Mis à jour le : 2 mars 2022 / Publié le : 12 juillet 2019

Maisons d’accueil au lycée

Le lycée Charles-Péguy de Gorges s’est lancé dans un projet d’accueil très ambitieux conjuguant hébergement et formation.

Aurélie Sobocinski

Tout le monde sait dans l’établissement et autour que l’on accueille des jeunes migrants. Et ça n’est une surprise pour personne. » Sylvain Olivier, chef d’établissement du lycée polyvalent Charles-Péguy à Gorges (44), passé de 950 à 1 550 élèves en dix ans, n’y va pas par quatre chemins : « En tant que lycée acteur de son territoire, nous devions prendre notre part face à ce phénomène de société croissant. » Dans cette campagne du sud nantais limitrophe de la Vendée, ces itinéraires de vies éprouvés auraient pu rester des visages anonymes vus à la télé. Impossible pourtant de laisser l’établissement à l’écart de la marche du monde, selon le directeur. L’approche retenue est singulière. « Nous aidons ces jeunes à décrocher la formation professionnelle qualifiante correspondant le plus à leur projet, et qui leur permettra d’accéder à un métier et à l’autonomie nécessaires à leurs 18 ans pour obtenir un titre de séjour », explique Laurence Alberteau, adjointe en charge de l’éducation au sein du lycée, aujourd’hui conseillère technique sur le projet.

On vise 100 % d’insertion, via des contrats d’apprentissage et des formations courtes, le plus souvent dans l’artisanat, les métiers de bouche, le bâtiment. » Quitte à ce que leur scolarité ne se passe pas in situ. « Notre établissement propose des parcours en services à la personne et en vente, et non les formations rapidement qualifiantes dont ces mineurs ont besoin. C’est pourquoi nous avons créé un dispositif d’accompagnement global, parallèle au lycée mais animé par les mêmes valeurs », précise Sylvain Olivier.

Comme dans une famille

Pour les accueillir, l’établissement a acheté plusieurs maisons – et non des « foyers », la nuance a son importance – en contractant un emprunt. Tous reconnus mineurs par l’Aide sociale à l’enfance, les jeunes vivent ici « comme dans une famille », sept jours sur sept. Au nombre de dix-sept par maison, ils sont entourés d’une douzaine d’accompagnants éducatifs issus de la vie scolaire, du travail social ou de l’animation. Dès leur arrivée, s’engage un travail sur l'insertion professionnelle, le soutien scolaire, la prise en charge de la santé et l’accès à un loisir de leur choix – le foot, très souvent, où ils excellent. Cet internat éducatif au format inédit, différent d’une Maison de l’enfance à caractère social (MECS) ou d’un dispositif d’Aide sociale à l’enfance, est soutenu par le conseil départemental de Vendée. Entre le lycée et la collectivité, une convention pluriannuelle ou annuelle est signée pour chaque maison – au nombre de trois désormais. Elle prévoit l’orientation par le Département (qui reste leur responsable légal) des adolescents vers la structure ainsi que la prise en charge des frais nécessaires au fonctionnement (hébergement, habillement, alimentation, encadrement, scolarité, transports…).

En ce lundi matin de décembre, dans la maison de Gorges, la plus proche du lycée (les deux autres étant implantées en Vendée à 25 km et 100 km de là), Ishaka, 16 ans, burkinabé, arrivé en septembre 2017, raconte son nouveau départ. Comme lui, ses camarades sont surtout issus d’Afrique noire, et de confession musulmane. « J’ai quitté mon pays pour devenir garagiste comme l’était mon oncle, explique le jeune homme aux traits délicats. Grâce au soutien des éducatrices, j’ai pu trouver une entreprise. Cela a été difficile mais je vais pouvoir commencer un CAP en mécanique début janvier et je suis très content ». À ses côtés, son copain Alahadji, Malien de 16 ans, dont il traduit les paroles, en 3e Dima1 dans la ville voisine, va pouvoir se former en cuisine, son rêve ! « Ces jeunes sont en demande d’une prise en charge mais surtout d’une confiance, explique Maude Guérin, monitrice-éducatrice et responsable de la maison, qui suit l’aventure depuis l’origine. La plupart sont arrivés en France avec des projets précis en tête, parfois très idéalisés, qui nécessitent des ajustements par rapport à la réalité et l’acquisition de tous les codes pour mener à bien les démarches administratives et juridiques qui les séparent de leur projet. »

Cinquante-et-un salariés

La force du dispositif, c’est aussi le réseau qui a pu être mis en œuvre avec l’appui du lycée, une trentaine de partenaires au total – Maisons familiales rurales, CFA publics, chefs d’entreprise, associations sportives et culturelles, sans oublier de nombreux bénévoles avec lesquels les parcours des MNA se construisent. « Ce n’est pas facile. Les mineurs arrivent de plus en plus jeunes, avec des traumatismes importants. Il y a des moments de tension, de colère, face auxquels l’écoute, la parole et le rappel des règles sont essentiels.
Mais depuis 2016, tous nos jeunes ont réussi leur diplôme à la fin de leur apprentissage. Ponctuels, volontaires, investis, ils sont très appréciés de leurs employeurs », se réjouit Sylvain Olivier. Depuis la rentrée et le projet d’ouverture d’une troisième maison inaugurée mi-décembre, une
sectorisation au sein de la comptabilité du lycée a été créée pour gérer le dispositif et ses 51 salariés intervenant auprès des 51 jeunes accueillis. Le chef d’établissement en assure le pilotage, entouré de quatre experts qui sont aussi ses adjoints au lycée (en RH, en logistique, en technique sur le suivi éducatif et en prévention des risques), ainsi que d’une coordinatrice recrutée à temps plein, d’une nouvelle comptable à mi-temps et d’un avocat spécialiste du droit des migrants. Un staff impressionnant ! « Le chapitre 2 s’écrit maintenant. Recourir aux seuls personnels du lycée n’était plus tenable », indique Isabelle Mauricia, issue des Apprentis d’Auteuil, embauchée depuis octobre comme déléguée générale.

 

« On est prêts à s’améliorer et à accueillir plus, avec l’idée d’une quatrième maison dans un an », souligne l’adjoint de direction chargé de la logistique, Jean-Michel Boussonnière. Qu’est-ce que l’établissement y gagne ? « Pas d’argent, c’est sûr ! Avec la durée des conventions départementales, on fait un pari sur l’avenir. Mais beaucoup de sens, à condition de ne jamais déconnecter le projet du lycée », assure Sylvain Olivier. Des stages de découverte professionnelle proposés au sein du lycée, aux cours de français, en passant par des rencontres sportives avec les internes le mercredi après-midi, les équipes ont à cœur de nourrir ce lien. Sans oublier les familles, nombreuses à avoir ouvert leurs portes pour les fêtes... « C’est un savant dosage entre affirmation du projet et discrétion, résume Véronique Prévault, professeure de français et d’économie sociale et familiale au lycée. Les enseignants et personnels ont pu hésiter mais aujourd’hui, c’est devenu un principe bien vivant dans la définition de l’établissement ! »

 

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