Mis à jour le : 10 juillet 2017 / Publié le : 18 août 2016
Le positionnement du Sgec sur la réforme du collège
Alors que le débat sur la réforme du collège, annoncée le 11 mars 2015, prend la tournure d’une bataille rangée, Pascal Balmand, Secrétaire général de l’Enseignement catholique, a souhaité prendre la plume.
Inscrivant le dossier dans une dynamique plus large, il livre ici un commentaire des textes qui jalonnent la mise en œuvre de la refondation de l’École : socle commun, réforme du collège et des programmes.
Sa contribution met en valeur la cohérence d’une volonté de changement qui rejoint les évolutions souhaitées par l’Enseignement catholique et déjà engagées dans nombre de ses établissements. Au printemps 2014, le Sgec a d’ailleurs publié un ouvrage collectif dédié aux possibles leviers d’une rénovation indispensable à la relance d’un collège unique à bout de souffle (Un souffle nouveau pour le collège).
Compte-tenu de la tournure revêtue par certains propos, Pascal Balmand tient à préciser que ses analyses ne relèvent en rien d’une prise de position, de quelque nature que ce soit, par rapport à Madame la ministre de l’Éducation nationale ou au gouvernement auquel elle appartient.
« La France est friande de crises éruptives à toute nouvelle annonce de réforme du système éducatif. Chacun le constate encore aujourd’hui, et c’est pourquoi, par-delà les déclarations dramatisantes et les émois radicalisés, je crois nécessaire d’en appeler à l’analyse distanciée et au débat rationnel.
Les nouveaux textes sont nombreux, dans le cadre de la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’École de la République, votée le 8 juillet 2013 : nouveau socle commun, réforme de l’organisation et des programmes du collège. Or ces domaines sont, depuis l’origine, objets de polémiques.
· Le socle commun, prévu pour l’école et le collège, interroge la notion d’autonomie des disciplines et l’articulation entre les connaissances et les compétences. Dès sa mise en œuvre en 2006, certains ont pu craindre qu’il ne se substituât aux programmes, et que la culture générale ne fût délaissée au profit des seules compétences pragmatiques et utilitaristes.
· La question du « collège unique » est problématique depuis 1973 (réforme Haby), dans un système éducatif qui hésite, encore aujourd’hui, entre un collège - prolongement de l’école élémentaire et un collège - « petit lycée ».
Les textes en projet à l’heure actuelle s’inscrivent dans cette histoire complexe. Ceux qui concernent le socle commun et les programmes sont conçus par le Conseil supérieur des programmes (CSP), une instance indépendante mise en place par la loi de refondation de l’École. Le CSP remet ses propositions au ministre de l’Éducation nationale, qui statue après consultation. Celui qui porte sur la réforme du collège émane directement du ministère lui-même.
Dans les polémiques du moment, il est donc nécessaire de bien faire la part des choses entre, d’une part, des propositions issues d’un organe totalement indépendant composé d’experts et de parlementaires des diverses familles politiques, et, d’autre part, un schéma d’organisation du collège élaboré par le ministère. Pour le dire plus clairement encore, les propositions de nouveaux programmes et la réforme du collège constituent deux séries de paramètres certes associés mais néanmoins distincts : je ne suis pas sûr que les amalgames parfois opérés favorisent la qualité de la réflexion et du débat.
Le nouveau socle commun (Publié au Journal officiel su 2 avril 2015)
Dans son intitulé même, le nouveau socle envisage bien la nécessité de former à la culture par l’acquisition de savoirs et de compétences puisqu’il se présente dans le texte de loi comme un « socle commun de connaissances, de compétences et de culture ». Son architecture en cinq domaines place au cœur de sa perspective la « formation de la personne et du citoyen » (Domaine 3). Pour permettre cette formation, il faut maîtriser des langages pour penser et communiquer (Domaine 1) : la langue française, les langues étrangères ou régionales, les langages mathématiques, scientifiques ou informatiques, mais aussi le langage des arts et du corps. Il est aussi nécessaire de disposer de méthodes et d’outils pour apprendre (Domaine 2). Les deux derniers domaines du socle définissent les connaissances et compétences propres aux deux champs que sont les sciences expérimentales pour « l’approche scientifique et technique de la terre » (Domaine 4) et les sciences humaines et les productions culturelles élaborant les « représentations du monde et de l’activité humaine » pour « la compréhension des sociétés dans le temps et dans l’espace » (Domaine 5).
Le socle commun définit ainsi les visées de l’école obligatoire, garante de l’éducation pour tous. L’École catholique l’accueille comme un cadre cohérent et utile, qui favorise la continuité entre école et collège et qui peut s’articuler avec son projet de formation intégrale de la personne.
La réforme du collège
Quatre objectifs sont assignés à la réforme du collège.
1. Renforcer l’acquisition des savoirs fondamentaux en combinant apprentissages théoriques et pratiques. » C’est l’objet, notamment, des enseignements pratiques interdisciplinaires, confiés à plusieurs enseignants amenés à travailler solidairement autour de diverses thématiques.
2. « Tenir compte des spécificités de chaque élève pour permettre la réussite de tous. » C’est notamment l’objet de l’accompagnement personnalisé et d’un lien renforcé entre l’école et le collège.
3. « Donner aux collégiens de nouvelles compétences adaptées au monde actuel. » Ceci appelle, notamment, à privilégier la créativité et le travail d’équipe.
4. « Faire du collège un lieu d’épanouissement et de construction de la citoyenneté, une communauté où l’expérience individuelle et l’activité collective sont privilégiées. » Cela passe notamment par l’enseignement moral et civique.
Globalement, ce projet me semble devoir être considéré avec intérêt :
· Parce qu’il attribue des horaires dédiés à la pédagogie personnalisée que nous appelons de nos vœux.
· Parce qu’il cherche à articuler formation théorique et activités concrètes pour mettre les élèves en projet et les rendre acteurs de leurs apprentissages. Parce qu’il invite, pour la formation morale et civique, à ne pas se limiter à de l’enseignement mais à entrer dans une réelle démarche éducative.
· Parce qu’il entend développer l’autonomie des établissements : 20 % de la dotation horaire seront utilisés, dans le cadre des nouvelles activités envisagées, selon les modalités fixées par les équipes enseignantes, sous l’autorité des chefs d’établissement.
Ces dispositions inédites peuvent favoriser l’évolution du métier d’enseignant que nous souhaitons. Cela nécessite de rapides et fortes initiatives quant à la formation initiale et continue des maîtres comme dans l’animation des établissements. Les polémiques qui se développent depuis quelques semaines concernent surtout les langues anciennes et les classes bi-langues, dont le ministère entend qu’elles ne conduisent pas à recréer des filières de hiérarchisation scolaire. Des maladresses de présentation ont sans doute été commises. Mais le projet de réforme ne supprime pas l’enseignement du grec et du latin, ni ne réduit globalement la part des langues vivantes. La langue vivante II sera ainsi proposée à tous les élèves dès la 5e (et non plus seulement à partir de la 4e), et diverses dérogations permettront de proposer deux langues vivantes dans certaines classes de 6e. Pour les langues anciennes, la combinaison des enseignements pratiques interdisciplinaires et l’ajout d’un horaire spécifique assureront, dès la 5e, un enseignement du latin et du grec associant connaissance de la langue et découverte de la culture. Les décrets en cours de préparation devraient, je l’espère, rassurer en ce domaine. Il serait en tout état de cause regrettable que ces questions, dont je ne minore nullement l’importance, occultent la dynamique globale de la réforme (1). Je déplore, pour ma part, que celle-ci n’ait pas abordé la question du temps de l’élève et du temps des apprentissages. Mais j’avoue avoir un peu de mal à percevoir ce en quoi elle scellerait l’abandon de toute exigence et même la « mort de l’école » (2).
Je mesure, en revanche, la façon dont elle peut selon moi aider le collège à mieux répondre aux défis de l’échec scolaire et du décrochage, à développer les pédagogies coopératives et à renforcer le sens des apprentissages par le croisement des savoirs. Et je suis convaincu que chefs d’établissement et équipes pédagogiques sauront faire preuve de créativité (y compris en matière de langues anciennes et de langues vivantes) pour utiliser à bon escient, dans l’intérêt des jeunes, les espaces de liberté qui leur seront offerts.
Les projets de réforme des programmes du collège (Avril 2015)
Il ne s’agit, à ce jour, que d’un ensemble de projets du Conseil supérieur des programmes, qui sera prochainement soumis à une large consultation. Ces propositions de nouveaux programmes s’inscrivent dans la logique évoquée à propos du nouveau socle commun et de la réforme du collège. Puisque chacun des domaines du socle « requiert la contribution transversale et conjointe de toutes les disciplines et démarches éducatives », les programmes commencent par déterminer, pour chaque discipline, sa « contribution essentielle et spécifique à l’acquisition de chaque domaine ». C’est là une nouveauté importante pour les enseignants souvent déconcertés, depuis le socle commun de 2006, par des exigences peu articulées posées d’une part dans le socle, et d’autre part dans les programmes. Il existe, dans le projet, une précieuse recherche de cohérence, de nature à réellement aider les équipes enseignantes. Chacun des programmes fixe, ensuite, « les niveaux de maîtrise attendus à la fin du cycle, les compétences et connaissances à acquérir et mobiliser ». Cette seconde partie précise les notions à faire découvrir. La nouveauté – que je salue – tient à ce que, par rapport à une tradition fortement normative d’un même programme imposé à tous, des choix sont désormais laissés aux équipes enseignantes pour se centrer d’abord sur les besoins des élèves. Les programmes deviennent un cadre national au sein duquel les enseignants organisent leurs enseignements en prenant en compte les besoins des élèves. C’est aussi ce qui amène, dans certaines disciplines, à proposer des thèmes obligatoires, et d’autres thèmes parmi lesquels les enseignements auront à choisir.
Outre le fait que certaines formulations relèvent, à l’évidence, d’un jargon à clarifier, les principales polémiques touchent au programme d’histoire. Les choix opérés entre thèmes obligatoires et thèmes facultatifs me semblent assurément contestables. Trop de propositions thématiques séparent de façon regrettable les éléments liés à la vie politique, à l’économie et à l’histoire intellectuelle et religieuse, alors qu’une bonne compréhension requiert une articulation des divers domaines au sein d’une trame chronologique claire. Je m’interroge également sur des choix d’écriture qui, à tort ou à raison, pourraient laisser penser qu’est, peu ou prou, occultée la part du christianisme dans la construction de la culture et de la société nationale et occidentale. Je souhaite vivement que la consultation permette de réorienter ces approches.
Au total, j’invite donc l’Enseignement catholique à accueillir favorablement le nouveau socle commun et la réforme des collèges, qui me paraissent à même de favoriser l’autonomie des établissements, de faire évoluer la mission de transmission de l’École pour le service d’une pédagogie personnalisée et d’une formation intégrale de la personne, et de rénover le métier de professeur en développant l’articulation entre enseignement et éducation. Les horizons dessinés rejoignent bien des pratiques déjà mises en œuvre dans nombre de nos établissements, et correspondent à des paradigmes de souplesse, d’adaptation, de créativité et de responsabilité que l’Enseignement catholique promeut et appelle de ses vœux.
Par ailleurs, j’appelle chacun à un concours actif et loyal à la consultation sur les programmes, dont des points notables sont à mes yeux à profondément améliorer.
Je souhaite que le regard porté sur ces réformes et les nécessaires débats qui s’ouvrent se fondent sur une lecture sérieuse, approfondie et globale des textes en cours d’élaboration. Les enjeux éducatifs, et notamment la préoccupation de la réussite de tous et de chacun, requièrent de dépasser les luttes partisanes, les anathèmes radicalisés et une certaine forme d’excessive grandiloquence ».
Pascal Balmand
(1). « Dis-moi de quoi tu parles. Que tu sois pour ou contre, je te dirai où tu es.», Maurice Bellet, Minuscule traité acide de spiritualité, Bayard, 2010, p. 62
(2). L’une des critiques fortement développées contre la réforme du collège consiste à avancer qu’elle procèderait d’un égalitarisme menant au nivellement par le bas. Sans doute provient-elle de l’idée selon laquelle le développement des pratiques interdisciplinaires se traduirait par l’affaiblissement du niveau d’ambition propre à chaque discipline : mais une telle vision des choses me semble relever d’une forme de confusion entre « savoirs » et « disciplines ». Or nous savons tous que les premiers ne se superposent pas intégralement aux secondes, et qu’il est bien des savoirs qui sont portés par plusieurs disciplines. Je crois que le dialogue entre les disciplines est vraiment susceptible de donner plus de sens aux apprentissages, tout particulièrement pour les élèves les plus éloignés de l’École. Inversement, je ne vois pas vraiment ce en quoi il se traduirait par un affadissement des contenus et une érosion des exigences, y compris pour les meilleurs élèves.
En correspondance, la lettre de l'enseignement catholique, n° spécial mai 2015