Première journée des rencontres nationales des mixités

À rebours des clichés ambiants sur l’entre-soi supposé de l’Enseignement catholique, 200 de ses acteurs se sont réunis, le 18 janvier dernier à Paris, autour de l’enjeu de mixité sociale. Il s’agit en effet de mettre en œuvre le protocole d’accord signé en mai dernier entre Pap N’Diaye, alors ministre de l’Éducation nationale, et Philippe Delorme, secrétaire général de l’Enseignement catholique, pour la développer davantage dans ses établissements.

Une moitié de participants a réfléchi à de nouveaux indicateurs permettant d’évaluer la qualité de l’accompagnement proposé aux élèves défavorisés et destinés à enrichir la base de données Items, qui objectivera, dès l’an prochain, le profil socio-économique des établissements et leurs tarifs.

Un autre groupe a travaillé aux bonnes pratiques en matière de dialogue avec les élus locaux dont le protocole mixité requiert la coopération, notamment à travers une répartition équitable des aides sociales accordée aux élèves.

La réflexion se poursuivra le 25 mars prochain lors d’une nouvelle rencontre qui traitera de la modulation des contributions familiales et des modalités de création d’établissements répondant à un objectif de mixité accru.

« Pour donner de la visibilité à ce que l’on fait et éviter que l’enseignement catholique soit caricaturé, il nous appartient de mettre en œuvre le protocole sur la mixité signé le 17 mai dernier avec le ministère de l’Éducation nationale, car l’accueil des plus fragiles et des plus pauvres est essentiel, a exprimé Philippe Delorme, secrétaire général de l’enseignement catholique, en introduction des Rencontres Journées Mixité qui se tenaient le 18 janvier à l’espace Montalembert de Montrouge et au centre lassallien de la rue de Sèvres.
Ces travaux, pleinement inscrits dans la démarche Prospective à laquelle ils donnent un élan supplémentaire annoncent les actions « concertées et vitales » pour le réseau, que Philippe Delorme a appelé de ses vœux.

Son adjointe, Nathalie Tretiakow, a défini les deux grands principes guidant la réflexion collective d’une assemblée très « mixte », composée de chefs d’établissement, d’enseignants, de directeurs et d’adjoint diocésains : « l’accueil de tous et de la diversité est une richesse ; l’altérité, est source de progrès et de développement. » Ces lignes directrices du projet éducatif de l'enseignement catholique sont confirmées par la recherche; « de nombreux travaux ayant montré que la mixité scolaire et sociale était une source d’élévation du niveau de chacun » a insisté Sylvie Da Costa, spécialiste de la mixité au pôle Éducation du Sgec, avant de céder la parole aux experts chargés de définir la notion d’indicateurs.

Les indicateurs ne sont pas des objectifs à atteindre

Maïtena Armagnague, professeure en sciences de l’éducation à l’Université de Genève, a rappelé l’importance du contexte dans les différentes mixités – sociales et scolaires –, regrettant la focalisation excessive sur l’élitisme parisien, mécaniquement lié à la sociologie d’un territoire où l’enseignement catholique, sous tension, est moins mixte.
La spécialiste a listé quelques leviers de mixité spécifiques à l’enseignement catholique : sa doctrine sociale, une mobilisation parentale importante, un stock de bons élèves, des alumnis actifs et une autonomie organisationnelle. Parmi les écueils qu’elle a aussi pointés : la sélection des meilleurs élèves, la concurrence entre établissements et la politique parfois dispersée des diocèses.

Pour Bertrand Richet expert auprès du CEE (Conseil d’évaluation de l’école) les indicateurs ne sont pas des objectifs à atteindre mais des outils d’évaluation et d’aide à la décision élaborés à partir d’éléments quantifiables et mesurables. Ils doivent donc être croisés, dans le temps et la durée, avec d’autres types de données et toujours contextualisés, les améliorations éducatives ne se mesurant qu’à l’aulne des besoins des élèves et restant le facteur décisif de leur réussite – devant l’influence des pairs.

L'Indice de positionnement social ne dit pas tout

Cédric Coureur, chef d’établissement de l’école-collège Saint-Joseph-Viala, dans les quartiers Nord de Marseille et signataire d’un CLA (Contrat local d’accompagnement) a témoigné de son expérience. L’évaluation de son établissement a permis de lancer un projet d’aide aux devoirs, de travailler sur le français via un projet sur l’éloquence. « Nous avons la même population que le public voisin. Une majorité d’élèves de familles musulmanes paupérisées. La vraie difficulté est de pallier les différences culturelles, voire médicales. »
Pour Cédric Coureur, les indicateurs actuels ne disent pas tout. « Il faut regarder combien il y a de Pactes parmi les enseignants, quels élèves viennent aux vacances studieuses, combien vont en seconde, quels types de stages font-ils… Ils ne servent à rien sans philosophie derrière. »

Réfléchir pour agir

Le deuxième temps de la journée a été consacré à la visite des kiosques, où des établissements spécialistes des populations scolaires défavorisées ont partagé leur expertise. Enfin, en ateliers, les groupes de travail, volontairement mixtes (CE, DD, adjoints, chargés de mission, enseignants, parents d’élèves) ont planché sur la conception d’indicateurs représentatifs de la réalité du réseau, sous l’œil facilitateur d’un membre du pôle Éducation. Des listes ont été élaborées dans huit grands domaines portant sur les procédures d’inscription, l’accompagnement, la différenciation, l’évaluation, la formation des équipes éducatives… Un padlet regroupant les propositions a été ouvert, ne demandant qu’à être enrichi dans l’avenir.

« Charge à vous de partager, transmettre et diffuser, a appelé de ses vœux Nathalie Tretiakow. Nous sommes en train de réfléchir à d’autres outils collaboratifs pour soutenir cette ouverture et ce déploiement », avant de conclure : « Ne soyons pas réduits à une caricature de ce que nous ne sommes pas ! »

Items: une base de données publique au service de la mixité

 

Lors des premières rencontres de la mixité du 18 janvier dernier, Yann Diraison, adjoint au secrétaire général de l’enseignement catholique, a présenté la version béta d’Items (base d’information et tableau de bord des données économiques au service de la mixité sociale). Comme requis par le protocole d’accord sur la mixité signé en mai dernier avec le ministère, Items permettra d’objectiver plus finement le profil sociologique des établissements et d’afficher leur politique tarifaire dans le but de prévenir l’auto-censure des familles les plus modestes.

Le prototype, en phase de test, sera disponible mi-mars pour les cinquante chefs d’établissement volontaires qui la rempliront. Accessible par Gabriel, il comporte quatre types d’information : forfait, subvention, contribution et restauration. Les modulations, péréquations et « ristournes », seront indiquées ;

Chaque item à renseigner indique les « bornes basses » et « bornes hautes » ainsi que les montants moyens. L’outil pourra également montrer précisément quelles communes payent quel forfait. Avec déjà, quelques révélations à la clés : « Nous avons été surpris de découvrir beaucoup d’établissement avec une contribution à 1€, s’étonne Yann Diraison. Et des collectivités qui versent des subventions -qui restaient jusqu’à présent invisibles- pour des élèves non scolarisés dans leur département. »

Au-delà de la vitrine grand public, des extractions de données, possibles par académie ou par bassin d’établissements, pourront servir au pilotage des directions diocésaines et des Ogec comme au dialogue avec les pouvoirs publics.

En novembre prochain, la saisie (estimée à un temps d’une vingtaine de minutes) sera obligatoire sur l’ensemble du réseau, et se déroulera en même temps que l’enquête lourde.

 

Comment faire comprendre aux collectivités locales combien les iniquités en matière d’aides sociales entre élèves du privé et du public pénalisent la volonté d’ouverture sociale de l’Enseignement catholique ?

Pierre Marsollier, délégué aux affaires publiques du Sgec, fait dialoguer le secrétaire général Philippe Delorme avec le président de l'Apel Gilles Demarquet et le président de la Fédération des Ogec, Pierre-Vincent Guéret avec le député de Meurthe-et-Moselle, Thibault Bazin, en visio.

La tâche, qui incombait aux participants de la Rencontre mixité réunis rue de Sèvrees, est d’autant plus ardue que les élus perçoivent d’un mauvais œil le protocole d’accord mixité, auquel ils n’ont pas été associés, alors qu’il requiert leur coopération : L’Enseignement catholique s’y engage en effet à doubler le nombre de boursiers dans les territoires qui accorderont les mêmes aides sociales à tous les élèves, quelle que soit leur école.

Le forfait n’est pas une libéralité !

D’où un effort de pédagogie et de dialogue engagé depuis l’automne avec l’Association des maires de France, à poursuivre et à transposer localement. Parmi les fondamentaux juridiques à rappeler, au cours de ces échanges, Yann Diraison, secrétaire général adjoint a souligné que « le forfait, contribution obligatoire, ne doit pas être perçu comme une libéralité car il ne fait que garantir le principe constitutionnel de gratuité de l’enseignement ». Autre idée reçue à combattre : les subventions au privé n’ont rien d’illicite. L’article L533-1 du code de l’Éducation autorise en effet le versement des aides sociales – et même d’aides à l’investissement dans le 2d degré. Enfin, il convient de redire que ces financements publics profitent à des établissements participant à l’économie sociale et solidaire et vecteurs de vitalité pour les territoires.

Chères cantines…

Dans le Morbihan, 70 % des écoles bénéficient de la restauration municipale au même tarif que celui du public, ce qui les prémunit des coûts liés aux personnels et aux prestataires et leur permet d’afficher une sociologie équivalente à celle du public.

Lorsque le contexte n’est pas aussi favorable, l’enseignement catholique a alors tout intérêt à s’inscrire dans les politiques publiques qui valorisent actuellement les circuits courts. Ainsi aux Arcades, à Dijon, la participation au dispositif départemental « Repas 100% Côte-d’Or » permet aux familles de bénéficier d’une aide de 300 euros annuels par enfant, en échange de deux repas « terroirs » mensuels. Dans l’Aveyron, le département a ouvert sa centrale d’achat de produits locaux aux établissements de l’Enseignement catholique… dont les prestataires acceptent de jouer le jeu. Les mesures strictement sociales s’appliquent, elles, plus facilement à l’échelle communale, comme à Rodez qui facture les repas au quotient pour toutes les écoles. À Périers (50), petite commune rurale normande, le dispositif repas à 1 euro profite aussi à 21 des 120 élèves de l’école de la Sainte Famille. « Cela s’est fait naturellement car si ces élèves avaient rejoint l’école publique, cette dernière n’aurait pas pu préserver l’équilibre nécessaire entre les trois tranches tarifaires proposées », explique Elianne Robiolle, présidente de l’Ogec locale et de l’Udogec de la Manche.

 

S’inscrire dans les politiques publiques

Pour Pierre Marsollier, délégué général du Sgec aux relations publiques, « on entre dans une relation gagnant-gagnant lorsque les établissements s’inscrivent dans les politiques publiques locales, offrant leur concours face à un besoin scolaire qui augmente, une offre périscolaire qui fait défaut, un équipement sportif ou une cuisine centrale à rénover… ».

C’est précisément la stratégie adoptée par le Caec de Bretagne, qui vient de signer un ÉcoPacte avec la Région Bretagne : souscrire à la politique de sobriété énergétique de la Région lui permet de recevoir une enveloppe de 2 millions d’euros pour une dizaine de lycées engageant des travaux d’isolation ou de rénovation thermique.

Dans le Val-d’Oise, l’enseignement catholique a initié un partenariat avec le Rectorat pour l’accueil d’élèves du public se retrouvant sans affectation au sortir du collège. À la dernière rentrée, une quarantaine d’entre eux ont échappé à l’oisiveté et au décrochage grâce à des parcours de remédiation sur-mesure proposés par des lycées professionnels privés, le département finançant les frais de scolarité. Une initiative remarquée et appréciée des élus : « Sur le bassin de Pontoise, l’enseignement catholique est ainsi entré dans un programme de rencontres inter-établissements au service de la mixité sociale qui donnera lieu à un grand rassemblement de tous les élèves du privé et du public, dans le parc de Saint-Rémi, à Pontoise », détaille Fanny Lebaillif, adjointe au directeur diocésain.

 

Une approche chrétienne des élus

Le secret de ces réussites ? « Une approche chrétienne des élus locaux, qui privilégie l’humain au financier », selon les termes de Thibault Bazin, député de Meurthe-et-Moselle, qui a conseillé : « Plutôt que de réclamer bille en tête les forfaits dus pour les classes maternelles, pourquoi ne pas aller à la rencontrer des élus dans l’optique de partager des solutions sur des problématiques partagées ou de mutualiser des équipements ? N’hésitez pas non plus à les informer de vos difficultés ou de vos projets, en amont de vos conseils d’établissement », citant le contre-exemple d’un maire apprenant le déménagement d’une école… par des parents d’élèves ! Ces derniers, souvent des acteurs associatifs investis dans la vie de leur commune, gagnent d’ailleurs à être associés à ces relations de bon voisinage. Tandis que les Ogec peuvent se concerter pour animer une interlocution commune qui facilite aussi le dialogue, toujours au service du bien commun !

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