Mis à jour le : 26 septembre 2016 / Publié le : 19 juillet 2016

Le raisonnement se construit tout petit

ecole-St-Francois-Les-Goelands-1En maternelle, la démarche expérimentale est privilégiée à l’école Saint-François – Les-Goélands de Saint-Rambert-d’Albon (Drôme), comme y invitent les nouveaux programmes.


Par Noémie Fossey-Sergent

« Ça colle ! » Elena, deux ans et demi, petite brunette aux tresses raides, vient de découvrir le pouvoir des aimants en observant sa paire de ciseaux suspendue à un magnet de réfrigérateur. Élève en toute petite section à l’école Saint-François - Les-Goélands de Saint-Rambert-d’Albon, au nord de Valence, elle participe avec quatre autres élèves de sa classe à un atelier de 15 minutes qui valorise la démarche expérimentale. Le but ? S’interroger, essayer, observer, déduire. Christelle Dupuis, l’enseignante avance à petits pas : « Là, c’est une première séance. Ils ne savent pas ce qu’est un aimant. J’ai apporté des objets de toute sorte : mousqueton, bouton, règle, coton, jouet… Ils en choisissent un, le rapprochent de l’aimant, observent ce qui se passe et décrivent le phénomène avec leurs mots. » Pour affiner leurs sens de la déduction, elle complexifiera le travail au fil des semaines : tri des objets selon leur capacité à être aimantés ou pas, puis fabrication d’une canne à pêche aimantée jusqu’à une situation problème qui consiste à récupérer un trombone plongé dans un verre d’eau sans bouger le verre ! L’enseignante garde une trace de cette séance de découverte dans un « livret d’expériences » qu’elle rédige pour chaque élève.

Le principe du magnétisme, abordé de manière très concrète, dès la petite section.

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Le principe du magnétisme, abordé de manière très concrète, dès la petite section. © NFS

Autre niveau, autre sujet. En petite et moyenne section, Magali attaque sa séquence sur les glaçons en commençant par interroger les élèves sur l’image qu’ils en ont. Réunis en grand groupe face au tableau, les réponses des vingt-quatre enfants fusent : « c’est froid », « carré », « ça donne des frissons », « ça fond vite et après on peut le boire » ! L’enseignante note au fur et à mesure les éléments avant d’amener, à la fin, la question centrale : « Si on devait fabriquer un glaçon, comment pourrait-on faire ? » À la prochaine séance seulement, elle sollicitera leur expérience en demandant aux petits d’être attentifs à leurs sensations quand elle posera un glaçon dans leur main.

Les glaçons sont froids et fondent, CQFD !
Les glaçons sont froids et fondent, CQFD ! © NFS

Réfléchir avant d’agir

Dans cette école de 333 élèves (dont 130 maternelles), la démarche expérimentale, remise au cœur des nouveaux programmes de maternelle (lire encadré), est utilisée par l’ensemble de l’équipe. Patricia Vincent, la directrice, également enseignante en toute petite section, l’apprécie tout particulièrement : « Elle amène les enfants à se questionner, à réfléchir avant d’agir, à construire un raisonnement. Je me souviens d’élèves de toutes petites sections qui étaient parvenus à allumer une ampoule avec des piles, via la démarche expérimentale. J’ai été impressionnée de voir qu’ils peuvent, si petits, trouver seuls les solutions. Ils avaient juste besoin qu’on leur donne les outils pour raisonner ». 

Durant l’année scolaire 2014-2015, toute l’équipe a ainsi participé à un projet sciences décliné sur les différents niveaux avec, à chaque période, une nouvelle séquence. Aujourd’hui, les fiches d’activités circulent entre les enseignantes et les séquences sont construites en cycle, évitant tout risque de redites.

Pour les enseignantes, travailler selon la démarche expérimentale présente beaucoup d’atouts. « En plus d’explorer le vivant, les élèves développent l’écoute, l’expression orale, le sens du collectif… », note Laura Duclos, en charge d’une classe de petite et moyenne sections. Elle permet aussi de clarifier des notions qui peuvent paraître abstraites : « Par exemple, quand les fleurs que j’ai plantées vont pousser, je pense revoir la notion de verticalité en étudiant la tige, illustre Laura Duclos. La couleur des tulipes sera aussi l’occasion de faire un petit récapitulatif de leurs connaissances. »

Expérimenter et s’amuser en même temps permet aussi de mieux retenir. C’est la conviction de Patricia Vincent : « Je me souviens d’une séance qui avait bien plu sur le transport d’eau dans différents contenants : passoire, bol... Le jour de l’évaluation, personne ne s’était trompé ! »

Bousculer les représentations

La rédaction des hypothèses sur des affiches ou au tableau est aussi, pour Florence Bonnot, enseignante en grande section, l’occasion d’aborder des moments clés comme « les toutes premières copies au tableau et les premières écritures de mots ». Lors de sa séance autour des bulbes de jacinthes, les enfants ont ainsi découvert le mot « racine » après avoir observé « des petits traits dans la terre ». Ils ont aussi fait leur premier dessin d’observation scientifique qui nécessite précision et application.

Bousculer les représentations et « faire émerger le peut-être », à un âge où les enfants ont parfois des idées bien arrêtées, est une autre vertu de la démarche expérimentale, selon Florence Bonnot. « Que les enfants se mettent dans une posture leur permettant de formuler une hypothèse, c’est une petite victoire, pour moi ». D’autant qu’elle peut s’appuyer sur un puissant levier, « le mystère… que les maternelles adorent ! »

La démarche expérimentale a aussi pour elle d’encourager les plus timides ou les moins bons à s’investir puisque lorsqu’on émet des hypothèses, il n’y a pas, par définition, de mauvaise idée.

Apprendre c’est questionner, débattre, émettre des hypothèses pour les vérifier…
Apprendre c’est questionner, débattre, émettre des hypothèses pour les vérifier… © NFS

Au-delà, cette démarche donne à l’enfant un outillage mental qui, « dans une société où l’on attend un peu trop la solution », lui sera essentiel pour sa vie future, estime Patricia Vincent. « En formant au choix, en confrontant à l’échec d’une hypothèse, la démarche expérimentale permet de former des citoyens », explique-t-elle. « Quand on est adulte, face à une difficulté, est-ce qu’on attend qu’on nous donne la solution ?, s’interroge-t-elle. Non, on essaye de la chercher, on se trompe, on recommence. » « La démarche expérimentale, c’est finalement quelque chose qu’on pratique beaucoup en maternelle. Manipuler, questionner… on le fait tout le temps », estime Florence Bonnot. Quand elle a travaillé avec ses élèves sur la faune, elle les a d’ailleurs faits réfléchir sur chaque animal à travers une question. Par exemple : « Pourquoi le guépard est-il si mince ? ». « Parce qu’il ne mange pas beaucoup », « parce qu’il est mou », « pour mieux se cacher », ont répondu les enfants.

Christelle Dupuis anime une séance découverte avec des élèves de toute petite section.
Christelle Dupuis anime une séance découverte avec des élèves de toute petite section. © NFS

Mais travailler en démarche expérimentale apporte aussi son lot d’aléas : « On s’attend parfois à ce qu’ils aient des connaissances qu’ils n’ont pas encore, confie Laura Duclos. Il faut alors réadapter sa séance. » Une impression confirmée par Patricia Vincent qui n’hésite pas, dans ce cas, à recourir à la remédiation. Ainsi, quand elle a étudié avec ses élèves l’air en mouvement, à travers la question : « Peut-on faire bouger des objets en soufflant ? », elle s’est rendue compte, lors de l’expérience, que tous ses élèves ne savaient pas souffler. « J’ai pris à part les élèves en difficulté et je leur ai montré comment souffler dans une paille plongée dans un verre d’eau », se souvient-elle. L’enseignant doit également apprendre à guider et canaliser la réflexion des enfants : « Il ne faut pas trop en dire mais en dire suffisamment pour que les enfants réfléchissent dans le bon sens », confie Laura Duclos.

Un suivi attentif qui permet en grande section ou en primaire d’aborder des sujets plus ardus. Évelyne Cros, en charge d’une grande section et d’un CP, a ainsi animé une séance sur l’électricité dans le laboratoire du collège en co-intervention avec le professeur de technologie de 6e. Une belle façon de préparer, en douceur, le passage au collège dans quelques années.

eca370Issu du magazine Enseignement catholique actualités n° 370, décembre 2015 - janvier 2016, p 30 - 31

À retrouver dans l'ECA n° 370

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