Redonner le goût des maths

Alain Cadix, délégué aux compétences et à la formation à l’Académie des technologies, commente l’Avis sur l’enseignement des mathématiques qu’il a présenté à la presse le 28 septembre dernier1. Selon cet expert, il est essentiel de refondre l’enseignement de cette discipline rapidement, comme le confirme les derniers résultats de l’enquête Pisa. 

Propos recueillis par François Husson 

Dans l’Avis de l’Académie des technologies paru le 28 septembre dernier, vous tirez la sonnette d’alarme quant au niveau des élèves en mathématiques…

Alain Cadix : Les évaluations internationales Timss et, dernièrement, Pisa, ainsi que les études nationales, pointent depuis longtemps la baisse du niveau scolaire des élèves français notamment en mathématiques. Et sans maths, pas de sciences ni de technologies ! En France, aujourd’hui, 65 % des lycéens de la voie générale choisissent comme spécialité Mathématiques en 1re, ce qui est plutôt bien, mais 40 % seulement la conservent en Tle. À l’époque des séries, seulement 44 % des lycéens en série S avaient le goût des sciences. Aujourd’hui, la chute des effectifs en maths à la fin de la 1re nous alarme. Nous risquons, en effet, de manquer d’ingénieurs à l’horizon 2030, quand il nous en faudra 60 000. Actuellement, nous en diplômons 44 000 chaque année. Mais les effectifs des prépas et des IUT/BUT (Bachelors universitaire de technologie, ndlr) sont étales depuis quelques années, et à l’université, ils baissent dans les licences scientifiques. Un réservoir existe, avec deux viviers : les classes sociales défavorisées (elles pensent, pour diverses raisons, que les études scientifiques ne sont pas faites pour leurs enfants) et les filles (elles manquent souvent de confiance en elles et ne se projettent pas dans ces études, hors sciences de la vie et de la Terre). Les neurosciences disent qu’il n’y a pas de déterminisme genré. Il faudrait donc prendre à bras-le-corps les stéréotypes des jeunes et de leurs enseignants concernant les sciences, dont les maths. 

 

Comment restaurer l’image des mathématiques ? 

A.C. : Les imaginaires se construisent tôt. Au collège, par exemple, la technologie, qui est le seul point d’entrée concret vers les sciences, par le biais des objets et systèmes techniques, est un enseignement qui n’est pas encore à la hauteur des enjeux. Notons que les élèves qui entrent en 2de ont déjà eu 1 450 heures de maths. Le fait que beaucoup arrivent au lycée avec une image répulsive de la matière pose un problème. Il faut générer en amont et très tôt de la motivation pour les sciences et montrer que les maths ont une grande utilité, déjà dans la vie courante. Comment ? Par les choix pédagogiques faits et par des témoignages de professionnels, scientifiques, ingénieurs, le plus souvent possible des femmes. C’est important pour que les filles puissent avoir des modèles. L’Éducation nationale commence à ouvrir ses portes. Au collège, les entreprises ont tout intérêt à investir ce champ, pour parler des métiers qui seront nécessaires dans dix ans. 

Dans le même ordre d’idée, le stage de 3e devrait offrir un premier contact avec les technologies et l’industrie. Par ailleurs, il serait bénéfique de s’appuyer sur les retours d’expérience d’anciens élèves des collèges et des lycées concernant leur cursus et leur carrière, et ceci régulièrement. Pour changer les représentations des sciences, dont les maths, il faut surtout de la constance et de la persévérance plutôt que des moyens financiers. Et aller aussi chercher les jeunes là où ils sont, c’est-à-dire sur TikTok, YouTube, etc. On peut aussi citer les blogs conçus par des enseignants pour les jeunes.

 

Pourquoi les mathématiques ont-elles la réputation d’être difficiles ? 

A.C. : Les maths sont une école de pensée, il faut de la rigueur. La bienveillance est fondamentale en pédagogie, mais attention à ne pas la transformer en laxisme. Un enseignant face à un élève en difficulté doit se demander si celui-ci a bien compris la question, quel a été le cheminement de sa pensée et à quel moment il s’est trompé. Il existe des « heuristiques intuitives » qui font basculer vers l’erreur et c’est cela qu’il faut repérer, comme dans le cas des additions de fractions, où certains additionnent intuitivement les numérateurs et les dénominateurs. 

 

Justement, les sciences sont-elles correctement enseignées à l’École ?

 A.C. : Nous recommandons une refonte de la didactique des mathématiques et des sciences, et ce, dès le CP, même si les résultats ne se verront que dans dix ou quinze ans. En France, la tradition pédagogique pour les maths s’appuie sur une approche souvent trop conceptuelle, abstraite. Et les enseignants du 1er degré, qui ont majoritairement un profil littéraire, sont en difficulté. Or, la polyvalence doit être réelle. Il faut changer les maquettes de la formation initiale et continue des professeurs des écoles pour que ceux-ci soient à l’aise avec ces disciplines, en favorisant des méthodes plus inductives, comme à S i n g a p o u r, en Estonie, en Pologne et en Finlande : partir plus du concret, des applications, des exemples pour arriver aux notions et surtout aux concepts, dont la maîtrise est indispensable. On peut employer des méthodes ludiques, des outils numériques et même l’intelligence artificielle, qui permet de générer des exercices plus affinés pour créer des automatismes une fois les concepts acquis. Dans le 2d degré, le problème de l’attractivité du métier d’enseignant se pose, bien sûr. Les salaires et les conditions de travail seraient sûrement à améliorer. Les professeurs doivent pouvoir mener des travaux interdisciplinaires, et pour cela être formés de manière moins verticale. Pratiquer au collège une bivalence maths-physique, maths-techno ou physique-techno permettrait de créer des passerelles entre ces matières, car dans la vie elles sont reliées. Pour le lycée, l’Académie recommande de maintenir trois spécialités en Tle et de renforcer les maths en 1re par deux heures hebdomadaires pour ceux qui ne choisissent pas la spécialité. 

 

Que faire pour les élèves en difficulté ?

A.C. : Pour les élèves en grande difficulté́, nous proposons que la durée d’un cycle, à l’école élémentaire ou au collège, à un moment du parcours bien choisi, soit portée à quatre années au lieu de trois, sans redoublement. Le temps additionnel, équivalent à une année, réparti sur quatre ans, permettrait des séquences de remédiation et d’accompagnement en maths, sciences et français. Ces élèves suivraient les autres enseignements du cursus, répartis eux aussi sur quatre ans, pour ne pas créer un cursus à part. Il pourrait être fait appel à des moniteurs pour seconder les enseignants. Cela poserait, certes, des problèmes pratiques et aurait un coût, mais assurément moindre que celui de l’échec scolaire. Par ailleurs, pour éviter le décrochage dans le 1er ou le 2d degrés, nous proposons de mobiliser massivement des étudiants en mathématiques, sciences et ingénierie qui sont en L3 ou M1, afin qu’ils s’engagent dans des dispositifs de soutien pour lesquels ils seraient préparés. Cette activité de monitorat, reconnue par des crédits ECTS, leur permettrait d’aider des enseignants dans leur classe. L’enjeu est de taille, ces dispositifs seraient à expérimenter avant de les généraliser. Le plus tôt serait le mieux.

 

Article de la rubrique Réflexion du n°418 d'Enseignement catholique actualités

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