Mis à jour le : 17 novembre 2016 / Publié le : 28 juin 2016
La pédagogie Roll pour lire mais aussi comprendre mieux
Lancé à la fin des années 90, le Réseau des observatoires locaux de la lecture (Roll) a été rejoint par environ 5 000 professeurs des écoles dans l’enseignement catholique. Zoom sur l’une des écoles pionnières : Sainte-Thérèse à Châtelain (Mayenne).
Par Eléonore Veillas
« Que nous raconte cette histoire ? », demande Chrystelle Météreau, au groupe de six élèves de sa classe de cycle 3, après leur avoir demandé de retourner la feuille sur laquelle figure le texte qu’ils viennent de lire en silence. L’un d’eux se lance : « C’est l’histoire d’un chasseur qui tuait les loups. » « Êtes-vous tous d’accord ? », interroge l’enseignante. « Non », rétorquent certains. La discussion s’anime, guidée par le professeur qui inscrit sur le tableau les diverses interprétations des élèves. Dans une colonne, celles qui font consensus, dans une autre, celles qui prêtent à controverse. Nous sommes dans l’un des trois ateliers où les groupes alternent chaque semaine. Toutes les trois semaines, Chrystelle Météreau modifie leur composition en fonction des difficultés de chacun. « L’idée de cet atelier de compréhension de texte est au coeur de la pédagogie Roll, explique l’enseignante. Il s’agit d’apprendre à l’élève à bien comprendre ce qu’il lit, en confrontant ses interprétations avec celles des autres pour arriver à une lecture la plus fouillée possible. » En une demi-heure, le tableau est noirci. Après une relecture en groupe, Chrystelle Météreau entoure en rouge ce qui est « acceptable » par rapport au texte. Ambre, 8 ans, apprécie ces ateliers : « Le fait d’être en groupe me plaît. Je comprends mieux les textes parce que je me pose plus de questions qu’avant ».
À côté, d’autres élèves sont concentrés sur des fiches de perfectionnement. C’est l’autre point fort de la démarche Roll : offrir une pédagogie différenciée. Deux fois par an, les élèves sont évalués sur neuf compétences par des tests disponibles sur le site Internet du Roll.
L’enseignant dispose ainsi du profil de la classe et de celui de chaque élève. En fonction des résultats, la banque de données du Roll propose des exercices ciblés. Cet après-midi, les élèves doivent répondre à des questions sur la syntaxe et le sens général du texte. Pour Maxence, 9 ans, ces exercices lui permettent de « lire doucement, et donc de mieux se concentrer sur les mots ». Pendant les trois quarts d’heure de la séance hebdomadaire de Roll, un dernier groupe, au fond de la classe, joue à l’ « enquête de lecture », un jeu de l’oie avec questions/réponses pour travailler les inférences.
Acquérir des automatismes
Le Roll, l’école Sainte-Thérèse de Châtelain est « tombée dedans » il y a dix ans. C’est Jean-Loup Thomas, son directeur jusqu’en 2014 et actuel directeur de l’école Saint-Julien de Laigné, à quelques kilomètres de là, qui l’a introduit. Il témoigne des résultats : « J’ai vu des enfants en difficulté de lecture réussir à progresser et le collège voisin a constaté que des élèves venant des écoles pratiquant le Roll étaient globalement plus à l’aise dans la compréhension des textes. Résultat : depuis trois ans le collège commence aussi à s’y mettre. » Jean-Loup Thomas insiste sur l’importance de la répétition pour l’élève : une séance hebdomadaire est recommandée, et il est préférable que la pratique se poursuive sur la totalité du parcours scolaire. « Il faut que la mécanique de questionnement du texte devienne un automatisme pour l’élève, indique-t-il. On peut proposer le Roll dès le cycle 1 : à cet âge, déjà, les toutpetits prennent des habitudes de lecture. » C’est ce qui se passe à l’école Sainte-Thérèse où Sandra Valteau organise, dans sa classe de cycle 1, trois séances de vingt minutes par semaine.
À partir, par exemple, de quatre images chronologiques et d’une phrase complexe, les enfants doivent découvrir à quelle image la phrase correspond. « C’est la discussion entre eux et les questions que je soulève qui les amènent à trouver la bonne réponse. Entre le début de l’année et le mois de janvier, je vois la différence. Les mécanismes commencent à se mettre en place », explique-t-elle.
À ce travail de compréhension de phrase, l’enseignante associe des jeux comme « la boîte mystère » pour apprendre à formuler des questions ou encore le Time’s up pour enrichir le vocabulaire. « Tous ces jeux amèneront plus tard ces enfants à comprendre des textes plus compliqués, c’est vraiment du temps gagné pour le cycle 2 », ajoute-t-elle.
Des enseignants experts
Ces enseignants le reconnaissent : pratiquer le Roll demande un effort d’investissement, mais pour cela ils sont très largement aidés par le site Internet qui fournit tous les supports. « Aujourd’hui, un enseignant qui veut débuter peut se lancer seul car la nouvelle version du site lancée en septembre propose même un planning avec des suggestions adaptées », explique Jean-Loup Thomas.
Autre atout du Roll : le réseau, d’abord sur le site qui mutualise les contributions et offre ainsi une banque de données extrêmement riche, mais également localement jusqu’au niveau diocésain. C’est le cas en Mayenne où formations et rencontres sont proposées.
Le Roll nécessite de l’enseignant qu’il accepte de bousculer ses habitudes comme en témoigne Chrystelle Météreau : « Interroger des enfants aussi longtemps pendant l’atelier de compréhension de texte, partir de ce qu’ils disent au lieu d’apporter des connaissances n’est pas un exercice simple au départ ». Mais cela apporte un réel avantage, explique Martine de Latude, tutrice Roll en Mayenne : « J’ai vu des enseignants entrer dans une forme d’expertise, ils deviennent plus pointus pour observer et suivre les élèves. »
Une démarche encouragée par le Secrétariat général de l’enseignement catholique (Sgec) qui a signé une convention, en 2013, avec l’équipe Roll. Pour Marie- Odile Plançon, chargée de mission 1er degré au Sgec, « cette pédagogie répond à deux enjeux essentiels, la prévention de l’illettrisme et l’éducation à la citoyenneté en apprenant aux élèves à faire preuve de probité intellectuelle quand ils rendent compte d’un texte. » Depuis 2013, six fois plus d’écoles et cinq fois plus de collèges ont rejoint le Roll. Signe que cette démarche répond aux besoins des équipes. Elle permet aussi de faire le lien entre école et collège pour construire le nouveau cycle 3 prévu pour la rentrée 2016.
3 questions à Alain Bentolila, professeur de linguistique à l’université Paris-Descartes et fondateur du Roll (1)
Comment est né le Roll ?
Il a débuté en 1996 avec l’idée de répondre à une question essentielle, celle de l’hétérogénéité des classes en matière de lecture, en proposant une pédagogie différenciée et pertinente. Puis, nous avons constaté que ce qui faisait souvent défaut chez les élèves, c’était la compréhension des textes. Aujourd’hui, avec la troisième version du Roll, nous proposons une pédagogie de la compréhension fondée sur la métacognition : chaque élève prend conscience de ses fonctionnements cognitifs pour apprendre en toute connaissance de cause. Tout le défi du Roll consiste à amener l’élève à trouver un équilibre entre son interprétation personnelle d’un texte et le respect de l’auteur.
Quels sont les résultats ?
Nos évaluations internes indiquent qu’en cinq mois de pratique, l’écart entre les élèves les plus fragiles et les autres diminue d’environ 5 à 10 %. À partir de 2 ans de pratique, on dépasse les 10 % de réduction d’écart. Une autre étude réalisée pour le ministère de l’Éducation nationale montre que l’écart entre les collèges ZEP et hors ZEP est deux fois moins important lorsque ces collèges pratiquent le Roll.
Quelles sont les perspectives d’avenir ?
Comme nous l’a proposé le cabinet de la ministre de l’Éducation nationale, nous allons étendre à la rentrée 2016 ce dispositif à 5 académies. Nous passerons ainsi de 19 500 enseignants (public et privé) engagés dans le Roll à environ 35 000. Autre projet : la « machine à lire » déjà expérimentée avec succès depuis deux ans au Havre. Elle permet d’entrer dans la lecture de textes plus longs, en alternant écoute audio et lecture autonome d’un livre.
(1). Langue et science (co-écrit avec Y.Quéré), 2014, Plon.
Le site du Réseaux des Observatoires Locaux de la Lecture (Roll)
Lire avec la « Machine à comprendre »
Entre savoir lire et être capable de comprendre un texte long sans s’essouffler, il peut y avoir, pour certains élèves, une marche plus ou moins haute. C’est là qu’intervient la « Machine à comprendre » conçue par le Centre international de formation à distance des maîtres (Cifodem), présidé par le linguiste Alain Bentolila, fondateur du Réseau des observatoires locaux de la lecture (Roll).
Le principe ? Une application pour tablette ou ordinateur qui, partant d’une histoire choisie, amène l’élève à s’engager dans un contrat alternant temps de lecture individuelle et temps de lecture par la « machine », laquelle permet aussi de suivre les progrès de l’élève. Associée au Roll, elle propose également des ateliers de compréhension de textes en cours de lecture.
Pour tester ce nouvel outil, une expérimentation a été lancée dans quatre académies ainsi qu’à la direction diocésaine de Lyon, dans le cadre d’une convention signée le 28 septembre dernier pour trois ans. « Cette démarche attrayante et impliquante pour l’élève est pertinente, commente Jacques Bouvet, adjoint BEP-ASH* à la direction diocésaine de Lyon et tuteur Roll, qui vise une cinquantaine de classes équipées. Travaillée en lien avec le pôle École du secrétariat général, cette machine constitue un outil privilégié de mise en œuvre de notre projet "Vers une École inclusive" ». JLBB