. Puis les directeurs diocésains d’Île-de-France m’ont demandé de faire travailler ensemble tous les organismes de formation de l’enseignement catholique, qui étaient en situation de concurrence. En 2014, nous avons créé l’Escame (École supérieure catholique des métiers de l’éducation) qui forme une alliance entre quatre établissements de formation : l’Isfec – Île-de-France, l’Afarec, l’Isfec Lasalle-Mounier et l’ISP-Faculté d’éducation. Puis, je suis devenu doyen de l’ISP où je me suis battu pour que la théologie prenne pleinement sa place dans ce dialogue pluridisciplinaire que sont les sciences de l’éducation. Ces expériences m’ont appris qu’il fallait aller vers un échange fécond. Les questions théologiques peuvent nourrir la responsabilité éducative et vice versa.

En 2012, je faisais aussi reposer le projet uniquement sur les personnes. J’ai compris depuis que l’organisation révèle aussi la spécificité du projet : comment les personnes sont accompagnées, comment les décisions sont prises, etc. Ce sont des éléments qui pèsent. Le fonctionnement d’un établissement est un signe et un instrument de la foi en tant qu’elle est une ressource éducative. Nous devons nous interroger sur notre façon de mettre en œuvre un projet, notamment dans le cadre de l’École catholique où la qualité des relations au sein de la communauté éducative possède en elle- même une vertu éducative.

 

Quel cap l’enseignement catholique doit-il garder ?

F. M. : Comme l’a dit le pape François dans Laudato si’ (n° 215), trois logiques peuvent le conduire à une place qui n’est pas la sienne : la logique marchande (les questions économiques guident l’action) ; la logique technologique (on fait passer les moyens avant les finalités) ; la logique technocratique (on applique des décisions prises à un niveau hiérarchique supérieur). Pour éviter ces dangers, gardons à l’esprit les questions que pose l’anthropologie chrétienne. L’enseignement catholique n’existe pas pour lui-même mais pour accompagner des personnes vers le plein accomplissement de leur vie. Cela signifie que l’on n’aborde jamais quelqu’un à partir de ce qu’il fait ou de ses manques, mais de qui il est, une personne. On est là au cœur du projet catholique d’éducation.

 

À quoi renvoie ce concept d’éducation intégrale ?

F. M. : Il a été forgé par Jacques Maritain. C’est lui qui utilise le premier le terme « intégral ». Vatican II s’en inspire et publie en 1965 le premier texte conciliaire sur l’éducation : Gravissimum educationis. L’éducation intégrale s’appuie sur une tradition qui appartient au christianisme, le personnalisme, porté au XXe siècle par le philosophe Emmanuel Mounier. Le terme de « personne » garantit qu’on s’intéresse à un être humain à partir de son mystère. Il est une mise en garde contre tout ce qui contrevient à ce mystère, ce qui déshumanise (misère, violences, discriminations...). L’École catholique doit être un lieu de promotion de la personne humaine, qui favorise l’unité entre les savoirs, les apprentissages et une sagesse de vie. Sans oublier d’être attentive aux petits, aux pauvres et aux exclus. Cet horizon est si ambitieux qu’il nécessite de mesurer régulièrement tout ce que l’on réalise pour l’atteindre.

Qu’est-ce qu’éduquer ?

 

« Quelles sont les ressources du christianisme qui permettront un renouvellement des pratiques éducatives susceptibles d’accompagner l’humanité dans la recomposition culturelle et sociale en cours ? » Pour répondre, l’auteur se penche sur la notion d’éducation intégrale : ses origines, la dynamique qu’elle permet d’envisager, sa portée en mettant la personne, « sujet en acte d’accomplissement », au centre. Une réflexion riche qui éclaire une anthropologie chrétienne en forme de discerne- ment, d’interpellation, d’injonction et d’engagement. Elle appelle des prolongements pour illustrer comment ce projet peut s’incarner dans les établissements et souligner l’importance de l’accompagnement, car l’éducateur aussi est une personne dans la vie de laquelle Dieu agit.

 

François Moog, Éducation intégrale – Les ressources éducatives du christianisme, Salvator, 192 p. 18€.

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