Publié le : 28 août 2025
Travailler la relation aux familles
Laurent Lescouarch, enseignant-chercheur en sciences de l’éducation, accompagne une vingtaine d’enseignants spécialisés d’Auvergne dans une recherche-action interrogeant leur rôle de médiateur dans le lien école-famille. Objectif : produire des outils favorisant une meilleure compréhension entre des parents démunis face aux attendus de l’École ou déçus de l’École inclusive, et un corps enseignant devant s’adapter à la nouvelle injonction de co-éducation.

Pourquoi ce choix de la relation entre les parents et l’école comme sujet de recherche- action ?
Laurent Lescouarch : Ce sont les enseignants spécialisés qui l’ont choisi pour interroger leur place dans le système : n’étant pas chargés de classe, ils ont une relation aux familles différente des autres enseignants. Ils sont en position d’assurer un rôle de médiateurs, de tiers distancié, pour permettre aux parents de mieux comprendre les enjeux du monde scolaire. Les attendus scolaires sont source de nombreux malentendus. Certains parents n’ont pas les outils didactiques, ne serait-ce que pour aider leur enfant à apprendre une leçon. Pour les enseignants, il est important de prendre conscience des préjugés face à des parents souvent perçus comme démissionnaires, en réalité plutôt démunis. De nombreux travaux mettent en évidence ces stéréotypes et ces malentendus. En travaillant la relation École-famille, les enseignants spécialisés se rendent compte que celle-ci ne relève pas seulement de la bonne volonté, mais nécessite de conscientiser ce qui se joue pour la réguler. Ainsi, l’hypothèse de départ c’est qu’une relation École-famille convergente favorise une meilleure scolarité des enfants en difficulté ou en situation de handicap.
Qu’a changé la loi Handicap de 2005 pour les familles et les enseignants ?
Laurent Lescouarch : La loi Handicap a nourri l’attente d’une École sur-mesure, hyper-individualisée, là où le projet scolaire s’inscrit dans une logique d’inclusion collective. Cela peut créer des tensions avec des familles déçues. L’École inclusive tend par ailleurs à promouvoir la co-éducation après des décennies de mise à distance des parents. Créer cette relation ne va pas de soi.
Du côté des enseignants, la nouvelle norme veut que chaque enfant, quelle que soit sa situation, soit accueilli en classe ordinaire. Si l’inclusion scolaire a été relativement bien accompagnée à l’école primaire ces dernières décennies, dans le secondaire, elle est parfois subie par des enseignants non outillés à la différenciation pédagogique. Il appartient alors, par exemple, aux enseignants spécialisés de la faciliter, en partageant des outils pour construire une nouvelle pratique.
Comment se déroule cette recherche-action ?
Laurent Lescouarch : Pilotée par une vingtaine d’enseignants spécialisés d’Auvergne vis-à-vis desquels je joue un rôle d’accompagnateur, cette recherche-action s’est d’abord interrogée sur les enjeux de leur pratique à travers des références théoriques. Dans une deuxième phase, les enseignants spécialisés développent des dispositifs innovants dans leurs établissements : par exemple, l’accueil de parents pour travailler la question des devoirs, des cafés des parents sur des sujets éducatifs, des ateliers ludiques pour discuter de l’intérêt qu'il y a à jouer avec les enfants, le tout en présence des trois types d'acteurs, les enseignants, l'enseignant spécialisé en tant que médiateur et les familles. Ces pratiques sont ensuite analysées collectivement pour étudier ce qui fonctionne bien ou moins bien, les obstacles à dépasser. L’objectif est d’en tirer des invariants, base d’outils destinés à la formation des enseignants spécialisés. Dans cette recherche-action, les chercheurs sont les enseignants eux-mêmes, au plus près de leur contexte professionnel. Cette démarche favorise une dynamique de formation personnelle très importante.

Laurent Lescouarch
enseignant-chercheur en sciences de l’éducation