L’école en mode nomade

Le laboratoire des Initiatives a choisi de consacrer sa soirée du 3 décembre dernier à la présentation de l’antenne de scolarisation mobile pour enfants du voyage de Saint-Genès La Salle, à Bordeaux-Talence. Un dispositif des marges qui rejoint les préoccupations essentielles de l’Ecole inclusive, dont les référents étaient justement en session de formation début décembre.

Conçue sous Jules Ferry pour uniformiser, la culture scolaire ne se laisse toujours pas facilement adapter, que ce soit au handicap comme à certains modes de vie spécifiques… En atteste la soirée d’échanges organisée par le Laboratoire national des initiatives, le 3 décembre 2019, à L’École des cadres missionnés. En marge de la session de formation annuelle des membres du Réseau École inclusive de l’Enseignement catholique, elle présentait le fonctionnement des antennes mobiles dédiées à la scolarisation des gens du voyage.

D’un enthousiasme rayonnant Marie-Alice Chambon et Guillaume Sergues, enseignants de la cité scolaire Saint-Genès à Bordeaux-Talence, ont témoigné du quotidien de leurs deux classes délocalisées sur des terrains précaires et illégaux occupés par des gens du voyage. Ils exercent en fait dans des camions-écoles « s’installant pour 15 jours sur un de ces sites où, contrairement aux aires d’accueil prévues par les schémas départementaux, la scolarité n’est pas pensée, voire inaccessible, à cause des risques d’expulsions et de l’absence de justificatif de domicile », détaille Guillaume Sergues.

Une trentaine de camions sur 14 départements

Ces camions ont commencé à circuler en Seine-Saint-Denis, à la fin des années 60, à l’initiative de l’Aset, association fondée par les Frères de écoles chrétienne, en lien avec l’aumônerie des gitans. Aujourd’hui, l’association compte une trentaine de camions répartis sur 14 départements. L’approche y est résolument pragmatique, tournée vers l’entrée dans la lecture qui représente un fort enjeu d’autonomie.

Parmi les incontournables pédagogiques de ces antennes mobiles : la prise en compte de l’hétérogénéité des publics  - en termes d’âge comme de niveau- et l’entretien, sur la durée, d’une relation de confiance qui implique de partager une part de vie communautaire, depuis le café du matin jusqu’aux mariages et aux enterrements. Il s’agit d’aller vers les familles, de se mettre à leur écoute explique Marie-Alice Chambon : « Nos chefs d’établissements -primaire et collège- viennent aussi rendre des visites sur les terrains et nous participons de notre côté aux réunions de concertation avec les collègues pour leur partager notre travail et nous tenir au courant de la vie de l’établissement. C’est ainsi que l’on peut associer nos élèves au temps fort que sont le cross ou la fête des sciences»

 

« Ado autonome »

Pour approfondir cette dimension inclusive, l’établissement mène depuis cinq ans un projet « Ado autonome » qui prolonge l’enseignement primaire reçu dans les camions au collège : Tous les vendredis, entre 20 et 25 jeunes y sont accueillis dans une salle où des membres de l’équipe enseignante se relaient pour prêter main forte au tandem d’enseignants mobiles. Au menu ; préparation de l’attestation de sécurité routière (ASSR), passage du PSC1 et recherches thématiques sur Internet. Vu le succès remporté auprès des « anciens » élèves de l’antenne mobile, Marie-Alice Chambon et Guillaume Sergues ont encore relevé leurs ambitions l’an dernier en proposant la préparation du CFG, le certificat de formation général. Résultat, quatre des sept candidats présentés ont été reçus, avec les honneurs : « Nous avons organisé une cérémonie officielle de remise du diplôme en présence des familles, du chef d’établissement, de l’IEN gens du voyage, de représentants de l’académie et de la mairie », énumère Guillaume Sergues avec fierté.

Pour intensifier la préparation des candidats puis leur proposer un suivi en lien avec la mission locale -rédaction de CV, recherche de stage, aide au passage du permis de conduire », Saint-Genès aimerait faire monter en puissance le dispositif.

« Ces antennes mobiles œuvrent aux marges mais rejoignent des problématiques essentielles de l’École inclusive, comme l’a fait remarquer Jérôme Gaillard, l’un des coordinateurs du Laboratoire des initiatives : « Il y a dans ce fonctionnement un subtil équilibre entre l’entre-soi, l’entre pair sur le terrain et l’ouverture vers l’extérieur, dans l’établissement scolaire qui se retrouve dans le positionnement des dispositifs Ulis qui proposent une alternance de regroupement et de cours en classe ordinaire. La posture « d’aller vers les familles » peut également interroger utilement l’École »

Paradoxalement, la loi sur l’école inclusive de 2005, a un temps menacé les antennes mobiles, accusées de concurrencer la scolarisation en milieu ordinaire. À Lyon, par exemple seuls deux des trois camions-école préexistants ont été maintenus mais réorientés sur un rôle de passerelle transitoire vers l’école. A Tours, les camions se sont aussi sédentarisés en de petites écoles de proximité avec une vraie valeur ajoutée en termes d’acquisitions psychosociales malgré des soucis de régularité et de ponctualité récurrents.
Quant aux camions-école bordelais, ils espèrent poursuivre encore longtemps l’école en mode nomade, qui signale aussi « la prise en compte, la reconnaissance d’une culture et d’un mode de vie différent ». Les quelques rares scolarisation en classe ordinaire qu’elles suscitent, tout comme leurs prolongements vers l’insertion sociale et professionnelle démontrent combien cette reconnaissance participe aussi à intégrer les gens du voyage à la vie de la cité.

 

 

 

 

 

 

Les antennes scolaires mobiles
 sur le site du Laboratoire

 

 

 

Le programme des prochaines Soirées des Initiatives, co-organisées par la Laboratoire des initiatives et l'ECM, sur le site du Laboratoire

 

 

 

 

 

 

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