Mis à jour le : 17 novembre 2016 / Publié le : 24 juillet 2016
Se former à PhiloJeunes pour apprendre aux jeunes à se questionner
Enseignants et éducateurs sont invités à suivre une formation à PhiloJeunes. Ce programme qui démarre cet automne à Paris et Avignon, éduque les 5-16 ans aux valeurs démocratiques et civiques à travers le dialogue philosophique.
Par Virginie Leray
Si l’enseignement moral et civique (EMC) a pour objet « de transmettre et de faire partager les valeurs de la République acceptées par tous, quelles que soient les convictions », leur appropriation implique qu’elles soient discutées et réfléchies collectivement. D’où l’intérêt d’introduire le questionnement philosophique dans les classes, comme y invitent désormais explicitement les programmes, ceux du primaire comme celui de l’EMC.
Marie-Odile Plançon, du département Éducation du Sgec, considère même le questionnement philosophique comme l’un des leviers incontournables du réenchantement de l’École : « Développer l’autonomie des élèves et leur capacité à penser par eux-mêmes et avec les autres, c’est éveiller chez eux l’habitude d’interroger les savoirs, cultiver leur faculté d’étonnement et d’émerveillement, les inciter à la créativité et à l’exercice de leur responsabilité... »
L’enjeu est donc de diffuser cette culture de la sagesse et du questionnement, notamment vers le collège où les nouveaux enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI) peuvent lui offrir un cadre propice. Marie-Odile Plançon a donc noué un partenariat avec deux courants importants de la pratique philosophique avec les jeunes, représentés par Michel Tozzi et Matthew Lipman, afin d’élaborer une formation commune, financée par Formiris sur le fonds de formation dévolu au plan Éthique républicaine de l’enseignement catholique.
Collectif de débat
Cela a donné lieu à l’élaboration des premières sessions du programme franco-québécois PhiloJeunes, ouvertes à tous les enseignants et éducateurs, et qui se dérouleront les 19 et 20 octobre prochains à Paris, puis en novembre à Avignon. Dans son comité de pilotage, figure Michel Tozzi qui a formalisé, dès les années 2000, un des premiers dispositifs de Discussion à visées démocratique et philosophique (DVDP) pour la classe (lire ci-contre). Autre promoteur du projet, Catherine Audrain, sociologue formée à la philosophie est responsable du projet PhiloJeunes à la Chaire Unesco d’étude des fondements philosophiques de la justice et de la société démocratique, à l’Uqam, au Québec. Elle collabore avec la Chaire Unesco sur la pratique de la philosophie avec les enfants, créée à Nantes en novembre 2015 par Edwige Chirouter, notamment pour travailler à la mise en place d’un diplôme interuniversitaire de formateurs. Catherine Audrain promeut une démarche s’appuyant sur les apports du philosophe américain Matthew Lipman, pionnier de la philosophie pour enfants, à laquelle 500 enseignants québécois sont déjà formés. Pour elle, « PhiloJeunes répond aux attentes en matière d’éducation aux valeurs démocratiques et civiques, de prévention de la radicalisation et des dogmatismes. Elle permet de prendre en compte la problématique des réseaux sociaux ou de la diversité culturelle et elle s’attache à enrichir l’approche philosophique en incluant des références historiques et philosophiques. »
Les acteurs de PhiloJeunes, réunis au Sgec fin mai 2016, ont insisté sur l’objectif opérationnel d’une formation qui sert à accompagner les éducateurs volontaires pour expérimenter le guidage philosophique, sans exigence de prérequis. Les responsables de vie scolaire et enseignants de toute matière et de toute filière désireux de stimuler le questionnement des jeunes sur les savoirs, notamment lorsqu’ils croisent des questions d’actualité vive, sont les bienvenus. En plus du dispositif de formation (deux journées d’initiation réactivées, au printemps, avec un troisième temps de perfectionnement et d’analyse des pratiques), Catherine Audrain a annoncé la création prochaine d’une plateforme Internet de mutualisation. PhiloJeunes requiert, en effet, une pratique régulière et des débriefings qui s’enrichissent des retours d’expériences des uns et des autres. Il s’agit donc de bâtir une communauté de recherche enseignante, sur le modèle des collectifs de débats qui, dans les classes, permettent aux élèves de se confronter à l’altérité… Comme autant de laboratoires à ré-enchanter.
« Populariser la philosophie : un enjeu moral et citoyen »
Michel Tozzi, professeur émérite en sciences de l’éducation à l’Université Paul-Valéry de Montpellier 3.
En quoi la philosophie peut-elle contribuer au double objectif de l’EMC de former le jugement moral et d’éduquer à la citoyenneté ?
La pratique philosophique permet de clarifier des concepts clefs dont ceux de la philosophie politique comme les grandes options philosophiques de la morale. Le travail sur les dilemmes éthiques relève de la « sagesse pratique » définie par Paul Ricœur : il permet de nommer et de hiérarchiser les valeurs mais aussi d’aborder les questions socialement et politiquement vives – violence, sexisme, racisme… La Discussion à visées démocratique et philosophique (DVDP) propose enfin une éthique communicationnelle fondée sur la prise en compte de la parole d’autrui. Elle initie à une pratique du débat consubstantielle à la démocratie, c’est-à-dire favorisant la coopération et l’entraide pour chercher avec plutôt que lutter contre.
Quels sont les bénéfices individuels et collectifs de la DVDP ?
Tonifiante, l’expérience du cogito permet à l’individu de se ressentir comme un être pensant. Parallèlement, il progresse dans sa compréhension du monde. Mais ces retombées positives en termes de confiance en soi et de maturation de la réflexion sont liées à la dimension collective de la réflexion. De ce fait, la cohésion sociale des groupes, leur climat, s’améliorent : les conflits se calment, l’affectivité est mise à distance, les discussions sont sereines…
Comment éviter de dévoyer la pratique philosophique ?
C’est tout l’enjeu de la formation que de permettre aux animateurs de DVDP d’assumer leur rôle de vigie philosophique, garantissant l’intégrité des processus de pensée – questionnement, définition des concepts et argumentation des points de vue – qui fondent l’échange philosophique. Il est urgent de démystifier le côté abstrait et rébarbatif de la philosophie pour la rendre plus populaire comme le souhaitait déjà Diderot. Encore une fois, c’est un enjeu à la fois moral et citoyen.
Le dossier de rentrée d’ECA dresse un bilan de la mise en œuvre de la première année d’enseignement moral et civique, un levier pour travailler les compétences psychosociales et le vivre ensemble dans les établissements.
Issu du magazine Enseignement catholique actualités n° 374, août - septembre 2016