Mis à jour le : 14 février 2018 / Publié le : 28 juin 2016
Interdisciplinarité : l’enseignement agricole montre l’exemple
Pluri, inter et transdisciplinarité, l’enseignement agricole sait faire ! Un exemple : à l’Institut de Genech, près de Lille, le décloisonnement redonne goût aux apprentissages dès la 4e.
Par Coline Léger
Dans l’enseignement agricole, l’idée de croiser les disciplines ne fait plus débat depuis longtemps. Dès 2005, les référentiels du Cneap (Conseil national de l’enseignement agricole privé) préconisaient cette approche au collège. « Les élèves orientés vers l’enseignement agricole sont en décrochage scolaire et un tiers d’entre eux ont des problèmes scolaires, explique Franz Duprez, directeur adjoint de l’Institut de Genech, établissement agricole situé à quelques encablures de Lille. Nous devons les faire renouer avec le plaisir d’apprendre. Dans notre collège, la transdisciplinarité passe beaucoup par la pédagogie de projet. » « Il s’agit de trouver des stratégies de contournement pour motiver les élèves. En la matière, les établissements agricoles bénéficient d’un support pédagogique unique », renchérit Damien Mouveaux, directeur du collège et professeur de français. Parmi ses 2 100 élèves, l’Institut de Genech compte 280 collégiens (4e et 3e). La spécificité de leur enseignement réside dans les huit heures hebdomadaires consacrées aux modules de découverte (monde végétal, animal, agroalimentaire, aménagement paysager…). Une ferme pédagogique dotée, entre autres, de trentecinq vaches et quatre-vingt brebis, une ferme équestre de trente-cinq chevaux, une serre de collection où s’épanouissent les plantes tropicales, un jardin maraîcher, des productions florales…
Sur les 88 hectares de l’institut, les supports propices aux activités pluridisciplinaires ne manquent pas. Vingt-neuf élèves de 4e ont, par exemple, conçu un jeu de cartes représentant les différentes classes d’animaux (poissons, reptiles, mammifères…). Un projet mené conjointement par le professeur de module animal qui les a guidés sur le contenu scientifique, le professeur de français avec qui les élèves ont rédigé la règle du jeu (emploi de l’impératif) et le professeur d’éducation socioculturelle qui les a aidés à la création du logo et du packaging.
Créneaux de concertation
Autre exemple de ces projets croisés : la vente de jacinthes, qui a contribué l’an dernier à financer le voyage de classe des élèves de 4e. « En cours de français, les jeunes travaillent leur présentation orale et la rédaction de la plaquette. En mathématiques, ils analysent la faisabilité du projet, en calculant le coût de la composition (charges et produits). En module végétal, ils pratiquent le rempotage. En éducation socioculturelle (ESC), ils réalisent l’étiquette des jacinthes… », illustre le directeur du collège.
En devenant acteurs de ces projets concrets, ces élèves en décrochage reprennent confiance dans leurs capacités scolaires. Pour travailler la pédagogie, l’équipe enseignante bénéficie, deux heures par semaine, de créneaux de concertation. Depuis la rentrée, ceux-ci permettent d’affiner l’usage d’un nouvel outil devant faciliter les travaux pluridisciplinaires, dont les collégiens de 4e viennent d’être dotés : la tablette numérique. « Avec elle, les élèves prennent des photos de plantes en module végétal que nous utilisons en biologie », témoigne Thierry Stegmann, l’enseignant qui pilote le groupe de travail sur la tablette numérique. Son usage fait l’objet d’une recherche-action menée avec Myriam Decque, chercheuse en sciences de l’éducation, la Fondation de France et le Conseil régional du Nord-Pas-de-Calais. « Il s’agit d’engager une véritable révolution pédagogique, modifiant la posture du professeur, qui n’est plus seul détenteur du savoir », souligne Damien Mouveaux.
Dans les établissements agricoles, le croisement des disciplines n’est pas réservé aux collégiens. Depuis la réforme de 2006, il est aussi au programme du bac technologique STAV (sciences et technologies de l’agronomie et du vivant).
Deux heures de cours par semaine sont animées par un binôme d’enseignants, sur toute l’année pour les premières,contre un semestre pour les terminales. Ces cours, dont les notes comptent pour le bac, concernent de grands thèmes liés aux territoires, à l’alimentation, à l’activité économique ou culturelle, étudiés sur cinq à dix semaines.
De la philosophie à la physique en passant par l’agroéquipement ou l’histoire-géographie la quasi-totalité des matières y sont représentées. « Ces cours partent toujours du concret », explique Valérie Rose, professeur d’agronomie, qui coordonne les cours de « pluri » de cette filière depuis près de dix ans.
« Nous avons, par exemple, fabriqué un produit laitier avec le professeur d’agronomie puis étudié sa composition chimique et sa concentration massique avec le professeur de physique-chimie », détaille Jean-François Dromby, élève de terminale STAV. « Pour un travail sur la transformation des territoires industriels, nous avons mené des recherches avec prises de photos, par groupe de deux, pour faire un exposé, se réjouit quant à elle France Andrieu, élève dans la même classe. Plutôt que de répéter par coeur le cours d’un professeur, cela permet de mémoriser ce qu’on apprend. »
Les débuts sont parfois fastidieux : « Le premier mois, nous ne prenions pas ce cours au sérieux ! Nous nous sentions lâchés dans la nature mais, très vite, nous sommes devenus autonomes… Et on adore ! », s’enthousiasme Élise Janet, une de leur camarade. La co-animation est source de richesses, tant pour les élèves que les professeurs. « Elle nous contraint à nous coordonner, ce qui donne une meilleure cohérence à l’enseignement, estime Bénédicte Emprin, professeur en BTS horticole, cursus dans lequel les cours de pluridisciplinarité fonctionnent sur le même modèle qu’au lycée professionnel. « En cours de biologie, les élèves voient la photosynthèse ; en horticulture, ils apprennent qu’il faut nettoyer les vitres d’une serre. En co-animant, nous faisons immédiatement le lien. » Les enseignants sont conquis : « En tant que professeur de biologie, j’ai appris concrètement à quoi servaient certaines notions que je leur apprenais ! Avoir deux regards sur un même sujet apporte beaucoup », souligne Thierry Stegmann.
Le Cneap répertorie sur son site les documents produits dans le cadre d’une recherche-action menée en 2008 sur la pluridisciplinarité et l’interdisciplinarité au collège dans l’enseignement agricole.
Pluri, inter ou transdisciplinarité ?
L’enseignement agricole bénéficie de cours de pluridisciplinarité animés par des binômes d’enseignants, tandis que la réforme du collège parle d’enseignements interdisciplinaires. Dans d’autres cas, c’est le terme de transdisciplinarité qui est utilisé…
Ces termes sont-ils interchangeables ? En principe, non. Difficile d’y voir clair néanmoins tant les définitions sont nombreuses et complexes. Pour l’Institut de formation de l’enseignement agricole privé (Ifeap), «la pluridisciplinarité fait le lien entre plusieurs disciplines qui portent sur le même sujet. Mais chaque discipline garde ses objectifs propres».
À l’inverse, « l’interdisciplinarité, fait le lien entre plusieurs disciplines qui ont un objectif commun de compréhension d’une situation ou de réalisation d’une action (projet, animation…) ». Inventée en 1970 par Jean Piaget, biologiste et épistémologue suisse, la transdisciplinarité se distingue de la pluridisciplinarité et de l’interdisciplinarité dans la mesure où elle déborde les disciplines : la complexité qu’elle fait émerger permet de développer des compétences transversales aux disciplines associées.