Mis à jour le : 3 octobre 2019 / Publié le : 30 septembre 2019

La classe Soleil fait rayonner l’inclusion

Avec sa classe maternelle pour enfants autistes, dispositif rare en France, l’école parisienne des Saints-Anges a mis au cœur de son projet l’accueil inconditionnel de tous. Une dynamique construite collectivement, qui inspire tout l’établissement.

Aurélie Sobocinski

 

La classe Soleil des Saints-Anges - © AS

C'est l’heure du regroupement pour les élèves de la classe Soleil, installée au milieu des autres classes de maternelle de l’école des Saints-Anges, au cœur de Paris (XVe arr.). Avec leurs accompagnants référents, Sanel, Yaël, Stacy, Yassine, Ismaïla et Hakim s’approchent de leur maîtresse pour afficher sur le tableau blanc l’étiquette de leur prénom, choisir ensemble le pictogramme de la météo du jour et les chansons qu’ils vont répéter ce matin. Depuis trois ans, Marie-Sulpice, l’enseignante, et son équipe – deux assistantes pédagogiques de l’école, une AVS du recto- rat et des stagiaires psychologues praticiennes – accueillent dans une classe spéciale six enfants autistes « non verbaux », de la petite à la grande section.

À l’origine du projet, la proposition de la direction diocésaine de Paris d’ouvrir une Ulis (Unité localisée pour l'inclusion scolaire) Ted (Troubles envahissants du développement) pour doubler les capacités d’accueil. Marie Blanchet, chef d’établissement, tout juste arrivée d’une école accueillant deux Ulis, n’a pas hésité, même si tout – des financeur (L’association Perce-Neige, les fondations Stanislas et Saint-Matthieu) aux professeurs et accompagnants – restait à trouver : « Un enfant sur 100 naît avec des troubles autistiques et seulement 20 % d’entre eux sont scolarisés en milieu ordinaire. Ce n’est pas assez ! »

Dans ce nouvel établissement situé en zone privilégiée, elle lance ce message : « C’est un service essentiel à rendre aux familles, et une ouverture décisive pour tous. La richesse de l’École n’est pas dans l’homogénéité des profils, mais dans le mélange, dès le plus jeune âge ! » Une question d’accueil, donc, où la maternelle joue un rôle décisif : « C’est là que se construit l’entrée dans un parcours d’écolier. Cela impulse aussi une dynamique qui rayonne sur toute l’école. »

Deux autres classes Soleil en maternelle ont été créées dans l’enseignement catholique : le première à Saint-Dominique (Neuilly-sur-Seine), devenue depuis « UEM-soleil », puis, plus récemment une à Saint-Louis-de-Gonzague (Paris).

Différencier bonbon et gâteau

Dans la classe Soleil, la journée se déroule comme dans toutes les maternelles. Seule différence : l’approche individuelle. Après le temps en commun du matin, chaque enfant repart à son « poste », à l’abri d’un para- vent, pour travailler avec son accompagnant les « cibles » de la journée. Yassine, 5 ans et demi, doit apprendre à différencier bonbon, gâteau et jus de fruits disposés devant lui en les désignant du doigt ; Naël, 6 ans, à « généraliser » en identifiant sur des images toutes les représentations de chats... Diagnostiqués par l’hôpital Robert-Debré, partenaire du projet, ces enfants arrivent en petite section avec un âge équivalent à 12-15 mois du point de vue de leur développement cognitif. « L’enjeu est qu’en trois ans ils en fassent six !, précise Marie Sulpice. Pour répondre à leur mode de fonctionnement propre, j’ai six adaptations à gérer en même temps », indique l’enseignante qui met au point les progressions avec l’aide d’une psychologue de l’association B-aba autisme, en s’appuyant principalement sur la méthode comportementale ABA. -Applied Behavior Analysis (analyse appliquée du comportement) est un programme de techniques de modification du comportement et de développement de compétences pour personnes autistes.

 

Pour autant, la classe Soleil ne fonctionne pas à part. « L’idée est qu’il y ait des temps d’inclusion dès la fin de la petite section », souligne Marie Blanchet. Spécialisée dans l’accompagnement de cette pathologie, elle insiste : « Pour cela, il faut que l’attitude des enfants soit compatible avec la vie en classe et qu’ils aient les compétences intellectuelles pour suivre les apprentissages. L’idée est de n’envoyer personne au casse-pipe, ni les enfants, ni les enseignants. » Devenue personne ressource pour ses collègues, elle les oriente si besoin dans leur préparation pour accueillir des élèves en inclusion. Et chaque rentrée, elle passe dans les classes pour parler du projet, en invitant ceux qui le souhaitent à en découvrir son approche « à la fois ludique, cajoleuse et très cadrée », commente Véronique Levassort, enseignante de grande section, qui a accueilli Hakim dans sa classe cette année. « J’y ai vu des enfants heureux et en progrès. Pouvoir partager toutes les interrogations fait tomber les peurs : on se dit que c’est possible et qu’on n’est pas seule pour y arriver ! »

Collaborer avec les parents

© AS

La place des parents reste encore un défi. « Le lien n’était pas facile au début. Ils éprouvent de la honte, de la culpabilité et sont loin de l’école, car originaires pour la majorité de Seine-Saint-Denis. Or, plus que pour tout autre enfant en maternelle, une continuité est nécessaire entre ce qui se vit à l’école et à la maison pour avancer mieux et plus vite », analyse Marie Blanchet. Après de nombreux échanges et avoir déplacé les temps de formation partagée du samedi matin à des après- midis en semaine quand les enfants sont à l’école, une collaboration s’esquisse. L’Apel de l’école s’est aussi mobilisée en contribuant à l’achat d’équipements.
Les autres élèves de maternelle se sont rapidement investis et Marie-Sulpice s’en réjouit : « On essaie de s’appuyer sur eux comme sur des partenaires par le biais de petits jeux et d’interactions. On leur explique pourquoi leurs camarades ont des aménagements particuliers et qu’il faut arriver à ce qu’ils n’en aient plus besoin. Leur accueil est délicieux. »

L’an prochain, deux des enfants de la classe Soleil poursuivront en
Ulis au CP hors de l’établissement ; un autre sera inclus à mi-temps en grande section ; deux autres rejoindront une institution. Cette (belle) évolution rejaillit sur l’élémentaire. L’an dernier, Louise, une jeune autiste souffrant de troubles de l’opposition (difficultés à maîtriser ses frustrations, colères explosives...), a été accueillie à plein temps en CP avec son AVS formée par Sur les bancs de l’école. Avec cette association de soutien aux familles d’enfants atteints d’autisme, un partenariat précieux s’est noué, qui a ainsi permis l’accueil de trois autres enfants en CE1 et CM2.

Cet article est extrait du n° 392 du magazine ECA qui consacre son dossier à la maternelle, à l'occasion de l'abissement de lâge de la scolarité en cette rentrée 2019.

L’équipe de cette association, composée d’orthophonistes et de psychomotriciens, propose des prises en charge pendant le temps scolaire et des for- mations sur l’autisme destinées aux enseignants. « Notre rôle est d’abord de rassurer les enseignants. Les enfants autistes sont le meilleur témoignage qu’avec un accompagnement adapté, rien n’est définitif ! », indique Florent Legendre, psychomotricien de l’association.
« Sur les bancs de l’école nous aide à trouver des manières d’agir et des outils facilitant l’inclusion. Des habitudes dans l’équipe se sont créées », salue Marie Blanchet, qui voudrait aller plus loin. Avec l’obligation d’instruction dès l’âge de trois ans, la question d’un accueil élargi à tous les handicaps et de leur repérage par les enseignants se pose maintenant avec davantage d’acuité.

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