Mis à jour le : 24 avril 2025 / Publié le : 24 avril 2025

« Nous portons une envie de vérité »

Alors que la barre des 200 plaintes concernant Bétharram a été franchie, huit autres collectifs de victimes de violences physiques ou sexuelles en établissements catholiques se sont montés… Un tsunami dont Alain Esquerre et son collectif de Bétharram espèrent qu’il apportera des transformations radicales.

Qu’espérez-vous de cet élan de libération de la parole dans l'Enseignement catholique ?

Alain Esquerre : Il n’est pas facile d’aller en gendarmerie remplir un dépôt de plainte pour des faits qu’on s’est employé à oublier voire à cacher pendant des années… Il y a un devoir de compassion envers les victimes qui engagent cette démarche douloureuse mais essentielle. Leur parole doit être entendue et crue. Confrontées, enfants, à des univers de pédocriminalité, au huis clos et au silence, ces personnes veulent aujourd’hui sortir de l’oubli. Et on leur oppose la question de la preuve et de la prescription, au lieu de les reconnaître comme victimes. Je ne suis pas offensif et je souhaite éviter tout effet de chasse aux sorcières. Mais je porte, avec le collectif, une envie de vérité, y compris sur d’autres crimes, moins faciles à détecter parce que perpétrés de manière isolée et non pas en masse comme à Bétharram. Je souhaite accompagner des transformations radicales qui nécessitent courage et exemplarité pour que les responsabilités engagées soient pleinement assumées. C’est pourquoi je participe à la commission d’enquête souhaitée par les Pères de Bétharram et j’espère que moi et d’autres victimes auront l’occasion de travailler avec l’Enseignement catholique.

Qu’attendez-vous-en plus de la reconnaissance des fautes du passé ?

A.E. : La reconnaissance pour les victimes d’un véritable statut pourrait aller au-delà du symbolique et leur donner accès par exemple à des soins gratuits, des thérapies et d’autres formes de réparation. Par ailleurs, ce qui m’a incité à agir, c’est de me rendre compte que l’un de mes anciens surveillants, dont j’ai subi les violences, était toujours au contact de jeunes à Bétharram. Lorsque j’ai récolté une trentaine de plaintes à son encontre, dont sept pour des violences sexuelles, j’ai été stupéfait de me heurter à une fi n de non-recevoir de la part du chef d’établissement. Ce réfl exe persistant de vouloir protéger l’institution au détriment des jeunes, de ne pas faire de vagues, est irrecevable.

Comment cela peut-il changer ?

A.E. : Il faut développer des dispositifs qui permettent de communiquer entre acteurs éducatifs. Quand on voit que les collectifs de victimes sont réduits à créer de pauvres pages Facebook pour dénoncer les sévices endurés, des années après les faits, c’est bien la preuve que les moyens de signaler de tels abus dysfonctionnent ! Il faut aussi faire davantage de contrôles dans les établissements, y compris inopinés, et incluant des entretiens privés avec les élèves. Nous souhaiterions également la création d’une application qui permette aux élèves de lancer des alertes. Mais il ne faut pas exclusivement investir le côté répressif en négligeant le volet préventif.

À quelles actions de prévention pensez-vous ?

A.E. : Il me semble que l’entrée dans les métiers éducatifs, comme dans ceux du soin, d’ailleurs, devrait être davantage accompagnée. J’espère que l’affaire Bétharram permettra aussi de libérer la parole entre professionnels sur le sujet des maltraitances. Lever ainsi les tabous aidera à repérer les signaux faibles et à y réagir de manière adaptée, sans culpabiliser immédiatement les professionnels. Ils doivent avoir droit à l’erreur et un dérapage isolé (s’il ne s’agit ni d’un crime ni d'un délit, bien sûr) n’est pas si grave si l’auteur s’en excuse et peut bénéfi cier de soutiens adéquats. C’est en en parlant qu’on parviendra à persuader la société dans son ensemble que la violence contre les enfants, qui a un coût social et sanitaire important, n’est pas une solution. Des lieux comme Bétharram ont aussi existé car des parents voulaient que leurs enfants y soient redressés… et je ne m’explique pas que personne n’ait encore remercié notre collectif pour avoir mis un pédocriminel derrière les verrous. Il y a également à intervenir dans la formation des jeunes prêtres. Des victimes pourraient leur faire prendre conscience combien quinze minutes d’égarement avec un enfant peuvent briser sa vie entière.

Propos recueillis par Virginie Leray

Article paru dans ECA n°426 (Avril-Mai 2025)

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Alain Esquerre
porte-parole du collectif des victimes de Bétharram

Le Silence de Bétharram,
Alain Esquerre et Clémence Badault,
Michel Lafon, 256p. 18,95€

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