Mis à jour le : 27 mars 2024 / Publié le : 7 juin 2016

Abécédaire de la Fraternité

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comme Alliance

 

« Dans l’alliance, le résultat final ne peut pas être attribué à quelqu’un en particulier, mais à tous en général. L’alliance est comme un puzzle où chaque pièce n’a de valeur et de signification qu’à l’intérieur de l’ensemble. L’alliance relève de la communion plutôt que du rassemblement : chacun se perd et se renforce à la fois en faisant corps avec les autres. (…) Penser le collectif sous forme d’alliance suppose de revisiter le fondement de ce qui donne de la valeur à l’action collective. (...) Comme si l’alliance était une histoire de perte et de dé-maîtrise, à la différence du contrat qui se situe plutôt du côté de la maîtrise et de la sécurité. (...) Ce qui fait tenir l’alliance, ce n’est pas ce qui a été prévu et convenu d’avance, comme dans le contrat, mais plutôt l’accueil de l’imprévu. Ce qui garantit l’alliance, ce n’est pas la coercition et la force extérieure mais plutôt l’engagement intériorisé et inconditionnel. »

` “L’économie parle de contrat plutôt que d’alliance, l’alliance va bien plus loin que le contrat : si le contrat permet de se préserver mutuellement des risques, l’alliance fait prendre des risques ensemble. Si le contrat assure l’avenir, l’alliance fait devenir créateur d’avenir. Si le contrat est de l’ordre du compromis et de la concession mutuelle, l’alliance est de l’ordre de la création et de l’engendrement réciproques.”

Elena Lasida, la fragilité en économie : chance ou menace, in la fragilité faiblesse ou richesse ?, Albin Michel, 2009.

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comme Bien Commun

Le bien commun présuppose le respect de la personne humaine comme telle, avec des droits fondamentaux et inaliénables ordonnés à son développement intégral. (…)
Dans les conditions actuelles de la société mondiale, où il y a tant d’inégalités et où sont toujours plus nombreuses les personnes marginalisées, privées des droits humains fondamentaux, le principe du bien commun devient immédiatement comme conséquence logique et inéluctable, un appel à la solidarité et à une option préférentielle pour les plus pauvres.
La notion de bien commun inclut aussi les générations futures. (…) On ne peut plus parler de développement durable sans une solidarité intergénérationnelle. Quand nous pensons à la situation dans laquelle nous laissons la planètes aux générations futures, nous entrons dans une autre logique, celle du don gratuit que nous recevons et que nous communiquons.(159)
Quand nous nous interrogeons sur le monde que nous voulons laisser, nous parlons surtout de son orientation générale, de son sens, de ses valeurs. Si cette question de fond n’est pas prise en compte, je ne crois pas que nos préoccupations écologiques puissent obtenir des effets significatifs. Mais si cette question est posée avec courage, elle nous conduit inexorablement à d’autres interrogations très directes : pour quoi passons-nous en ce monde, pour quoi venons-nous à cette vie, pour quoi travaillons-nous et luttons-nous, pour quoi cette terre a-t-elle besoin de nous ? C’est pourquoi, il ne suffit plus de dire que nous devons nous préoccuper des générations futures. Il est nécessaire de réaliser que ce qui est en jeu, c’est notre propre dignité. Nous sommes, nous-mêmes, les premiers à avoir intérêt à laisser une planète habitable à l’humanité qui nous succèdera. C’est un drame pour nous-mêmes, parce que cela met en crise le sens de notre propre passage sur cette terre. » Pape François, Laudato si, 2015.

“Il y a une multitude d’hommes et de femmes qui cherchent chaque jour à faire un peu de bien autour d’eux comme ils le peuvent, à leur mesure. Selon l’interprétation évangélique de l’existence, le Christ ressuscité est présent dans leur vie, ils sont déjà fils et filles de Dieu, parfois sans qu’ils le sachent. “C’est à moi que vous l’avez fait” dit Jésus.
Voilà le point de départ de ce qu’on pourrait appeler une démarche d’engendrement.” Philippe Bacq, Pastorale de l’engendrement,[http://www.plestang.com/engendrement.php].

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comme Confiance

« C’est l’autre qui croit en moi et saisit si je crois en lui. Parce qu’elle échappe à l’emprise du sujet, la confiance introduit l’autre dans le jardin le plus secret. Quand on fait confiance, on se retrouve sans la sécurité du savoir objectif, livresque, extérieur. Mais on connaît, par l’intérieur, cet autre qui permet d’exister. Cette expérience rejoint celle de l’art. »
« (le doute) n’est pas que méfiance, encore moins ignorance. Il est partie intégrante de la confiance, au sens précis où il permet à la confiance de ne pas enquêter exagérément ni sombrer dans l’assurance qui serait sa mort par l’évidence matérielle. Cette réserve permet à la confiance de rester elle-même, c’est-à-dire de tenir en même temps un élan vers l’autre et la conscience que l’autre échappe aux mains qui l’enserrent car il dépasse leur prise. Ce qui est assuré n’appelle pas la confiance, mais la certitude et la possession. Ce qui est avéré devient un objet. La confiance en appelle au sujet, donc elle connaît une hésitation, celle de ne jamais correspondre à une réalité certaine, tranquille, inerte. Ce doute protège le sujet par une sorte de respect. (…) Se tenir entre la possession et la fuite, pour conserver les deux aspects de la confiance en l’autre et du respect qui ne s’en empare pas, désigne précisément ce dont il est question. Cette réserve permet la marche, l’avancée, la recherche. Le doute naît de l’inachèvement, non point pour contrecarrer la confiance mais pour la laisser avancer. Cet inachèvement engendre l’histoire, alors que la possession souhaite l’immédiat ou l’éternel. Il se produit un manque où renaît le désir. Mais ce manque fait également peur : le doute entraine ce que l’on redoute, de ne plus rien tenir en ses doigts. Le doute dégénère en besoin de posséder un objet qui ne cesse de lui échapper. La crainte rapetisse le désir, alors que la confiance, en ne possédant pas, apprend à se dépasser dans une relation mutuelle de plus en plus dense. Alors naît la fidélité. » Mgr Albert Rouet, L’étonnement de croire, Editions de l’Atelier, 2013.

“- la confiance suppose de dépasser les impressions, les emballements et, pour cela, pouvoir et oser connaître,
- la confiance naît dans une rencontre. Elle ne s’appuie pas sur les qualités ou le refus des défauts de l’autre.
- la confiance accepte les fragilités de chacun. Mais sait poser des limites. Certes, chacun peut être médiocre, mais il ne doit pas s’y résigner,
- la confiance nécessite l’échange, la parole, voire le conflit pour se maintenir dans l’évolution du temps,
- la confiance accepte les passages à vide, les souffrances même au prix de l’inquiétude ou de la jalousie,
- la confiance tient compte des maladies, de l’histoire blessée de chacun. Elle reconnaît les domaines où il convient de ne pas faire confiance,
- la confiance nécessite une confiance en soi aussi, en ses capacités de rebondir, de résilience,
- la confiance remet en chantier les équilibres précédemment obtenus,
- la confiance prend des risques. Elle se développe tout en sachant qu’il n’y a pas de sécurité à 100%.” Mgr M. Dubost, Le courage du geste fraternel, Paris, Artège. 2015.

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comme Don

« tout don est de l’ordre d’un pari sur la générosité en retour de celui qui a reçu le don. En affichant la confiance que l’on a ou croit devoir avoir en l’autre, on le met au défi de manifester sa générosité en retour et de faire confiance à son tour au donateur. Le don est donc un opérateur de confiance. Une fois ce climat de confiance instauré, tout le monde est gagnant. (…) Plus généralement, montre Jacques T. Godbout, dans le régime du don mutuel prévaut ce qu’il appelle un sentiment d’endettement mutuel positif. Chacun a le sentiment que l’autre donne plus que ce qu’il reçoit.
(…) Oui, le don peut être rentable, il peut être intéressant d’être désintéressé. Mais pour que le don rende, pour qu’il rapporte une forme d’intérêt, un intérêt sur don en quelque sorte, il faut qu’il ait comporté une part de véritable désintéressement. Qu’il n’ait pas été fait pour cela.
(…) Ce que nous montrent tant l’ethnologie - et notamment l’Essai sur le don, que l’histoire, la littérature, etc. c’est, au contraire, que ce que nous désirons avant tout n’est pas tant de satisfaire nos besoins que d’être reconnus. » Alain Caillé
« Le rehaussement du lien social dans notre société passe donc par une prise de conscience de l’importance du donner-recevoir-rendre dans les relations interpersonnelles, dans la construction de la personne, et dans la vie collective.
Le don anthropologique revisité par la modernité peut permettre aux individus libres de nouer des liens de société et de communauté sans tomber dans le communautaire.
Pouvoir donner, pouvoir recevoir, pouvoir rendre, c’est exister aux yeux d’autrui, c’est avoir une valeur et une utilité, c’est accéder à une autonomie, et à une certaine égalité. C’est une condition de la citoyenneté sociale et cela mériterait d’être posé comme tel. » Jean-Baptiste de Foucauld, les trois cultures du développement humain, Odile Jacob, 2002.

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comme Éternité

« Cependant, tout n’est pas perdu, parce que les êtres humains, capables de se dégrader à l’extrême, peuvent aussi se surmonter, opter de nouveau pour le bien et se régénérer, au-delà de tous les conditionnements mentaux et sociaux qu’on leur impose. Ils sont capables de se regarder eux-mêmes avec honnêteté, de révéler au grand jour leur propre dégoût et d’initier de nouveaux chemins vers la vraie liberté. Il n’y a pas de systèmes qui annulent complètement l’ouverture au bien, à la vérité et à la beauté, ni la capacité de réaction que Dieu continue d’encourager du plus profond des coeurs humains. Je demande à chaque personne de ce monde de ne pas oublier sa dignité que nul n’a le droit de lui enlever. »(205) Pape François, Laudato si, 2015.

« Il est toujours possible de développer à nouveau la capacité de sortir de soi vers l’autre. Sans elle, on ne reconnaît pas la valeur propre des autres créatures, on ne se préoccupe pas de protéger quelque chose pour les autres, on n’a pas la capacité de se fixer des limites pour éviter la souffrance ou la détérioration de ce qui nous entoure. L’attitude fondamentale de se transcender, en rompant avec l’isolement de la conscience et l’autoréférentialité, est la racine qui permet toute attention aux autres et à l’environnement, et qui fait naître la réaction morale de prendre en compte l’impact que chaque action et chaque décision personnelle provoquent hors de soi-même. Quand nous sommes capables de dépasser l’individualisme, un autre style de vie peut réellement se développer et un changement important devient possible dans la société. »(208) Pape François, Laudato si, 2015.

“L’éducation sera inefficace, et ses efforts seront vains, si elle n’essaie pas aussi de répandre un nouveau paradigme concernant l’être humain, la vie, la société et la relation avec la nature.” Pape François, Laudato si, 2015.

« La vraie nouveauté surgit dans la naissance, naissance à soi-même qui est aussi une ouverture au monde et aux autres. Car le neuf ne surgit que dans le décentrement de soi. « L’homme est ouvert par le christianisme, écrit le poète Valère Novarina, - et il s’y représente autrement. Il se présente et il s’offre autrement. Il y a quelque chose dans le christianisme qui vient briser la clôture humaine. » Sortie de l’homme hors de lui-même, sortie de l’Eglise hors de ses frontières. Le neuf jaillit de l’ouverture à ce qui nous excède. »
[...] Ce christianisme vise à encourager une démarche d’espérance à juste distance du catastrophisme ambiant ou d’une idôlatrie du progrès. Nous croyons que la création n’est pas achevée. L’histoire n’est pas finie, nous ne sommes pas voués à la décadence et à la mort. Nos sociétés ont un avenir, que le christianisme peut contribuer à réinventer. » François Euvé, Nathalie Sarthou-Lajus, Pour un christianisme d’innovation, Etudes n°4212, janvier 2015.

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comme Fraternité

« La liberté, on peut l’instituer. L’égalité, on peut l’imposer. Mais la fraternité, non. Elle ne peut venir que d’un sentiment vécu de solidarité et de responsabilité. Et pourtant la fraternité est ce qui fait tenir le triptyque. La liberté seule tue l’égalité ; l’égalité imposée en principe unique tue la liberté. Seule la fraternité permet de maintenir la liberté tout en luttant contre les inégalités. (…) Nous avons soif, dans notre esprit, dans notre âme, dans notre corps, d’une autre façon de vivre. La potentialité de fraternité sommeille en nous. Comment la réveiller ? C’est une autre histoire. *» Edgar Morin, in Télérama n°2929, 1er mars 2006

« La fraternité est restée pendant trop longtemps la grande oubliée de notre devise républicaine. Or, elle en est le coeur secret : sans elle, la liberté et l’égalité sont un idéal vide, parce que si je ne perçois pas l’autre comme mon frère, que m’importe en réalité son droit à la liberté, et en quel sens abstrait serait-il mon égal ?
(…) elle seule peut empêcher efficacement la liberté de basculer dans l’individualisme. Elle seule peut empêcher efficacement l’égalité de basculer dans l’affrontement entre ceux qui estiment avoir les mêmes droits. Si l’on ne veut pas que s’installe la guerre des libertés et le conflit des égaux, il faut nécessairement qu’ils aient appris d’abord à se considérer comme frères » A. Bidar, Plaidoyer pour la fraternité, Albin Michel, 2015

« le frater, étymologiquement, c’est le genre humain. Et l’esprit de fraternité dont parle la Déclaration universelle des droits de l’homme, nous pouvons le définir comme le travail sur lui-même que doit faire le « peuple de la terre », notre fragile famille humaine, pour apprendre à s’humaniser, voire, osons le mot, pour apprendre à mieux s’aimer. » Patrick Viveret, Fraternité, j’écris ton nom ! Les liens qui libèrent, 2015

«la fraternité est une relation imposée, avec ce que cela suppose de contraintes. Ce n’est pas une option parmi d’autres. De fait, vivre, c’est se reconnaître frères en humanité, partageant la même destinée.
D’autre part, le réalisme de l’existence fait bien percevoir que la fraternité est toujours une relation à construire. Pour cela il importe d’en discerner les dérives ou contrefaçons et de valoriser les lieux privilégiés où elle s’exerce. » Mgr Hubert Herbreteau, La fraternité : Entre utopie et réalité, Editions de l’Atelier, 2009

« On a oublié une évidence dans notre société : la fraternité s’apprend. On ne naît pas fraternel, on le devient. » A. Bidar, Plaidoyer pour la fraternité, Albin Michel, 2015

« La fraternité rêvée peut se construire avec réalisme à condition d’intégrer le conflit comme permanent dans les situations du quotidien. (…) Penser ensemble conflit et civilisation est sans doute la conduite à tenir. » Mgr Hubert Herbreteau, La fraternité : Entre utopie et réalité, Editions de l’Atelier, 2009

“La valeur républicaine enfouie au point d’en être oubliée et dont on a désormais le plus grand besoin, c’est la fraternité. C’est la demande majeure des citoyens du XXIè siècle. La solidarité ne suffit plus. Elle coûte excessivement cher en taxes et impôts divers, et son rendement décroissant saute aux yeux. On peut être collectivement solidaire - en particulier grâce aux transferts sociaux - et individuellement rester égoïste. C’est le contraire de la fraternité. La fraternité appelle un engagement personnel. La République a emprunté l’idée à la religion. L’une et l’autre oeuvrent dans le même sens lorsqu’elles s’en inspirent. Il y a une utopie dans la fraternité. [...] De même que dans une famille on ne se choisit pas entre frères et soeurs, dans une société - si l’on pose la fraternité comme postulat -, on n’a pas non plus à établir de préférence dans la dignité et l’entraide qu’on se doit tous mutuellement. Il est certes bien difficile pour l’Etat de développer la fraternité, mais il se doit de la promouvoir par l’exemplarité de son action et par les valeurs instillées à l’école.” Robert Rochefort, La France déboussolée, Odile Jacob, 2002

"La fraternité n’est pas, pour nous, un « bon » sentiment. Elle est l’expression de l’Alliance avec Dieu et, notamment, de la présence en soi de l’Esprit Saint, qui permet - s’il est accepté - d’aimer jusqu’au don total de soi-même, et de vivre déjà dans la gloire de Dieu.
Dieu est le lieu de notre fraternité." Mgr M. Dubost, Le courage du geste fraternel, Paris, Artège, 2015

“Il faut se laisser advenir à un autre monde que le nôtre, tout en vivant dans le nôtre. [...] Il nous faut inventer autre chose. Une autre manière de vivre fraternellement dans le monde d’aujourd’hui.
C’est un défi. Mais l’Esprit reste l’Esprit, et c’est un Esprit de fraternité. Mais l’Eglise demeure l’Eglise, et elle n’est fidèle à elle-même que dans la fraternité.”Mgr M. Dubost, Le courage du geste fraternel, Paris, Artège, 2015

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comme Gouvernance

Une république ne peut mettre en oeuvre l’esprit de fraternité si son système politique vit en permanence dans la brutalité de la logique pyramidale et de la compétition. Cette forme politique annihile toute capacité de mobiliser une intelligence collective coopérative et toute possibilité de fonctionner en réseau,(…). Le modèle de la « démocratie de compétition » définie par les rapports de force, la rivalité et la seule loi du nombre montre de plus en plus ses limites. Il est aujourd’hui inapte à assurer la gouvernance de sociétés complexes, à préparer l’avenir à moyen et à long terme et à faire reculer la violence. [...] C’est pourquoi il nous faut penser une autre approche, qui soit cohérente avec l’esprit de fraternité tout autant qu’avec les mutations des sociétés de la connaissance.[...] Comment, en effet, avancer dans cette direction sans créer d’espaces où chacun est en mesure de quitter son masque de défense pour adopter une attitude de responsabilité et d’ouverture à l’altérité, où la délibération et même le conflit enrichissent réellement la réflexion collective et renouvellent les pratiques ?
Pour ces mêmes raisons, les motivations sont très différentes. L’écoute, l’empathie, la qualité d’accueil, la convivialité, le plaisir partagé de participer à un processus de construction autant que la clarté et la transparence quant aux objectifs et intentions poursuivis deviennent des éléments déterminants d’un progrès centré sur la qualité démocratique.” Patrick Viveret, Fraternité, j’écris ton nom ! Les liens qui libèrent, 2015

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comme Hospitalité

“Un certain nombre de penseurs élaborent ce qu’ils appellent une philosophie, ou plutôt une éthique du « care » ; généralement on ne traduit pas le mot « care », car il évoque à la fois le soin, le souci, l’empathie, le service, la sollicitude. (…)
Joan Tronto (Moral boundaries, 1993) définit ainsi le « care » :
« Une activité générique qui comprend tout ce que nous faisons pour maintenir, perpétuer et réparer notre monde, en sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible. Ce monde comprend nos corps, nous-mêmes et notre environnement, tous éléments que nous cherchons à relier à un réseau complexe, un soutien à la vie. »
Pour elle, le « care » supose que nous acceptions de voir que le monde est vulnérable. Chacun y dépend des autres et a besoin, de la part des autres, d’une forme d’attention qui lui soit ajustée. Elle critique violemment une société qui renvoie le « care » dans la sphère privée et veut l’ignorer dans son fonctionnement public. Elle recense toutes les théories et toutes les pratiques qui considèrent les hommes et les femmes comme des individus autonomes, porteurs d’une égalité qu’elle juge abstraite.
Joan Tronto insiste : valoriser la tradition chrétienne de l’hospitalité, de la communauté qui fait des pauvres, des malades, des membres à part entière. “L’hospitalité invite à ne pas se sentir propriétaire. [...] Qui ne sort pas de lui-même ne peut pas voir l’autre. [...] Notre religion est une religion des visages, des visages rencontrés plus que des théories et des principes.
Il nous faut aimer la rencontre.” Mgr M. Dubost, Le courage du geste fraternel, Paris, Artège.2015

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comme Individu

“L’individu vide, verrouillé sur lui-même, tremblant d’être percé à jour dans son exhibitionnisme même, est invité à cultiver ce narcissisme que le fondateur de la psychanalyse qualifiait de sentiment océanique. En réalité, chacun est invité à vivre sa vie étriquée rongée d’inquiétudes, à s’épier devant le miroir et à s’interroger anxieusement pour savoir si son look imitera, avant les autres, celui des autres.” Dominique Lecourt, Humain Post humain, Presses universitaires de France, 2003.

“L’individu veut jouir d’une protection absolue et il est prêt à intenter tous les procès du monde au cas où surviendrait un malheur, mais dans le même temps, il veut tout expérimenter, revendique sa liberté dans tous les domaines, se croit supérieur à toutes les structures collectives, fantasme sur sa toute-puissance narcissique.” Robert Rochefort, La France déboussolée, Odile Jacob, 2002

“L’individu ne peut être pensé seul : il n’existe qu’en relation [...] L’individu ne peut être pensé que dans la relation à l’Autre, aux autres. La pensée de l’individu achoppe donc sur la relation, laquelle implique immédiatement l’essence même du social.” Françoise Héritier, Masculin, Féminin, la pensée de la différence, Odile Jacob, 1996

“L’individu ne peut vivre sans les autres, il ne peut exister tout seul, sans leur regard qu’il intériorise. L’individu n’est pas quelqu’un de déjà existant qui entre en relation avec les autres : il est au contraire, constitué par ces relations.” Tzvetan Todorov, Devoirs et délices - une vie de passeur, Seuil, 2002

“On pourrait qualifier la pastorale d’engendrement comme ceci: elle est une manière d’être en relation et une manière d’agir inspirées par l’Evangile qui permettent à Dieu d’engendrer des personnes à sa propre vie.
Chez nous, la personne dans ce qu’elle a d’unique a progressivement pris le pas sur son groupe d’appartenance. Elle a revendiqué et obtenu son autonomie, le droit de dire “je”, d’être considérée pour elle-même, différente des autres, sans être réduite au clan, à la famille ou à la religion à laquelle elle appartient. De ce fait, dans nos régions, l’individu éprouve le besoin de faire l’expérience personnelle de ce qu’on lui propose de vivre. S’il ne peut expérimenter par lui-même ce qui est bon pour lui, il ne se sent pas concerné.
Si nous transmettons un message qui ne touche pas la personne et ne l’aide pas à vivre ici et maintenant, notre parole aurait beau être vraie, elle restera lettre morte. C’est toute une manière d’envisager la vérité qui est ici en question.” Philippe Bacq, Pastorale de l’engendrement,[http://www.plestang.com/engendrement.php]

“Quand on rechigne à reconnaître qu’on ne se construit pas à partir de zéro, on peine à concevoir que les liens sociaux puissent être à la fois structurants et capables de susciter la liberté. (…)
À cet égard, nous sommes en dette vis-à-vis de ceux qui nous ont précédés et vis-à-vis de tous ceux que nous côtoyons chaque jour. Sans ces signes que nous nous adressons quotidiennement, aussi bien dans les rapports interpersonnels que par toutes sortes de médiations, y compris institutionnelles, nous ne pouvons pas tenir debout. » Etienne Grieu, Quelle fraternité à l’heure de la réalisation de soi, in Liberté, égalité, oui, mais fraternité ? Lethielleux, 2014

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comme Joie

« L’organisation de la société répond à une logique de peur. Il est temps de retrouver la joie. » (...)
« Les deux milliards d’êtres humains qui vivent avec moins de deux dollars par jour ont des potentialités d’échange et de création de richesses 10, 20, 30 fois supérieures à ces deux dollars. Pourquoi ? Du fait de leur expérience, de leur savoir-faire, de leur imaginaire, de leur créativité. Pas besoin d’être un expert pour comprendre qu’il y a un bug tragique quand il y a un tel décalage. A l’autre bout de l’échelle, les plus riches tentent d’éponger leurs surplus en s’offrant yachts, jets privés, villas...
Keynes a cette expression étonnante : « Le problème, c’est que nous n’avons pas appris à jouir. » Com- prenez : nous n’avons pas appris la joie de vivre. Selon Spinoza, nos deux émotions majeures sont la peur et la joie. Les logiques de domination, de captation ou de destruction renvoient à la peur. Celles qui permettent d’en sortir s’organisent autour de la joie. J’estime que réintroduire la question du bonheur et de l’amour dans les relations politiques est une priorité. » Patrick Viveret, “Il faut réintroduire l’Amour en politique” par Patrice van Ersel, [http://www.cles.com/debats-entretiens/article/patrick-viveret]

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comme Lien

“La personne n’existe que vers autrui, elle ne se connaît que par autrui, elle ne se trouve qu’en autrui. L’expérience primitive de la personne est l’expérience de la seconde personne. Le tu, et en lui le nous, précède le je, ou au moins l’accompagne ... On pourrait presque dire que j’existe dans la mesure où j’existe pour autrui, et, à la limite, être c’est aimer.” Emmanuel Mounier, le personnalisme, PUF, 2001, 1ère édition 1949

“Il faut rappeler l’importance du climat relationnel et du style de relations dans l’enseignement catholique. Tout au long de l’âge évolutif, des relations personnelles et significatives avec des éducateurs sont nécessaires, et les connaissances elles-mêmes ont une incidence plus grandes dans la formation de l’étudiant si elles se situent dans un contexte d’engagement personnel, de réciprocité authentique, de cohérence d’attitudes et de style de comportement quotidien. C’est dans cet horizon que se promeut, dans la nécessaire sauvegarde des rôles respectifs cependant, la figure de l’école comme une communauté.” L’école catholique au seuil du troisième millénaire, ECD hors série, juin 1998

L’articulation entre l’individuel et le collectif est essentielle dans le christianisme : communion avec Dieu et aussi manière de faire corps, d’être ensemble... le sujet biblique est pétri, défini par la relation. Il ne peut en aucun cas se définir comme isolé. Il est non seulement en relation, mais aussi toujours relié à une communauté.” Jacques Arènes, Souci de soi, oubli de soi, Bayard, 2001

“Nous sommes allés trop loin dans la déliaison, nous avons laissé trop longtemps s’aggraver nos fractures internes [...] il faut lutter pour relier ce qui a été trop délié, réconcilier tout ce qui a divorcé, rassemblé ce qu’on a abandonné trop longtemps ...” » A. Bidar, Plaidoyer pour la fraternité, Albin Michel, 2015

“Tout système social dynamique, pour rester vivant et efficace, doit générer en permanence quatre types de capacités : des capacités d’expression, voire de conflit ; des capacités d’initiative ; des capacités de coopération ; et des capacités de définition de règles communes qui s’imposent à tous. Ces différentes capacités doivent elles-mêmes être en équilibre les unes par rapport aux autres, sans qu’aucune ne prévale, à l’image du tabouret reposant également sur ses quatre pieds. C’est la quadrature du sens.” Jean-Baptiste de Foucauld, les trois cultures du développement humain, Odile Jacob, 2002

“La Déclaration universelle des droits de l’homme appelle chacun à agir envers les autres « dans un esprit de fraternité ». Il semble que la société d’aujourd’hui soit de plus en plus sensible à cet appel.
(…) Tout se passe comme si, le sens de la justice étant acquis, la société demandait à la fraternité de réchauffer la solidarité et de lui donner du coeur, de la sensibilité.” Mgr M. Dubost, Le courage du geste fraternel, Paris, Artège, 2015

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comme Maison commune

« Nous n’avons jamais autant maltraité ni fait de mal à notre maison commune qu’en ces deux derniers siècles. Mais nous sommes appelés à être les instruments de Dieu le Père pour que notre planète soit ce qu’il a rêvé en la créant, et pour qu’elle réponde à son projet de paix, de beauté et de plénitude. Le problème est que nous n’avons pas encore la culture nécessaire pour faire face à cette crise ; et il faut construire des leaderships qui tracent des chemins, en cherchant à répondre aux besoins des générations actuelles comme en incluant tout le monde, sans nuire aux générations futures. Pape François,Laudato si, 2015

« Le défi urgent de sauvegarder notre maison commune inclut la préoccupation d’unir toute la famille humaine dans la recherche d’un développement durable et intégral, car nous savons que les choses peuvent changer.
L’humanité possède encore la capacité de collaborer pour construire notre maison commune. Je souhaite saluer, encourager et remercier tous ceux qui, dans les secteurs les plus variés de l’activité humaine, travaillent pour assurer la sauvegarde de la maison que nous partageons. Ceux qui luttent avec vigueur pour affronter les conséquences dramatiques de la dégradation de l’environnement sur la vie des plus pauvres dans le monde, méritent une gratitude spéciale. Les jeunes nous réclament un changement. Ils se demandent comment il est possible de prétendre construire un avenir meilleur sans penser à la crise de l’environnement et aux souffrances des exclus.
Le changement est quelque chose de désirable, mais il devient préoccupant quant il en vient à déteriorer le monde et la qualité de vie d’une grande partie de l’humanité. » Pape François, Laudato si, 2015

“Dans un monde traversé par « l’in-évidence de Dieu » et la résistance aux systèmes de valeurs, la figure du christianisme est en mutation. L’Eglise doit faire preuve d’une hospitalité inconditionnelle et de proximité pour s’approcher de quiconque, en faisant crédit à la vie, à la contagion de la foi en la vie. Elle doit le faire dans la cohérence avec la Bonne Nouvelle qu’elle annonce, s’appuyant en cela sur le concile Vatican II et sa réception toujours en marche : « Tandis que la population garde fortement la mémoire d’une Eglise instituée de façon pyramidale et spécialisée dans la gestion du sacré, laissant aux laïcs des interventions dans le registre pragmatique de l’aide ou de l’assistance, le concile revivifie l’antique conception de l’Eglise-sacrement, communion de communautés différentes, en donnant à l’ardeur de la communion la force du témoignage évangélique. » Philippe Bacq, Pastorale de l’engendrement,[http://www.plestang.com/engendrement.php]

“Quel est cet espace public porteur de sens et de reconnaissance qu’il nous faut mettre en oeuvre ? N’est-ce pas justement celui de la fraternité, qui constitue un « sacré partageable » (…) Oui, c’est la fraternité qui donne son sens au « vivre ensemble », c’est la fraternité qui permet à chacun de trouver sa place, c’est la fraternité qui permet que les potentialités créatrices et les métiers - au sens de projet de vie - de chacun soient reconnus.” Patrick Viveret,Fraternité, j’écris ton nom, Les liens qui libèrent, 2015

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comme Nous

« Notre regard sur l’être-ensemble a complètement basculé et nous sommes astreints à reconsidérer de fond en comble la façon de comprendre comment les sociétés tiennent ensemble. » Marcel Gauchet, La démocratie, d’une crise à l’autre, Editions Cécile Defaut, 2007

« on ne peut plus s’en tenir aujourd’hui à une vision procédurale de la démocratie. Celle-ci a besoin de se redonner un projet, et de revenir à ses sources, ce qui suppose de redéfinir ou de mettre au clair sa vision et sa notion de l’homme, et de l’homme en société. », Jean Baptiste de Foucauld, les trois cultures du développement, Odile Jacob, 2002

« La coopération est inscrite dans nos gènes, mais ne saurait demeurer figée dans un comportement routinier ; elle demande à être développée et approfondie. Elle requiert des gens qu’ils sachent se comprendre et se répondre en vue d’agir ensemble, mais c’est un processus épineux, fourmillant de difficultés et d’ambiguïtés, qui peut souvent avoir des conséquences destructrices.
Elle essaie de relier des gens qui ont des intérêts séparés, voire contradictoires, qui sont mal à l’aise les uns avec les autres, qui ne sont pas égaux ou qui, tout simplement, ne se comprennent pas.
La société moderne a affaibli la coopération de diverses manières. La plus directe concerne l’inégalité. Le soutien mutuel est inscrit dans les gènes de tous les animaux sociaux ; ils coopèrent pour accomplir ce qu’ils ne peuvent faire seuls.
Le travail moderne se définit de plus en plus a court terme. (…) les relations sociales superficielles sont un produit du court terme (…) les relations superficielles et les liens institutionnels de courte durée renforcent l’effet silo : les gens restent dans leur coin, ne se mêlent pas des problèmes qui ne sont pas de leur ressort immédiat ; en particulier, ils ne se rapprochent pas des membres de l’institution qui font quelque chose de différent.
Le “Tout le monde est foncièrement identique” exprime une vision du monde en quête de neutralité. Le désir de neutraliser la différence, de la domestiquer, nait d’une angoisse de la différence, qui recoupe l’économie de la culture mondiale de la consommation. Un des résultats est l’affaiblissement de l’élan qui pousse à coopérer avec ceux qui demeurent irréductiblement Autres. » Richard Sennett, Pour une éthique de la coopération, Albin Michel 2014

“Pour autant, dès maintenant, nous pouvons découvrir que, pour trouver la bonne distance, il y a un travail à faire.
Les relations humaines ne sont jamais telles que chacun soit transparent à soi-même et à l’autre. Nous sommes, les uns et les autres, beaucoup plus que ce que nous croyons être.” Mgr M. Dubost, Le courage du geste fraternel, Paris, Artège. 2015, Albin

« Bâtir des ponts est une expression qui traduit parfaitement le désir d’entrer en relation, la volonté d’aller sur le territoire de quelqu’un d’autre, le bonheur d’établir la jonction entre deux rives. Le pont symbolise, avec un brin d’idéalisme, la relation, la communication, facilitée, les événements qui rapprochent et unissent les hommes. A l’inverse, l’expression « couper les ponts » reflète une situation de malentendu, un éloignement, une rupture définitive.
Le pont évoque les liens qui rapprochent les humains, les mondes séparés et l’exclusion. Des pauvres vivent et dorment sous les ponts, à l’abri des regards et à la recherche d’une protection contre la pluie et le vent. Il existe des ponts pour unir et consolider la paix et d’autres construits pour déclencher la guerre.
La métaphore du pont comporte donc des significations variées et même contradictoires. Elle nous invite pourtant à regarder les ponts de fraternité qui s’établissent aujourd’hui dans notre monde sans naïveté et sans pessimisme.
Quels sont les chemins à explorer pour que la fraternité entre les peuples se réalise et se consolide ? Quels sont les changements profonds de notre société qui favorisent ou mettent en péril les ponts de fraternité ? Devant l’effondrement d’un monde ancien, les certitudes sont ébranlées et les interrogations sur ce que devient l’être humain surgissent. Quels sont les fondements anthropologiques de notre humanité ? » Mg Hubert Herbreteau, La fraternité : Entre utopie et réalité, Editions de l’Atelier, 2009

“ le frater étymologiquement c’est le genre humain. Et l’esprit de fraternité dont parle la déclaration universelle des droits humains nous pouvons le définir comme le travail sur lui même que doit faire « le peuple de la terre », notre fragile famille humaine pour apprendre à s’humaniser pour apprendre à mieux s’aimer. Faute de ce mouvement vers une qualité supérieure d’humanité et de fraternité nous risquons comme le notait Martin Luther King dans une phrase célèbre de « périr comme des idiots » ! Il y a en effet un lien étroit entre la brutalité et la bêtise comme le signale la fameuse expression : « bête et méchant ». Et il y a au contraire un lien étroit entre l’intelligence et l’esprit de fraternité n’en déplaise aux cyniques qui hurlent aux « bisounours » dès que l’on évoque ce lien. Car l’intelligence se nourrit de l’interdépendance, du lien, donc de l’écoute de la différence et de la divergence dès lors que celle ci ne dérape pas en violence.
Oui, il est temps de revisiter les valeurs-forces de vie qu’exprime la tension dynamique entre liberté, égalité et fraternité à condition de redonner toute sa force à la dernière, de cesser d’en faire non la cerise sur le gâteau mais la cerise dans le gâteau, non un simple supplément d’âme mais l’anima, le souffle même qui permettait de revisiter les deux autres valeurs clefs [...] Patrik Viveret, après la tuerie de Tunis, site les Convivialistes. :[http://www.lesconvivialistes.org/actualite/108-apres-la-tuerie-de-tunis]

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comme Pauvreté

« L’honneur d’une démocratie est de pouvoir s’occuper des plus fragiles » R. Aubry, entretien vidéo Observatoire, la mort à l’Ecole.

« La culture du déchet affecte aussi bien les personnes exclues que les choses, vite transformées en ordures. L’environnement humain et l’environnement naturel se dégradent ensemble, et nous ne pourrons pas affronter adéquatement la dégradation de l’environnement si nous ne prêtons pas attention aux causes qui sont en rapport avec la dégradation humaine et sociale. De fait, la déterioration de l’environnement et celle de la société affectent d’une manière spéciale les plus faibles de la planète. Je voudrais faire remarquer que souvent on n’a pas une conscience claire des problèmes qui affectent particulièrement les exclus. Ils sont la majeure partie de la planète, des milliers de millions de personnes. Aujourd’hui, ils sont présents dans les débats politiques et économiques internationaux, mais il semble souvent que leurs problèmes se posent comme un appendice, comme une question qui s’ajoute presque par obligation ou de manière marginale, quand on ne les considère pas comme un pur dommage collatéral. » Pape François, Laudato si, 2015

“C’est la manière dont on “fait société ensemble” qui est mise en cause avec la pauvreté, et pas seulement la distribution de ses bénéfices. (...) le problème de la pauvreté relève surtout d’une question bien plus fondamentale, celle du projet de société. Dès lors, le pauvre n’apparaît pas seulement comme une personne en manque qui a besoin d’assistance, mais comme un acteur social qui doit pouvoir participer à un projet d’ensemble. On cherchera chez lui la capacité propre qu’il pourrait développer en vue d’un projet commun plutôt que le manque à combler.
Cette approche de la pauvreté sollicite ainsi une autre conception de la solidarité : une solidarité “par le plus” plutôt qu’une solidarité “par le moins”, c’est-à-dire une solidarité qui cherche quelle est la richesse potentielle de la personne plutôt que son manque à combler.” Elena Lasida, Le goût de l’autre, Albin Michel, 2011

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comme 
Questionnement

« L’humanité s’est profondément transformée, et l’accumulation des nouveautés continuelles consacre une fugacité qui nous mène dans une seule direction, à la surface des choses. Il devient difficile de nous arrêter pour retrouver la profondeur de la vie.(…) Ne nous résignons pas à cela, et ne renonçons pas à nous interroger sur les fins et sur le sens de toute chose.
Ce qui arrive en ce moment nous met devant l’urgence d’avancer dans une révolution culturelle courageuse.(…) Il est indispensable de ralentir la marche pour regarder la réalité d’une autre manière, recueillir les avancées positives et durables, et en même temps récupérer les valeurs et les grandes finalités qui ont été détruites par une frénésie mégalomane.
Beaucoup de choses doivent être réorientées, mais avant tout l’humanité a besoin de changer. La conscience d’une origine commune, d’une appartenance mutuelle et d’un avenir partagé par tous, est nécessaire. Cette conscience fondamentale permettrait le développement de nouvelles convictions, attitudes et formes de vie. Ainsi un grand défi culturel, spirituel et éducatif, qui supposera de longs processus de régénération, est mis en évidence. Pape François,Laudato si, 2015

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comme Reconnaître

« Être reconnu en même temps que reconnaître crée une relation d’existence. » Albert Rouet, L’étonnement de croire, Editions de l’Atelier, 2013

« Ce que nous montrent tant l’ethnologie - et notamment l’Essai sur le don, - que l’histoire, la littérature, etc. c’est que ce que nous désirons avant tout n’est pas tant de satisfaire nos besoins que d’être reconnus.
S’il n’y avait que de l’intérêt pour soi, il n’y aurait que de la guerre de tous contre tous. S’il n’y avait que de l’intérêt pour autrui - ce qu’ont exalté les régimes fascistes et communistes, ou les fanatismes religieux -, alors on entrerait immédiatement dans un regime sacrificiel. Le sacrifice de soi autorisant à sacrifier les autres. S’il n’y avait que de l’obligation, il n’y aurait que du formalisme, du ritualisme et de la stérilité. Si enfin il n’y avait que de la liberté, nous serions dans le non-sens, voués aux « actes gratuits » dont parlait Gide, dans les caves du Vatican.
Il faut donc qu’entre, dans chacune de nos actions, un certain mélange d’intérêt pour soi, d’intérêt pour autrui (d’ « aimance »), d’obligation et de liberté/créativité. Seul un certain équilibre trouvé entre ces quatre mobiles débouche sur la félicité de l’action, sur l’action qui convient, en garantissant une forme de cohérence du sujet. » Alain Caillé, Anti-utilitarisme et paradigme du don, Pour quoi ?, les bords de l’eau, 2014

“Honneth estime que dans le jeu complexe des liens que chacun entretient avec autrui, mais aussi avec soi-même, les êtres humains ont besoin d’être reconnus. Reconnus pour ce qu’ils sont, dans leur singularité, dans leur histoire, dans leurs talents professionnels, dans leurs convictions…* (…) *Faute d’une telle reconnaissance qui, évidemment, s’étend sur la durée, il risque bien de se sentir non désiré, non reconnu, non accepté par le groupe : en un mot, méprisé. Il risque bien aussi d’être entravé dans la reconnaissance qu’il se doit de manifester envers autrui, car l’idée de reconnaissance suppose bien entendu la réciprocité. [...] veau nom de l’injustice, et ce mépris engendre des formes toujours renouvelées de violences et de réactions négatives envers ceux et celles d’où semble venir la non-reconnaissance. (…)
*(cette approche) suppose toute une conception relationnelle de l’être humain et montre que, dès lors que la relation est affectée, malmenée ou brisée, il en découle une impression de sous-humanité, de marginalisation, d’injustice, parce que la personne non reconnue vit une injustice qui la touche au plus vif d’elle-même. Elle permet de tenir compte d’un trait caractéristique des êtres humains : leur vulnérabilité. » Paul Valadier, Nouveaux regards sur l’injustice, in Liberté, égalité, oui, mais fraternité, Lethielleux, 2014

« L’écoute, c’est la relation nécessaire d’humanité, le ce-sans-quoi l’homme est pour l’homme le pur étranger, l’abîme d’absence. » Maurice Bellet, l’écoute, Desclée de Brouwer, 2009

« Pour faire société il faut quelque chose qui soit capable de nous faire sentir nos ressemblances avec nos prochains, nos proximités ; quelque chose qui nous rapproche, et nous fasse à la fois reconnaître notre identité profonde et soutenir nos différences. Cette force de rapprochement, je ne sais pas comment l’appeler autrement que la fraternité. » Olivier Abel, Fraternité aujourd’hui : Bible et politique, in Liberté, égalité, oui, mais fraternité, Lethielleux, 2014

“On ne peut être frères qu’en étant reconnu au niveau affectif, juridique et politique, social. L’intérêt de cette approche me semble considérable. Elle suppose toute une conception relationnelle de l’être humain et montre que, dès lors que la relation est affectée, malmenée ou brisée, il en découle une impression de sous-humanité, de marginalisation, d’injustice, parce que la personne non reconnue vit une injustice qui la touche au plus vif d’elle-même. Elle permet de tenir compte d’un trait caractéristique des être humains : leur vulénrabilité. » Paul Valadier, Nouveaux regards sur l’injustice, in Liberté, égalité, oui, mais fraternité, Lethielleux, 2014

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comme Solitude

« En quoi consiste l’acuité de la solitude ? Il est banal de dire que nous n’existons jamais au singulier. Nous sommes entourés d’êtres et de choses avec lesquels nous entretenons des relations. Par la vue, le toucher, par la sympathie, par le travail en commun, nous sommes avec les autres. Toutes ces relations sont transitives : si je touche un objet, je vois l’autre, mais je ne suis pas l’autre. Je suis tout seul. C’est donc l’être de moi, le fait que j’existe, mon « exister » qui constitue l’élément absolument intransitif, quelque chose sans intentionnalité, sans rapport. On peut tout échanger entre êtres, sauf l’exister. »Emmanuel Lévinas, le temps et l’autre, l’Harmattan, 2014

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comme Temps

“Il y a une tension bipolaire entre la plénitude et la limite. La plénitude provoque la volonté de tout posséder, et la limite est le mur qui se met devant nous. Le “temps” , considéré au sens large, fait référence à la plénitude comme expression de l’horizon qui s’ouvre devant nous, et le moment est une expression de la limite qui se vit dans un espace délimité. Les citoyens vivent en tension entre la conjoncture du moment et la lumière du temps, d’un horizon plus grand, de l’utopie qui nous ouvre sur l’avenir comme cause finale qui attire. De là surgit un premier principe pour avancer dans la construction d’un peuple : le temps est supérieur à l’espace.” Pape François, Evangelii gaudium, Salvator, 2013

“notre époque est en train de vivre une mutation radicale dans son rapport au temps, comment cette mutation affecte profondément notre manière de vivre et de travailler et contribute à l’émergence d’un nouveau type d’individu, flexible, pressé, centre sur l’immédiat, le court terme et l’instat, un individu à l’identité incertaine et fragile.” Nicole Aubert, Le culte de l’urgence, Flammarion, 2003.

“Il n’y a pas d’humanité qui puisse se réduire à la sensation. Il faut à l’homme qui parle à l’homme, toute la transition culturelle du récit. […] L’échange humain se constitue fondamentalement autour de l’incommunicable : à savoir la mort. C’est parce que nous ne pouvons rien nous en dire que nous avons tant à nous dire … La question est celle d’une chaîne intergénérationnelle qui transmette la possibilité d’être au monde, non pas d’être le monde, mais d’être de ce monde.” Patrick Baudry, la place des morts, enjeux et rites, l’Harmattan, 2006

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comme Union

« Le premier défi perspectif de l’éducation est, donc, la récupération de la centralité de l’humain face à une tendance surtout technicienne qui prive l’instruction de son caractère universel. Les nouveaux mots d’ordre sont efficacité, concurrence, incitation, compétence avec le risque de devenir une véritable idéologie globale, présentée cependant comme une « technè » et donc absolument libre des valeurs et de tout jugement moral.
L’intelligence émotive et affective, la capacité d’empathie, la sympathie participative, le travail en équipe sont des mérites essentiels et fondamentaux dans les institutions éducatives. Aujourd’hui ils risquent d’être marginalisés au nom d’une connaissance technique standardisée, codifiée et quantitative qui souffre d’une grande marge d’homologation relationnelle et émotionnelle ainsi que du danger de partialité, mortifiant à la base les différences de caractère et la créativité individuelle. Cela vaut aussi bien pour les apprenants que pour les enseignants réduits à être des facilitateurs ou des médiateurs de l’auto-apprentissage et de l’autoformation, alors qu’est exclue artificiellement toute autre expérience éducative comme la famille ou l’Église elle-même. » Intervention du cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’État du Vatican, à l’Unesco, mercredi 3 juin 2015.

La fraternité chrétienne passe à travers tout ce qui nous éprouve, à travers nos repliements et nos peurs, et aussi à travers tout ce qui rend notre société fragile, dure et parfois violente.
(…) Dans ce contexte nouveau, nous sommes simplement appelés à être nous-mêmes : des disciples du Christ Jésus, qui doivent comprendre davantage que l’on ne peut pas dire « Notre Père », sans devenir « fils dans le Fils », et sans mesurer les exigences de cette nouvelle fraternité qui ne vient pas d’en bas, mais d’en haut, du Christ Jésus, notre frère.
Et cette fraternité chrétienne inclut, du même mouvement, la relation au Christ et l’appartenance au Corps du Christ, à l’Église. Car, comme l’écrit encore Régis DEBRAY, il peut exister des appartenances sans fraternité, mais il n’existe pas de fraternité sans appartenance. « Il y a des nous sans fraternité, mais il n’y a pas de fraternité sans nous. » (ibid., p.15). Et cela vaut, de façon spécifique, pour la fraternité chrétienne.
(…) On comprend ainsi ce qu’est vraiment la fraternité chrétienne : non pas un idéal inaccessible, mais un combat,
(…) Non, l’enfer, ce n’est pas les autres. L’enfer que nous créons nous-mêmes, c’est le refus de la fraternité. C’est la victoire de la peur. C’est le culte de soi et de son petit groupe, voire de sa chapelle, et parfois de sa nation, si elle exclut les autres nations.
(…) Oui, la fraternité chrétienne est difficile et exigeante. Madeleine Delbrel savait cela, elle l’a pratiquée et elle l’a dit avec une force étonnante :
« Quoi que nous soyons les uns pour les autres par les relations de la chair et du sang, de l’affection et de l’amitié, de la société et de la proximité, nous resterons toujours des frères d’origine et de salut. C’est un fait : il faut le vivre.
Quand nous pratiquons une charité qui se veut le droit d’être maternelle, éducative, rectificative, nous dérapons du sol ferme de la réalité : nous ne sommes plus frères.
Près d’un incroyant, la charité devient évangélisation, mais cette évangélisation ne peut être que fraternelle. Nous ne venons pas offrir de partager généreusement ce qui serait à nous, c’est-à-dire Dieu. Nous ne venons pas comme des justes parmi des pécheurs, comme des gens qui ont conquis des diplômes parmi des gens incultes ; nous venons parler d’un Père commun, connu des uns, ignoré des autres ; comme des pardonnés, non comme des innocents ; comme des gens qui ont eu la chance d’être appelés à croire, de recevoir la foi, mais de la recevoir comme un bien qui n’est pas à nous, qui est déposé en nous pour le monde : de cela découle toute une façon d’être. » (Nous autres, gens des rues, Athéismes et évangélisation, op. cit., p.271). Cette façon d’être s’appelle la fraternité chrétienne, si difficile et si exigeante. Mgr Dagens, lettre pastorale, septembre 2011,[http://angouleme.catholique.fr/Publications-diocesaines]

« La fraternité s’éprouve de proche en proche, et non par une ouverture immédiate à un universel (qui éviterait la confrontation au frère) ni par un enfermement. Elle est limitée mais toujours prête à s’ouvrir à de nouveaux venus. Quand une histoire peut se partager, nous sommes reconduits à ce qui nous est commun et en même temps nous distingue parfaitement : cet appel à l’existence, qui se fait entendre précisément lorsqu’il y a rencontre, par-delà tout ce qui sépare ou met à distance. C’est, à mes yeux, la meilleure pédagogie de la fraternité qu’on puisse proposer. » Etienne Grieu, Quelle fraternité à l’heure de la réalisation de soi, in Liberté, égalité, oui, mais fraternité ? Lethielleux 2014

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comme Vie

« Chaque vie entraîne une mort, et chaque mort est source de vie. (…) La vie ne peut pas être conçue sans la mort, elle est un mouvement toujours risqué plutôt qu’un acquis à atteindre. Henri Atlan parle à ce propos de deux types de vie associés à deux types de mort : la vie par continuité et la vie par renouvellement, indissociables de la mort par rigidité et de la mort par éclatement. Si l’on choisit uniquement la continuité, on risque de mourir de rigidité et si l’on choisit uniquement le renouvellement, on risque de mourir par éclatement. Or, pour se renouveler, il faut accepter de mourir à une certaine continuité, et, pour se reproduire, il faut accepter de mourir à un certain renouvellement. La vie apparaît ainsi en tension permanente avec la mort. Henri Atlan met en rapport ce principe « biologique » de la vie, avec un prince philosophique et spirituel qu’il reprend de la Bible, dans le livre du Deutéronome « Entre la vie et la mort, (…) choisis la vie afin que tu vives » (DT30, 15-20). Ce qui signifie qu’on peut choisir la vie et mourir. Nous sommes des éternels voyageurs, en errance à travers nos morts multiples. Chaque arrivée devient très vite un nouveau départ, chaque acquis, une nouvelle perte. Le contraire de la vie n’est pas la mort, mais l’arrêt définitif de ce voyage à travers la mort.
La vie ainsi conçue peut s’appliquer tant au niveau individuel que collectif, tant au niveau personnel qu’institutionnel. » Elena Lasida, le goût de l’autre, Albin Michel, 2011

“Nous avons appris douloureusement qu’un changement de structures qui n’est pas accompagné d’une conversion sincère des attitudes et du coeur finit tôt ou tard par se bureaucratiser, par se corrompre et par succomber. Voilà pourquoi me plaît tant l’image du processus, où la passion de semer, d’arroser sereinement ce que d’autres verront fleurir, remplace l’obsession d’occuper tous les espaces de pouvoir disponibles et de voir des résultats immédiats. Chacun de nous n’est qu’une part d’un tout complexe et divers, interagissant dans le temps : des peuples qui luttent pour une signification, pour un destin, pour vivre avec dignité, pour « vivre bien ». .[...]
Cet enracinement dans le quartier, dans la terre, dans le territoire, dans le métier, dans la corporation, ce fait de se reconnaître dans le visage de l’autre, cette proximité de chaque jour, avec ses misères et ses héroïsmes quotidiens, est ce qui permet de vivre le commandement de l’amour, non pas à partir des idées ou des concepts mais à partir de la rencontre authentique entre des personnes, parce que ni les concepts ni les idées ne s’aiment ; ce sont les personnes qui s’aiment. L’engagement, le véritable engagement surgit de l’amour envers des hommes et des femmes, envers des enfants et des vieillards, des populations et des communautés … des visages et des noms qui remplissent le coeur. De ces graines d’espérance semées patiemment dans les périphéries oubliées de la planète, de ces bourgeons de tendresse qui luttent pour subsister dans l’obscurité de l’exclusion, croîtront de grands arbres, surgiront des forêts denses d’espérance pour oxygéner le monde.
Je constate avec joie que vous travaillez sur ce qui est proche, en soignant les bourgeons ; mais, en même temps, dans une perspective plus ample, en protégeant le bosquet.” Pape François, discours des 2e rencontres mondiales des mouvements populaires, Santa Cruz, Bolivie.

« La vie augmente quand elle est donnée et elle s’affaiblit dans l’isolement et l’aisance. De fait, ceux qui tirent le plus de profit de la vie sont ceux qui mettent la sécurité de côté et se passionnent pour la mission de communiquer la vie aux autres. » Pape François, Evangelii gaudium, Salvator, 2013

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