Mis à jour le : 22 novembre 2016 / Publié le : 6 septembre 2016

« Le malentendu est encore réel »

Cécile Choblet est l’auteur pour le Sgec du rapport « Dispositifs d’insertion - Aides au raccrochage scolaire (1) », paru en mai 2012. Cette formatrice, qui a animé pendant dix ans la Mission d’insertion des jeunes de l’enseignement catholique (Mijec) de la direction diocésaine de Nantes, nous aide à penser la prévention à partir de ces dispositifs.

 

Propos recueillis par Sylvie Horguelin

Le phénomène du décrochage s’est-il amplifié ces dernières années ?

Cécile Choblet : Oui, et j’ai pu mesurer l’évolution du nombre et du profil des élèves concernés ainsi que celle de la prise en charge des situations de décrochage scolaire. Il y a une dizaine d’années, la question restait marginale. Certains établissements accueillaient ces élèves dans des classes spécifiques, appelées « classes rebond », « passerelle »... La « démission » demandée à l’élève et l’exclusion étaient utilisées sans interrogation. La plupart de ces jeunes entraient dans le monde du travail. Aujourd’hui, le profil du décrocheur a évolué : il ne s’agit plus seulement d’un élève de lycée professionnel, de lycée d’enseignement général et technologique, mais aussi de collège. L’ampleur du phénomène interroge notre cadre déontologique, nos pratiques et ainsi le sens fondamental de notre mission dans un environnement plus complexe.

Comment aider ces jeunes ?

C. C. : Des causes exogènes à l’école peuvent appeler des réponses extérieures, comme un recours aux soins. En revanche, si certaines entités comme l’entreprise sont invitées à contribuer à remobiliser un jeune, l’école, résolument inscrite dans un réseau partenarial, conserve son rôle central. Elle reste un lieu d’éducation, d’enseignement et de formation. D’ailleurs, les jeunes ne sont pas dupes de cet enjeu et attendent souvent la reconnaissance de cette institution qui a pu les malmener.

En témoignent cette question d’élèves d’ERS (2), lors de leur première semaine de mobilisation : « Quand est-ce qu’on étudie ? », ou encore le fait que des élèves demandent une reprise de scolarité après une période d’arrêt avec passage en entreprise.

Cécile Choblet
Cécile Choblet

Quelle est la réponse de l’enseignement catholique ?

C. C. : L’enseignement catholique affirme son engagement auprès de ces jeunes et donne des réponses diverses en termes de prise en compte, de suivi et de prévention. Au regard de l’enquête que j’ai menée, on peut distinguer deux types de dispositifs : « en établissements scolaires » et « mobiles » [cf. encadré].

Parlez-nous des dispositifs « en établissements »…

C. C. : Ils sont orientés vers l’accueil et le suivi de jeunes ancrés dans le processus du décrochage, de la rupture scolaire. Ces jeunes, pour la plupart, y retrouvent un réel schéma de remobilisation, de restructuration personnelle, une orientation. L’éloignement d’avec les pairs leur permet de s’autoriser une autre attitude. Ces dispositifs répondent au besoin d’un accueil singulier, d’une organisation particulière.

Ces dispositifs ont-ils des points faibles ?

C. C. : J’en vois quatre. Le fait de rassembler des situations complexes exacerbe certains comportements et conduites à risque et contribue au phénomène de stigmatisation, et l’éloignement évoqué plus haut rend difficile le retour de l’élève dans son établissement d’origine. L’organisation favorise la marginalisation des encadrants (enseignants, éducateurs et cadres éducatifs) et peut les conduire au découragement. Les exigences scolaires sont parfois moindres, la priorité étant à l’acquisition de compétences sociales. Enfin, ces structures nécessitent un encadrement fort pour un faible nombre d’élèves.

Qu’en est-il des dispositifs « mobiles » ?

C. C. : Ils s’inscrivent plus généralement dans le champ de la prévention. Le jeune y conserve le statut d’élève dans son établissement. Il bénéficie d’une prise en charge personnalisée dans un contexte ordinaire. L’accompagnant du dispositif mobile assure ce rôle de tiers qui permet de renouer une relation de confiance, de dialogue, de travail pour le jeune et sa famille. De plus, il peut intervenir auprès du jeune, de l’équipe voire d’un groupe-classe en fonction des besoins. Ici, on pense et on agit en termes de projet, de parcours au regard des exigences scolaires dans un cadre qui permet d’apporter une réponse à tout élève d’un réseau, d’un département.

Comportent-ils aussi des faiblesses ?

C. C. : Plutôt un point de vigilance : certains parcours sont essentiellement organisés autour de la découverte de l’entreprise, d’un métier, au risque de perdre la finalité du projet scolaire.

« L’école, résolument inscrite dans un réseau partenarial, conserve son rôle central. »

Les deux types de dispositifs partagent-ils un même atout ?

C. C. : Oui, ils offrent un « détour pour un retour » : l’élève retrouve estime de soi, confiance en soi, en ses potentialités, reprend plaisir à apprendre, redonne du sens aux apprentissages, s’inscrit dans un projet : projet de vie, projet de formation, projet professionnel.

À partir de ces dispositifs, peut-on penser une prévention ?

C. C. : Je le crois. Dans ces dispositifs, on peut lire en creux ce qui permettrait d’éviter d’arriver à des situations de rupture. Le travail y prend appui sur des principes éducatifs et pédagogiques forts : respect, confiance, résilience, alliance éducative, éducabilité cognitive, accessibilité pédagogique, exigences scolaires, dimension du sens pour tout apprentissage. Ainsi deux pôles interfèrent : celui qui recouvre la sphère relationnelle et éducative et celui qui recouvre la sphère des apprentissages, du pédagogique.

De quels adultes les jeunes ont-ils besoin ?

C. C. : Partons des adultes qui s’investissent dans les dispositifs de raccrochage... Ces structures sont animées par des cadres éducatifs et des enseignants exceptionnels, à fort charisme, empreints d’humanité, de convictions, très investis dans leur travail. Il est cependant inquiétant de repérer chez nombre d’entre eux des signes de découragement, de désarroi voire d’épuisement. Les chefs d’établissement rencontrés ont exprimé leur inquiétude. On les comprend, mais on ne devrait pas regarder ces enseignants comme des spécialistes, des experts qui encadreraient, enseigneraient à un public fragilisé d’un point de vue sociologique, psychologique et/ou cognitif. On sait aussi cette préoccupation portée par les parents d’élèves et particulièrement ceux investis dans les services d’information et de conseil aux familles. C’est bien l’affaire de tous ! Ce n’est pas qu’une question de changement de regard, c’est d’un changement de conception du métier d’enseignant qu’il s’agit. Néanmoins, la démarche induite n’est pas totalement novatrice. Les enseignants de Segpa(3), de lycée professionnel la pratiquent au quotidien !

C’est donc la posture enseignante et ses représentations qui sont interrogées ?

C. C. : En effet car le malentendu est encore réel. Il faut identifier l’enseignant, certes, comme un « passeur de savoirs », mais avant tout comme « un passeur de sens ». Il doit être un professionnel, membre engagé d’une équipe pédagogique et éducative, en lien avec la famille, inscrit dans un réseau de partenaires des secteurs socio-éducatif, de l’insertion, de l’entreprise. Ainsi, la formation des enseignants, l’accompagnement des équipes et des communautés éducatives appellent un relais institutionnel. Le chef d’établissement en est le premier protagoniste : il doit engager la communauté éducative et promouvoir une organisation facilitatrice. Les services diocésains des 1er et 2d degrés réunis peuvent offrir ces dimensions d’accompagnement : des ressources et de la médiation. C’est un bel enjeu collectif, objet de réflexion et d’innovation !

(1). Ce rapport, réalisé pour la mission Besoins éducatifs particuliers du Sgec, fait le tour de nombreux dispositifs diocésains ou d’établissements, concernant l’aide au raccrochage scolaire. Il est accompagné d’un document de 4 pages pour aider les équipes à se mettre en marche. À télécharger sur le site www.enseignement-catholique.fr (Rubrique : « Département éducation du Sgec » puis « mission besoins éducatifs particuliers »).

(2). Établissement de réinsertion scolaire.

(3). Section d’enseignement général et professionnel adapté.

Raccrocher les décrocheurs

Des dispositifs « en établissements »

Dans les établissements catholiques, on trouve deux types de structures pour les décrocheurs :

Des dispositifs organisés selon le cadre de référence législatif en vigueur et créés à l’initiative d’un établissement en lien avec la direction diocésaine et/ou une association. Ils répondent à des besoins relevant du 2d degré. Il s’agit, par exemple, de l’ERS (établissement de réinsertion scolaire) du collège-lycée Fénelon à Vaujours (Seine-Saint-Denis), de la classe relais du collège Le Likès à Quimper ou encore de l’atelier-relais OSEE à Toulouse.

- Des dispositifs organisés selon un projet pédagogique spécifique et créés à l’initiative d’un établissement en lien ou non avec la direction diocésaine et/ou une association. Ils sont une réponse à des besoins relevant du 1er et/ou du 2d degré. Quelques exemples : la « classe passerelle » de l’école Sainte-Bernadette à Marseille, le dispositif « Les raccrocheurs » du lycée La Baronnerie à Angers ou encore le « lycée du soir » aux lycée Sainte-Geneviève à Rennes et Saint-Félix à Nantes… CC

Des dispositifs « mobiles »

Les dispositifs mobiles s’inscrivent plus généralement dans le champ de la prévention. Ils sont :

  • Organisés selon un projet pédagogique spécifique ;
  • Créés par les directions diocésaines sur un réseau d’établissements, un département, une région.

Quelques exemples : les Mission d’insertion des jeunes de l’enseignement catholique (Mijec) Bretagne, Midi-Pyrénées, Pays de la Loire, le dispositif « Ref ado » en Vendée, le service « Accompagnement et Médiation » à la direction diocésaine de Rennes.

Télécharger le rapport. Dispositifs d'insertion : aides au raccrochage scolaire (pdf)

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