L’École de la liberté responsable

C’est dans un salon de la Maison de l’Amérique latine, à Paris, que Philippe Delorme a reçu les journalistes pour sa traditionnelle conférence de presse de rentrée, le 21 septembre, les locaux du 277 rue Saint-Jacques restant impraticables depuis l’explosion de gaz survenue le 21 juin dernier. S’il salue « la place importante prise par l’Éducation dans le débat public », le secrétaire général de l’Enseignement catholique regrette « l’effacement relatif de la liberté et de la responsabilité » dans ces débats.

Il a donc placé son allocution de rentrée sous le signe de la liberté responsable, en réaction à une tendance délétère à réclamer « plus de cadre(s) ou une réponse univoque à la diversité des situations éducatives ».

Selon lui, au contraire, la liberté responsable, finalité éducative du projet d’éducation intégrale de l’Enseignement catholique, permet d’offrir aux élèves le cadre sécurisant que les familles recherchent et d’apporter sa contribution originale à l’éducation. « Évidemment, de son côté, l’État doit donc continuer à garantir à l’école catholique les conditions de cette liberté. »

Les fruits de la liberté responsable

La démarche Prospective

« L’autonomie des établissements, c’est ce qui apporte aux dispositifs éducatifs de la diversité, de l’énergie, de la souplesse, de l’intelligence dans le fonctionnement et ce qui permet une pratique développée de la subsidiarité. » Philippe Delorme a cité la démarche Prospective de l’Enseignement catholique, qui s’appuie justement sur les initiatives du terrain comme exemple des bénéfices de cette liberté donnée aux acteurs. Qu’il s’agisse de développer la mixité sociale, la créativité éducative et pédagogique ou d’adapter l’offre éducative via des restructurations, rapprochements, voire des fusions. Partout, la Prospective a dynamisé la logique de réseau, au service de la mutualisation d’équipements, de personnels mais aussi d’interlocutions pour la négociation de forfaits, la création ou le déplacement d’établissements… « Par exemple, aujourd’hui même, le lycée agricole Les Buissonnets, initialement basé à Angers (49) inaugure ses nouveaux locaux situés dans la commune voisine d’Avrillé. Avec un projet très ambitieux imaginé avec les collectivités locales et incluant, au-delà de ses 600 apprenants, une crèche, des logements intergénérationnels, un commerce de proximité… Un projet foisonnant qui illustre parfaitement l’ouverture que nous souhaitons vivre », s’est réjoui Philippe Delorme.

 

Le Pacte et le Fonds d’innovation pédagogique

Les récents dispositifs gouvernementaux du Pacte ou du Fonds d’innovation pédagogique donnent davantage de marges de manœuvre aux établissements. Ceux de l'Enseignement catholique sont nombreux à s’emparer du Pacte, la proportion de 70% des moyens alloués consommés dans l’académie de Nantes en atteste. « Ce dispositif permet une reconnaissance de l’engagement des enseignants et offre un levier de pilotage digne d’intérêt », a assuré Philippe Delorme, estimant que le Conseil national de la refondation offrait de même aux équipes la chance « de vivre une dynamique pédagogique commune ».

Encore faut-il que « la révolution copernicienne » que le Président de la République a appelé de ses vœux l’an passé ne soit pas bridée par des résistances administratives, comme le fléchage par certains rectorats de la répartition des Pactes.

Dans le même esprit, Philippe Delorme a pris ses distances avec l’injonction d’organiser l’an prochain 100% de la formation continue des enseignants hors temps scolaire.  « Pourquoi ne pas inciter les enseignants à suivre leurs formations individuelles, moyennant rémunération. En revanche ce doit être progressif pour ne pas diminuer le volume de formation des enseignants. »

Un enseignant dans chaque classe

 C’est le pari tenu dans l’académie de Nantes car l’Enseignement catholique ne subit pas la même pénurie d’enseignants que dans le public… Cela peut être attribué au bon rendement des concours 2022 et 2023, lié à la fois à un nombre de candidats par poste supérieur à celui du public et à la qualité de l’accompagnement des étudiants dans un master Meef qui réserve un à deux mois, en fin de cursus, à la préparation du concours.

L’Enseignement catholique ne se considère toutefois pas à l’abri de toute difficulté de recrutement, notamment dans les disciplines et les académies en tension, mais il gère mieux les remplacements, « grâce à la solidarité et la motivation des enseignants et au Pacte ». De plus, depuis cet été, un décret aligne enfin la rémunération des suppléants du privé sur les remplaçants du public, ce qui les fidélise.

 

Vaccination

Interrogé sur la vaccination, le secrétaire général Philippe Delorme a  évoqué la lassitude des chefs d’établissement de se voir sans cesse investis de missions supplémentaires… D’autant plus sur une question de santé publique comme la vaccination contre le papillomavirus alors même que l’Enseignement catholique ne bénéficie pas de médecine scolaire…

S’il reconnaît que toute campagne de vaccination repose sur une forme de solidarité nationale visant l’éradication d’une maladie, il considère que sur un vaccin non obligatoire, le libre choix des parents, premiers éducateurs, doit bien entendu primer: « les établissements qui le pourront organiseront la vaccination mais il n’y aura bien sûr aucune injonction nationale de notre part », a-t-il conclu.

La laïcité

Sur la question des abayas, Philippe Delorme estime qu’une réponse éducative vaut mieux qu’une interdiction qui ne règle pas le fond du problème, à savoir le repli identitaire.

Il faut dire que le sujet est « peu prégnant » dans les établissements catholiques où la loi de 2004 sur le port des signes religieux ne s’applique pas. « Nous prônons une forme de laïcité qui accorde toute sa place à la rencontre et à la reconnaissance de l’autre.» L’Enseignement catholique a d’ailleurs formé 200 formateurs Laïcité qui instruisent à leur tour l'ensemble des enseignants et personnels de droit privé des établissements.

 La formation par la voie professionnelle

Faire de la voie professionnelle, une « voie d’excellence »… Les orientations de la ministre déléguée aux formations professionnelles, Carole Grandjean, rejoignent tout à fait la dynamique Excellence Pro impulsée par l’Enseignement catholique depuis 2018 !

« L’esprit de la réforme qui entend tenir la double logique d’insertion professionnelle et de poursuite d’études en fonction des aspirations des bacheliers-pro correspond à notre souci de personnaliser les propositions éducatives », souligne Philippe Delorme. Convaincus des bénéfices d’un resserrement du lien école-entreprise, les établissements travaillent aussi à la mise en place des bureaux des entreprises. Cependant, cela suscite des inquiétudes dès lors qu’ils ne bénéficient pas des moyens prévus pour le public.

Dernier impact de la réforme : l’indispensable transformation de la carte des formations, qui amène à penser solidairement les propositions sur un même territoire. Dans l’intérêt des jeunes, et à l’écoute des entreprises, l’Enseignement catholique souhaite faire preuve d’agilité et adapter notre offre. Encore faut-il que nous soyons pleinement associés à la recomposition des cartes de formation.

La douloureuse question du harcèlement

« Le ministre estime que le système éducatif n’est pas à la hauteur de ce combat… et tant que des enfants souffrent… et que certains meurent, on ne peut que partager ce constat », a reconnu Philippe Delorme sur la douloureuse question du harcèlement sur laquelle il souhaite prendre des mesures fortes. Son adjointe, Nathalie Tretiakow a détaillé le programme de protection des publics fragiles mis en œuvre dans l’Enseignement catholique depuis 2018 pour la prévention des violences en milieu scolaire. Depuis cet été, un site ressources 3PF dédié met l’accent sur le harcèlement. Il propose le « plan Boussole », alternative au programme Phare du public, qui « insiste sur la dimension collective de l’approche du harcèlement avec un outil diagnostic qui évalue le degré de co-vigilance des acteurs ».

Effectifs : une bonne nouvelle relative

La baisse d'effectifs observée depuis quatre ans du fait de la démographie semble ralentir cette année. En cette rentrée, l’Enseignement catholique ne perd que 8437 élèves, soit moitié moins que l’an dernier (-18000 élèves) et moins aussi que les projections qui tablaient sur un déficit de 12000 élèves.

Autre signal positif, ce ralentissement de la baisse est notable dans le premier degré où il ne manque que 6000 élèves. Quant à la maternelle, elle a même gagné 300 élèves !

L’évolution est plus contrastée en second degré qui enregistre une perte de 2717 élèves avec une quasi-stabilité en collège (-581 élèves), une perte de 869 élèves en LEGT, une hausse de 1 640 élèves en LP. Les nouvelles baisses significatives en post-bac (-2413 étudiants en BTS et -146 CPGE) réclament une adaptation de ces formations.

« En collège, comme en maternelle, c’est-à-dire là où s’opère le plus nettement le choix des familles, notre attractivité demeure », a insisté Philippe Delorme. À noter : les lycées professionnels se maintiennent, à l’image de l’enseignement agricole (-190 élèves) où les  effectifs d’apprentis sont encore en hausse (+9500 soit +8%). Au total, l’Enseignement catholique dans son ensemble compte 46500 apprentis.

Les écueils
d'une liberté
entravée

Pour évoquer les politiques publiques qui oublient d’associer l’Enseignement catholique, Philippe Delorme a martelé qu’il n’accepterait pas « les inégalités criantes qui persistent entre les élèves du public et ceux du privé, et que nos élèves soient ignorés ou moins bien considérés, à raison de l’établissement qu’ils fréquentent… », rappelant au passage qu’un élève du privé coûte deux fois moins cher au contribuable qu’un élève du public…

 

Un plan de rénovation énergétique des écoles, sans nous !

« Nous sommes particulièrement attentifs au plan pour la rénovation énergétique des établissements scolaires, chantier pharaonique et urgent. On parle de 40 milliards d'euros pour les seules écoles publiques. On l’estime à 5 milliards d'euros pour nos établissements.

Mais comment imaginer qu’il nous sera possible de mener ce chantier à bien sans aucun accompagnement ? », s’interroge Philippe Delorme, évoquant plus largement la question du statut de l’immobilier scolaire des établissements associés à l’État, à clarifier.

L’appel aux collectivités concernant la mise en œuvre du Protocole mixité

« Depuis la signature au printemps dernier d’un protocole pour renforcer la mixité scolaire dans nos établissements, nous travaillons à la généralisation des contributions différenciées des familles en fonction de leurs revenus. L’État tiendra ses engagements, le ministre me l’a confirmé explicitement», a introduit le secrétaire général. Estimant que chacun doit prendre sa part sur ce dossier, il a exhorté les collectivités locales à « apporter leur concours équitable à toutes les écoles, à tous les élèves (…) en matière de transports et de restauration, de politiques sociales, de numérique, ou de transition énergétique ».

AESH 

La non-résolution de la question de la prise en charge financière des AESH sur le temps de la pause méridienne continue de causer de nombreuses ruptures de service au détriment des élèves en situation de handicap. Elles concernent des élèves qui ont une notification spécifique sur le temps méridien parce qu’ils sont dans l’impossibilité de déjeuner seuls en raison de lourds handicaps. Cela ne représente en termes de budget « que » quelques millions et donc une infime partie d'une enveloppe globale de 2,4 milliards d'euros dédiée aux AESH. Il reste pourtant en suspens depuis novembre 2020, ce qui oblige les équipes pédagogiques à « bricoler » des solutions qui ne sont pas satisfaisantes. Sur ce dossier, Philippe Delorme attend que « la proposition de loi portée par le sénateur Vial, suite à une mission d'information sénatoriale qui a auditionné l'Enseignement catholique, apporte enfin une solution ».

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