Débattre de la pénurie de profs

Le 11 octobre dernier, le Snceel invitait, dans les salons du Sénat, à Paris, une soixantaine de ses membres et d’acteurs de l’enseignement pour trouver les parades aux difficultés de recrutement des enseignants.

François Husson

Le plus beau métier du monde ? se demandait le Snceel, première organisation professionnelle de chefs d’établissement de l’enseignement catholique avec 2 300 adhérents. Pour débattre de la question, le Snceel avait invité au Sénat, à Paris, le 11 octobre dernier, une soixantaine de participants pour un petit déjeuner consacré à cette thématique d’actualité sensible : les difficultés de recrutement d’enseignants, en présence de la sénatrice de Vendée, Annick Billon, membre de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat. « Tous les problèmes de la société peuvent être résolus par l’éducation, a-t-elle contextualisé. Il faut arriver à éduquer nos enfants pour qu’ils soient agiles dans la société de demain. »

La sénatrice a pris acte des 4 000 postes vacants à la rentrée dernière, tout en rappelant la situation particulière de la crise sanitaire, qui n’explique bien sûr pas tout. Elle s’est déclarée favorable à de meilleures rémunérations des professeurs, surtout avec la réforme de la masteurisation qui apporte une montée en compétence avec des enseignants recrutés à bac+5, pointant cependant que la revalorisation n’était pas simple à mettre en place, lorsque « ceux qui rentrent sont mieux payés que ceux qui restent ».

Les chefs d’établissement présents ont évoqué les tensions auxquelles ils faisaient face au quotidien devant la pénurie de professeurs. Pour Vivien Joby, le président du Snceel, « la crise des enseignants est au cœur de celle de l’École », la reliant à la « crise de sens » qui affecte l’engagement des nouveaux enseignants. Gilles Demarquet, président de l’Apel, a lui aussi porté devant l’assemblée la prise de conscience des parents devant le problème.

 

10 % de contractuels

Éric Charbonnier, analyste à l’OCDE, a éclairé la situation de quelques comparaisons internationales. Pour l’expert, depuis les deux années de crise sanitaire, les secteurs de la santé, de la restauration, tout comme celui des enseignants, souffrent aussi de pénuries. Mais les difficultés de recrutement des professeurs s’aggravent en France depuis dix ans, même si c’est pire en Allemagne, au Portugal, en Suède, aux Usa, et en Italie où la majorité des enseignants ont dépassé la cinquantaine et partiront à la retraite sous peu…

La France compte 10 % de contractuels, là où l’Espagne en emploie 34 % et l’Autriche 25 %. C’est donc une question européenne dont les réponses devront actionner plusieurs leviers: formation initiale et continue, évolution de carrière et rémunération.

 

« Le métier est un tunnel »

Pierre Marsollier, délégué général du Département des relations politiques et de la prospective du Sgec, s’est tout de même félicité du bon taux de rendement des concours dans l’enseignement catholique : 97% en 1er degré et 94 % en 2d degré, là où le public baisse à 75 %. « Nous ne sommes pas (encore) touchés », estime-t-il avec prudence, avançant comme possible explication la qualité d’accompagnement de l’enseignement catholique.

Le problème des démissions a également été abordé : 2 000 à 3 000 par an. Éric Charbonnier, qui s’en est inquiété, estime que la fonction publique fait moins rêver, l’enjeu devient aussi celui de la mobilité : « On dit aux jeunes qu’ils changeront de métier dans leur carrière, mais pas aux enseignants », a-t-il fait remarquer. « Pour les jeunes enseignants, rentrer dans l’enseignement c’est rentrer dans un tunnel, a confirmé Vivien Joby, qui voit autour de lui quelques enseignants partir jeunes pour se replacer ailleurs. Et « c’est plus dur pour les autres », a-t-il constaté. Face à ce phénomène, le président a loué l’apport des enseignants en deuxième carrière, qui, s’ils veulent pour certains être « plus tranquilles », n’en apportent pas moins dans leurs classes des connaissances solides et précises, issues du terrain et de leurs expériences. Mais ces enseignants devant cependant « repartir à zéro », quelques voix se sont accordées sur l’importance d’une VAE pour ces personnels, qui ne sont pas juniors…

 

La situation des suppléants

La rémunération étant forcément au cœur des débats, Éric Charbonnier a rappelé que la France était en dessous de 10 % de la moyenne OCDE, et de 20 % après vingt ans de carrière, en comptant les primes diverses que peuvent toucher les enseignants selon leur situation.

Jérémy Torresan, chef d’établissement dans la Vienne, a longuement pointé l’injustice de la rémunération des suppléants, malgré les dérogations aux grilles tarifaires pas toujours appliquées selon les académies ; il s’est offusqué que certains étudiants en deuxième année de BTS se fassent débaucher… et touchent plus que leurs profs. « Un scandale », a-t-il estimé, recueillant l’accord bruyant d’une salle conquise. « Pour attirer des nouveaux enseignants Il faut surtout leur donner des perspectives, pour attirer sur le long terme, a repris Annick Billon. Le rapport au travail a changé, et les jeunes ont besoin de sens.

 

Rémunération au mérite ?

Au sujet du conditionnement de la rémunération à l’exercice de nouvelles missions, plusieurs chefs d’établissement ont réagi : quelles missions, sachant que le 1er degré en offre structurellement moins ? Pierre Marsollier a insisté sur la valeur ajoutée des chefs d’établissement, qui peuvent partir de la réalité des besoins des enseignants. Vivien Joby a souhaité que la différence de rémunération ne soit pas liée aux concours et aux diplômes, fustigeant l’égalitarisme régnant qui empêche de faire évoluer les pratiques. Le président du Snceel a souligné les bons rapports développés avec les inspecteurs, pour évaluer ensemble un enseignant, l’inspecteur sur les contenus académiques, et le chef d’établissement sur son rapport quotidien à l’équipe et à son implication dans des projets. En Finlande ou au Japon, la rémunération au mérite est plus inscrite dans le collectif et les projets, a fait remarquer Éric Charbonnier. La Finlande regarde les notes et la motivation de l’enseignant, qui est recruté par le chef d’établissement. Dans cette optique, plusieurs chefs d’établissement ont opiné et ont souhaité pouvoir disposer d’une enveloppe pour mettre en œuvre la rémunération au mérite.

 

Concours ou pas concours ?

Sur le concours, enfin, de nombreuses pistes ont été explorées. Bac+3 ? Bac+5 ? Faut-il le transformer ? Si l’on a convenu qu’il garantissait une exigence de niveau, Vivien Joby a déploré qu’il puisse « être perçu comme un mur pour certains », alors qu’une formation plus pratique sur la pédagogie et la psychologie renforcerait des savoir-être essentiels, à entretenir au fil de l’évolution de carrière par la formation et les projets.

Annick Guillon, se référant à la réforme des études de médecine, souhaiterait « prendre un chemin de traverse » : le faire évoluer sans le supprimer, tandis que Vivien Joby a évoqué un recrutement via une prépa intégrée, comme le font les grandes écoles pour accueillir des étudiants qui évitent ainsi la case concours.

 

Un premier choix de vie

Après ces constats et ces pistes de réformes possibles, Éric Charbonnier a relativisé la situation : le métier attire encore, avec 70 % des enseignants qui affirment que celui-ci était leur premier choix de vie. Optimiste, Gilles Demarquet, a évoqué un vivier de parents qui envisagent ce métier comme deuxième carrière. Pour cela, il faudrait selon lui jouer sur la rémunération et les conditions de travail, mais aussi sur la formation, et surtout sur le sens du métier, pour être à l’écoute des enfants et des leurs aspirations.

Un contexte tendu et une démographie peu favorable rendent décisif le rôle du chef d’établissement, notamment comme « garant du sens de l’enseignement, a conclu Vivien Joby. Il doit le redire à ses équipes, créer un sentiment d’appartenance, développer une formation continue et avoir la liberté de recruter. » Bref, il convient, selon lui, de faire confiance aux chefs d’établissement !

 

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