Mis à jour le : 22 septembre 2016 / Publié le : 20 juillet 2016
Paroles d’élèves
Depuis la rentrée 2010, l’Ulis lycée de Fénélon, à Brest, accueille, une douzaine d’élèves, préparant leur insertion professionnelle, à l’issue d’un parcours scolaire adapté. Deux années décisives en forme de tremplin vers une place dans la société, qui permette de vérifier les promesses de la loi de 2005 pour l’égalité des droits et des chances.
Par Virginie Leray
Autour de Soazig Ledauphin, la coordinatrice du dispositif, quatre enseignants et une éducatrice spécialisée intervenant pour le sessad (1), accompagnent ce processus. Chaque année, ce sont au minimum quatre stages de quinze jours qui se prolongent souvent durant la période estivale ou sous la forme de stage filé en parallèle des cours, dans une optique de préparation à un apprentissage. Ces jeunes se dirigent vers des CAP hôtellerie, mise en rayon, cuisine, horticulture et, plus rarement, puériculture. Tout en poursuivant la remise à niveau scolaire, les plages d’inclusion en cours s’intensifient, essentiellement sur des créneaux d’ateliers où l’intelligence pratique de certains se révèle.
Enfin et surtout, Soazig Ledauphin et Yolande Kervella, éducatrice sessad, engagent les élèves dans un projet d’année solidaire qui les aide à travailler leur confiance en eux : « Émotifs et anxieux, nos élèves souffrent d’une mauvaise image d’eux-mêmes. Contre la tentation du repli sur soi, nous cherchons à les ouvrir à l’autre, notamment à travers des actions à caractère humanitaire qui les valorisent », expliquent-elles. Tri de vêtements pour le Secours populaire, rencontre de bénévoles des Restos du cœur, échanges avec des résidents de maisons de retraite, initiation aux gestes de premier secours… Des aventures filmées dans un documentaire réalisé par les élèves désireux de se faire mieux connaître à l’extérieur. Une semaine théâtrale et un séjour à Camaret, avec activités nautiques et découverte de la base de sauvetage en mer complètent cet ambitieux programme. Enfin, à l’initiative du sessad, un groupe de parole co-animé avec un psychologue, ainsi que des séances-débats régulières permettent de libérer la parole des élèves et de répondre à leurs interrogations.
Résultat, malgré quelques appréhensions, le groupe-classe s’exprime avec aisance devant la journaliste inconnue et manifeste une réelle envie de se raconter. À travers l’évocation du thème de l’égalité des chances et des droits, ils voient surtout l’opportunité d’expliquer leur ressenti, leur difficulté à accepter et surtout à faire accepter leur différence, leur sentiment d’être mis à l’écart. Seule condition préalable à la discussion : que le mot handicap ne soit pas prononcé bien que ces jeunes soient tous reconnus porteurs de handicap par la MDPH (2), souvent depuis fort longtemps. Une exigence surprenante mais révélatrice de leur malaise autant que l’immense défi posé par l’inclusion : si bien des déficiences peuvent être compensées, la véritable intégration sociale de ces jeunes passe par un changement du regard porté sur eux. Alors que leur fragilité, leur sensibilité, leur fantaisie, leur révolte face aux injustices et leur affectivité pourraient participer à construire une société plus humaine, leurs différences leur sont en effet bien trop souvent renvoyées de manière péjorative.
(1). Service d’éducation spécialisée et de soins à domicile.
(2). Maison départementale des personnes handicapées.
Jordan V. : Après la maternelle, dès 6 ans, j’ai été mis en Clis et ma scolarité est devenue une catastrophe. En Clis, on entre dans un autre monde. Étant le plus jeune de la classe, j’ai été rejeté. En plus, j’ai été trahi. Après quatre années à n’avoir que des compliments de la maîtresse, à ma grande surprise, on m’a forcé à poursuivre en classe spéciale au collège alors que j’espérais aller en Segpa. Ça m’a mis très en colère et pour longtemps.
Haude : Moi, c’est le contraire. J’ai vécu l’entrée en Clis comme un soulagement après le CE1 où la maîtresse était méchante. Cette année là, j’ai passé quasiment toutes mes récrés à finir le travail que je n’arrivais pas à faire en même temps que les autres. J’étais punie du matin jusqu’au soir. Rien que d’en parler, je me sens à nouveau très mal.
Jordan V. : Le pire, c’est vraiment l’Ulis collège où les autres élèves nous insultent, nous traitent de handicapés et nous tapent parfois. Aujourd’hui, ça va mieux : les élèves nous regardent mieux et j’ai pris du recul, mais on n’oublie jamais toutes ces moqueries.
Haude : C’est vrai que l’Ulis collège, c’est dur. Un jour, les autres élèves des classes normales étaient venus nous interviewer et ça s’est amélioré. C’est sûr que ces souffrances resteront toujours là. Mais je préfère quand même avoir eu ce parcours en Ulis plutôt que de faire comme un copain à moi qui n’arrive pas à suivre les cours, n’arrête pas de redoubler et est très déprimé.
Aurélien : Je suis allergique au mot normal comme au mot impossible, d’ailleurs. Ça n’existe pas, la normalité.
Jordan L. : Moi, je n’ai pas bien compris pourquoi j’allais en Clis à 7 ans. Petit à petit, j’ai réalisé que j’avais cette lenteur, ces difficultés à me concentrer… Et puis, j’avais d’autres problèmes… Mes parents se séparaient, ma mère était souvent à l’hôpital… Je mélangeais ma famille d’accueil et mon chez-moi. Comme Jordan, j’ai toujours espéré rejoindre un cursus classique… Mais non. Finalement, en Ulis pro, c’est motivant les stages et l’intégration en cours. J’ai aussi pu faire du théâtre, ce qui m’a fait faire d’énormes progrès en expression orale, m’a aidé à aller vers les autres. Actuellement, je prépare un apprentissage CAP mise en rayon.
Manon : Les stages de cette année, c’est vraiment super. C’est ça qui m’a permis de décider de m’orienter vers un CAP hôtellerie-restauration.
Cindy : Cette classe est bien mais, parfois, j’en ai quand même ras le bol. Depuis ma naissance, il y a un problème… J’enchaîne les suivis – kiné, orthophonie, psy… –, je ne choisis pas mon orientation ni même mon établissement. On n’est pas traités comme les autres et c’est dur à vivre, même si c’est pour nous aider.
Jordan V. : Ces classes spéciales, ça peut nous donner la chance de rencontrer de bonnes personnes qui nous font avancer. Mais parfois c’est décourageant. Il faut s’accrocher deux fois plus.
Mélanie : Quand on me demande en quelle classe je suis, je n’ose pas répondre de peur d’être mal jugée. Même au sein de la famille, ma sœur et moi on est les seules à avoir cette maladie et tous ces problèmes, et on n’aime pas en parler.
Aurélien : Je suis né autiste, c’est-à-dire avec une manière différente d’appréhender la réalité. Les premières années de ma vie, je suis resté très focalisé sur ce qui se passait à l’intérieur de moi. Puis je me suis ouvert à l’extérieur et, avec une AVS, j’ai pu suivre les cours jusqu’en quatrième, où on m’a donné le choix entre redoubler ou passer en Ulis. Je n’ai pas voulu perdre un an mais j’ai tout de même vécu ce passage en Ulis comme un croche-patte général qui cause de très grandes douleurs.
Jordan V. : Oui, on éprouve de la haine et de la violence.
Aurélien : Non, c’était plutôt de la honte lorsque je retrouvais mes anciens camarades de classe en intégration… Ensuite, j’ai réussi à prendre du recul. Je me suis reconstruit, j’ai perdu mon petit côté arrogant… et comme mon niveau scolaire était assez bas, j’en ai profité pour réviser les bases. Enfin, les plus grands tableaux se font avec les couleurs les plus sombres. Je n’ai pas changé mais j’ai mûri. On ajuste son comportement mais on est ce que l’on est et on le restera jusqu’à la fin.
Pauline : Certains pensent qu’on doit être mis à part parce qu’on est différents. Ils ont tort. Comme tout le monde, on a surtout besoin d’un bon environnement pour se sentir bien, d’être accepté et en confiance.
Aurélien : Le droit essentiel, c’est celui d’être respecté. Il faudrait aussi ne pas avoir peur d’en finir avec les classements et les étiquettes… Et puis nous ne sommes pas si étranges que cela. Je discute beaucoup. De tout. Comme tous les ados, j’aime les jeux vidéo, le cinéma, me poser des questions sur la vie en regardant l’océan, les voyages… Sinon, j’aime aussi aider mon prochain… ce qui est peut-être plus rare.
Cindy : On sait ce que c’est que d’être mal regardés. C’est pour ça que, je ne me permettrais pas de mal regarder un SDF. Au contraire, voir qu’il y a beaucoup de gens dans la misère, ça donne envie de faire quelque chose.
Jordan V. : Moi, les inégalités me rendent malades. Notamment la galère des étrangers dans ma cité…
Aurélien : Je ne supporte pas le racisme non plus.
Mélanie : Le droit à travailler, c’est aussi très important.
Jordan V. : Mais là aussi, il y a des discriminations. Moi j’ai eu beaucoup de refus de stage parce que je venais d’une classe spécialisée…
Cindy : Ce qui m’embête, c’est que pour travailler, je serais obligée d’avoir une RQTH*. Mon père n’arrête pas de me bassiner avec ça. Je sais qu’il a raison et que cela me donnera davantage de chances mais ça m’énerve, et il ne le comprend pas que je voudrais ne pas avoir besoin de ça pour y arriver.
Mélanie : Les stages m’ont montré que je pourrais travailler sans problème, que sur ce plan, je me débrouille comme les autres. Je suis très soulagée de cela, contente et impatiente car travailler me permettra d’avoir le permis, un appart… comme tout le monde.
Pauline : On rêve tous de notre futur appart, de travailler, de fonder une famille… Il faudra bien qu’on finisse par partir de chez nos parents. On perdra de l’amour mais on en regagnera ailleurs.
Jordan V. : Oui, en cuisine, j’ai mes chances. D’abord, je ramènerai des sous à ma mère, puis je construirai une maison et j’aiderais ma petite sœur et ensuite mes enfants à ne pas avoir la même scolarité que moi. Ce que j’aimerais le plus pour l’avenir, c’est que les gens nous regardent différemment.
Mélanie : Ça, ça m’étonnerait quand même que ce soit possible…
Aurélien : … On les interrogera toujours…
Jordan V. : Bon, alors merci à ceux qui m’aident à souffrir de moins en moins des mauvais regards.
* Reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé.