Identité de genre: question délicate mais nécessaire

Le 23 novembre dernier, la journée des référents diocésains EARS était consacrée à la question du genre, à laquelle de plus en plus d’établissements se trouvent confrontés.

Noémie Fossey-Sergent

« Un quart des jeunes Français disent ne plus se reconnaître dans la binarité hommes-femmes. De plus en plus de formulaires proposent dans les cases à cocher : “Ne souhaite pas répondre” ou “Autres”. Il y a une accélération sur les questions liées au genre en ce moment et cela va poser bientôt des questions très concrètes : quid des vestiaires, de l’accès aux WC… ? » Invité de la journée des référents EARS (Éducation affective, relationnelle et sexuelle) qui s’est tenue le 23 novembre dernier, à l’ECM, à l’espace Montalembert à Montrouge (92), Jean Matos, chargé de mission bioéthique à la direction diocésaine de Rennes, a dit l’urgence pour les acteurs de l’Enseignement catholique de se pencher sur un sujet qui se fait de plus en plus prégnant dans la société et dont l’École est le témoin.

Un nombre croissant d’établissements déclarent être confrontés à des requêtes liées à un changement de genre de leurs élèves. Comment y répondre ?

« Le sujet est délicat car il vient bousculer une conception anthropologique à laquelle, en tant que chrétiens, nous sommes attachés. Nous tenons à la fois au respect de la dignité inaliénable de la personne, à sa protection et à la prise en compte nécessaire des repères éducatifs qu’une situation vient convoquer : temporalité, co-éducation, accompagnement de l’ensemble de la communauté… Chaque situation étant singulière, elle appelle à nourrir un discernement partagé permettant d’éclairer et évitant à tout prix la tentative de modélisation ou de conclusion hâtive », a exprimé Nathalie Tretiakow, adjointe au secrétaire général et coordinatrice du pôle Éducation du Sgec, qui organisait la journée avec Joseph Herveau, coordinateur du service des dynamiques et pratiques éducatives au sein du pôle Éducation.

 

Des situations très diverses

Premier témoignage très concret : celui de Jean-Marie Chuepo, chef d’établissement du groupe scolaire Saint-Jean, à Douai (59), sur la façon dont il a géré, dans un précédent établissement, la situation d’une élève de terminale ayant entamé une hormonothérapie pour devenir garçon. « J’ai demandé à la famille, qui pensait devoir retirer son enfant de l’établissement, de me mettre par écrit ce qu’elle attendait de nous. En parallèle, j’ai cherché à savoir si l’élève était bien suivie. Elle avait bien un soutien psychologique depuis deux ans. J’ai proposé éventuellement à ses parents qu’elle se tourne vers un accompagnement spirituel... qu’elle n’a pas souhaité. Nous avons géré la situation de façon collective et avons répondu, par écrit, à la demande de la famille, en acceptant de nommer l’élève par le nouveau prénom qu’elle s’était choisi. L’élève a eu son bac et a poursuivi ses études à l’université. » Le chef d’établissement a également veillé à l’impact de cette transition de genre dans sa communauté éducative : dans ce cas, du côté des autres élèves, comme des enseignants, le changement a été bien vécu.

Mais tout ne se passe pas toujours de façon aussi sereine, comme l’a relevé François Neut, adjoint à la direction diocésaine de Créteil, qui a témoigné de différentes remontées faites en conseils pastoraux. Parmi les situations compliquées : cette jeune fille qui a annoncé en 3e à son chef d’établissement vouloir faire une transition de genre et se faire appeler par un prénom masculin. « Les parents n’étaient pas informés et sont tombés des nues. L’établissement a mis en place un accompagnement. La jeune fille a réitéré sa demande en 2de mais semble se fragiliser : scarifications, tentative de suicide… En parallèle, elle s’habille de de manière de plus en plus féminine, ce qui interroge sur la solidité de son choix de devenir un garçon. »

François Neut a témoigné également de la diversité des situations à accompagner : cela va de l’écolier de CM2 qui arrive en jupe à l’école à la collégienne qui demande à se faire appeler Nao… jusqu’aux processus enclenchés de transition de genre avec hormonothérapie. Pour autant, la majorité des situations qui sont remontées concernent des établissements du 2d degré.

 

Écoute et discernement

Face à la spécificité de chaque cas, Joseph Herveau, pour le Sgec, recommande la démarche suivante : « Accueillir, comprendre, discerner et accompagner. » Quatre étapes essentielles qui requièrent « la plus grande prudence et délicatesse », selon Jean Matos, la question du rapport de l’individu à son corps étant particulièrement « intime et complexe ». « Il faut vraiment faire l’effort de comprendre le point de vue du jeune », estime-t-il. Une exigence d’autant plus importante que les personnes confrontées à une dysphorie de genre (définie comme le sentiment d’inadéquation ressenti par une personne entre le sexe biologique qui lui a été attribué et son identité de genre) sont le plus souvent « en grande souffrance, avec un taux de suicide particulièrement élevé dans cette population », a rappelé Oranne de Mautort, enseignante en théologie morale à L’ICP. Pour cette dernière, s’il est normal de « se sentir mal à l’aise face aux personnes qui semblent refuser leur destin », les écouter est essentiel, afin d’amorcer un discernement, qui ne se fait jamais seul, et requiert temps et patience. Selon elle, « il n’existe pas de texte normatif sur la question ». Elle propose par conséquent s’appuyer sur le passage n°310 d’Amoris Laetitia, du pape François, sur l’accueil des fragilités : « L’Église n’est pas une douane, elle est la maison paternelle où il y a de la place pour chacun avec sa vie difficile. »

Face à ces apports, les participants ont partagé plusieurs questionnements : au vu de la multiplication des situations, ne risque-t-on pas de manquer de personnes ressources pour accompagner ces situations, chronophages et de grande ampleur (famille du jeune, jeune, équipe éducative, autres élèves de la classe…) ? Quelle parole avoir auprès des jeunes qui ne se posaient jusque-là aucune question sur leur genre et qui viennent à s’interroger quand un cas surgit dans leur classe ? Comment distinguer questionnement profond d’un jeune et réflexion liée à la période fragilisante de l’adolescence ? Comment gérer en tant que chef d’établissement cet écart entre convictions personnelles, obligations légales et tradition catholique d’accueil inconditionnel du jeune ?

L’après-midi, Isabelle Jouault, juriste au Sgec, a rappelé les procédures légales qui entourent les demandes de changement de prénom et de mention du sexe à l’état civil, fait un point sur les préconisations de l’Éducation nationale en matière de transidentité et alerté sur les comportements discriminatoires qui peuvent être reprochés aux établissements.
Enfin, Aline Ronsmans, d’Apprentis d’Auteuil, a présenté la réflexion et la pratique de son réseau en la matière.

Le direction diocésaine de Paris cherche à outiller ses chefs d’établissement, à la peine pour concilier l'accueil de jeunes  contestant leur identité sexuée.

 

Invitant à mieux prendre en compte des questions d’identité de genre en milieu scolaire, la circulaire de septembre 2021 a confronté les établissements à une inflation de demandes de transition d’élèves, à haut potentiel clivant pour les communautés éducatives.

Pour les accompagner, la DDEC de Paris, qui avait ouvert, il y a deux ans, un groupe de parole pour les chefs d’établissement concernés a proposé à une dizaine d’entre eux, en février dernier, un premier séminaire de trois demi-journées sur le genre. Elle le réédite cette année, en le dupliquant pour un groupe mêlant adjoints en pastorale scolaire et prêtre ainsi que pour un autre groupe de personnels de santé (infirmière, psychologue). « Les documents des rectorats ne peuvent se substituer à notre responsabilité éducative… Il s’agit donc de travailler autour d’un cadre d’accueil qui tienne compte de cette réalité et de ses implications pratiques, tout en permettant de travailler en équipe, dans une visée éducative qui ne trahisse pas les valeurs chrétiennes afin d’offrir un espace protecteur qui laisse au jeune du temps pour cheminer », résume Nathalie Tanchon-Quelquejeu, adjointe à la DDEC 75.

Des apports sur le développement cognitif et physiologique par la pédiatre Karla Monzalvo y côtoient un décryptage des aspects anthropologiques et sociétaux par le père Stalla-Bourdillon. Pour aider à « comprendre sans cautionner » et à « dédramatiser sans banaliser », le religieux propose une analyse du contexte éclairante : « Les problématiques de parité et de remise en cause de la violence du patriarcat brouillent la complémentarité homme-femme et compliquent le questionnement identitaire des élèves. Leurs revendications prospèrent aussi sur l’impensé du sens de la sexualité : On l’a cantonnée à sa fonction biologique, au registre de l’animalité… Or, elle est riche d’autre chose que la religion de l’incarnation doit se réapproprier, à travers la portée symbolique du corps. »

Conscients qu’aucun protocole ne permettra de gérer ces situations, toutes uniques, les chefs d’établissement ont apprécié d’échanger entre pairs sur les adaptations concrètes à envisager – sur les lieux d’intimité – comme sur la posture d’écoute et de dialogue requise. Ils peuvent aujourd’hui poser une parole personnelle et institutionnelle qui les aide à mieux accompagner la souffrance des jeunes et à mieux rassurer les classes, équipes et familles.

 

 

DDEC 75

« Plus de sérénité »

Laurence Gourdon
Chef d’établissement du lycée Le Rebours (Paris XIIIe )

 

J’ai été bousculée par les contestations de genre qui ont surgi de manière assez brutale depuis trois à quatre ans, à raison d’un nouveau cas par an, avec un pic à la rentrée dernière. Cela va d’une demande de changement de prénom jusqu’à l’arrivée d’un élève ayant transitionné pendant les vacances, avec des familles qui, soit se déclarent neutres, soit accompagnent activement la démarche.

La formation m’a aidée à accepter cette réalité, à mieux accompagner ces jeunes, tous en grande souffrance, et à discerner en équipe en limitant sa déstabilisation. Les premières transitions vestimentaires d’élèves avaient suscité des réactions fortes de la part de quelques enseignants ce qui a conduit ces jeunes à quitter l’établissement. De telles situations de blocage sont préjudiciables au jeune, comme au groupe classe, toujours très empathique. Aujourd’hui, on accueille ces situations avec plus de sérénité, en se positionnant dans une recherche de solution collective et les jeunes restent chez nous. Ils se voient proposer des entretiens suivis avec notre psychologue scolaire ou notre prêtre référent.

« Décryptage d’une idéologie »

Nathalie Labat
Chef d’établissement de l’école Massillon (Paris IVe)

 

En primaire, bien que nous observions que toujours plus de garçons ont des cheveux longs et des barrettes, nous n’avons pas encore été confrontés à la dysphorie de genre en tant que telle. En revanche, des situations se posent au lycée et même au collège avec des jeunes portant vernis et teinture, à tel point que nous nous posons la question de faire évoluer notre règlement intérieur pour mieux vivre notre charisme qui nous intime d’accueillir les jeunes tels qu’ils sont. Ce point n’est pas tranché mais la formation m’a permis de comprendre la réalité de la dysphorie de genre, dont j’ignorais tout, et d’approfondir ma réflexion personnelle. Elle m’a aussi armée pour décrypter l'idéologique à l’œuvre dans le discours ambiant. Pour moi, les principaux enjeux liés à ces questions résident dans l’accompagnement de la souffrance des jeunes concernés et la difficulté à gérer les parents des autres élèves, parfois inquiets et hostiles face à ces situations.

Bordeaux : Faire culture commune face aux nouveaux défis éducatifs

 

Couples homoparentaux, orientations homosexuelles affichées, demandes non binaires… Le 23 novembre dernier à Bordeaux, les chefs d’établissement ont profité d’une intervention à trois voix sur les nouvelles questions sociétales animées par la juriste Lea Poignet (Snceel), la psychologue Maguerite-Marie Bourdelet et le Père Arsac, responsable de la pastorale des Jeunes du diocèse de Bordeaux.
"Cette triple approche nous a semblé essentielle pour outiller de la manière la plus complète possible les chefs d'établissement à l'aide d'éléments relevant du droit, de la psychologie et de l’Eglise", explique le directeur diocésain Stéphane Chassard Guillard.

 

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