Mis à jour le : 22 novembre 2016 / Publié le : 6 septembre 2016
Stratégies de traverse
ERS, classe d’Envol, 4e et 3e de l’enseignement agricole, École sans murs… Le collège-lycée Fénelon de Vaujours se mobilise pour prévenir le décrochage scolaire. Point commun de ces initiatives ? Une dédramatisation de l’école pour redonner confiance et envie d’apprendre à tous ceux qui sont en rupture de ban.
Par Laurence Estival
Plus tard, je serai président du Mali. » C’est avec un certain aplomb que Kaourou, 14 ans, arrivé en début d’année scolaire à l’ERS (1) du collège-lycée Fénelon de Vaujours (Seine-Saint-Denis), imagine son futur. Même si avant d’accéder à cette fonction suprême, il se voit bien revêtir les habits de plombier, une profession qu’il vient de découvrir… En un peu plus d’un mois, l’adolescent rebelle, mis à la porte de deux collèges de Seine-Saint-Denis, n’est certes pas devenu un agneau, les rechutes étant toujours possibles. Mais sans parler d’un horizon sans nuages, il commence à renouer avec l’école grâce au travail mené par l’équipe d’enseignants et d’éducateurs qui ne ménagent pas leur peine : dès leur réveil à l’internat, les sept jeunes accueillis dans l’ERS sont pris en charge jusqu’au coucher. Au programme : des heures de classe le matin, des activités culturelles et sportives l’après-midi. Avec en filigrane une pédagogie tournant le dos à tout ce qu’ils ont connu avant de fréquenter l’établissement. Ici, pas de cours magistraux mais du sur mesure, destiné à repérer les talents de chacun.
« Il faut cesser de mettre tous les élèves dans les mêmes tuyaux. En introduisant des parcours adaptés, on peut prévenir le décrochage », souligne Benoît de Guillebon, enseignant qui a rejoint l’ERS après quinze ans passés à enseigner en classes de 4e et de 3e de l’enseignement agricole (EA) et sept années au sein de la classe d’Envol de l’établissement où une même philosophie est également à l’œuvre. Les 6e et 5e ayant perdu pied sont suivis de plus près, en petits effectifs, par des enseignants qui s’évertuent à faire progresser chacun à son rythme. « Une fois comblées leurs lacunes avec des moyens adaptés – apprentissage de méthodologies de travail pour hiérarchiser les priorités, programmes allégés, participation à des projets pluridisciplinaires… –, ils pourront réintégrer un parcours classique », précise Nadine David-Bélier, coordinatrice de ce dispositif.
Même combat dans les 4e et 3e EA où, pour redonner envie d’apprendre à des élèves fâchés avec l’école, les programmes font une large place aux travaux pratiques et aux visites de terrain. C’est sur la découverte de la « vie réelle » que viendront se greffer ensuite les enseignements qui auront une dimension plus concrète. « On ne les met pas tout de suite derrière une table avec des enseignants de matières générales. En s’appuyant sur des situations qu’ils ont pu rencontrer, ils se rendent compte de l’intérêt des mathématiques », explique Anne Bocheux, responsable des 4es EA.
Comme dans l’ERS ou dans la classe d’Envol, il s’agit avant tout de dédramatiser l’école pour des élèves souvent enfermés dans le sentiment d’échec. Et les enseignants et éducateurs engagés dans ces parcours adaptés de pointer du doigt le système de notation absurde qui mesure les performances des élèves par rapport à une norme, au lieu de s’appuyer sur leurs progrès et leurs aptitudes afin de les inciter à aller de l’avant et de leur montrer combien l’effort peut s’avérer payant. « Ils ont besoin de reconnaissance pour reprendre confiance en eux », résume Nadine David-Bélier. « En 4e technologique, nous avons l’avantage de commencer le programme avec de nouvelles matières – enseignements liés à la santé, à l’environnement, éducation socioculturelle… - dans lesquelles ils n’ont aucun retard puisqu’ils ne les ont jamais abordées », ajoute Anne Bocheux. Viennent ensuite des dictées préparées pour leur permettre d’éviter les principaux pièges, avant d’enchaîner avec des exercices plus classiques.
Dosage
Reste que la mise en place de parcours adaptés et une valorisation des élèves doivent aller de pair avec la possibilité d’instaurer d’autres relations avec les adultes. « Il faut créer de la confiance et leur montrer qu’avant d’avoir un enseignant ou un éducateur en face d’eux, ils ont une personne », insiste Benoît de Guillebon qui n’hésite pas à accompagner les jeunes de l’ERS dans leurs activités sportives. « Comme eux, je suis capable de me dépasser quand je fais de l’Accrobranche. » Dans cette classe particulière, l’équipe éducative partage également tous les jours le repas de midi avec les élèves. « Jamais je n’aurais pu imaginer manger avec un prof ! » lance l’un d’eux. « C’est la première fois que je rigole aussi avec un enseignant », continue un autre… « Si nous devons être à leur écoute et passer du temps avec eux, il faut toutefois faire attention de ne pas devenir leur copain. C’est tout un travail de dosage. À nous de savoir où l’on met le curseur entre la nécessité de casser l’image de l’enseignant qui n’est là que pour les juger et l’obligation de garder une certaine autorité », met en garde Anne Bocheux.
Engagées sur ces chemins de traverse, les équipes éducatives, peu préparées à gérer des situations aussi complexes, reconnaissent avoir besoin d’un accompagnement pédagogique mais aussi psychologique, notamment en ERS et dans une moindre mesure en classe d’Envol. Première consigne de la directrice, Dominique Lhuillier : « Ne proposer cette aventure qu’à des enseignants volontaires sensibles aux élèves à profils atypiques, sinon cela ne marche pas. » Deuxième règle : travailler en étroite collaboration avec la psychologue de l’établissement, Claire Messager. « Dans la classe d’Envol, elle participe à toutes nos réunions et en cas de problèmes avec un élève, je n’hésite pas à la solliciter », raconte Nadine David-Bélier. « Il faut que les enseignants explicitent davantage ce qu’ils attendent des élèves, qu’ils s’assurent qu’ils ont bien compris, s’adaptent à leur niveau de langage, fassent leurs cours en tenant compte de la capacité des plus faibles à suivre et non pas en s’appuyant sur les plus forts. Cette attitude ne va pas pour certains sans une certaine remise en question. D’une manière générale, les décrocheurs interrogent le système scolaire et la fonction enseignante », met en avant la psychologue.
Claire Messager vient d’ailleurs, à la demande de l’équipe éducative de l’ERS, d’initier un groupe de travail pour leur permettre de parler entre eux des difficultés rencontrées, de chercher auprès de leurs pairs comment y faire face et d’échanger de bonnes pratiques. Un travail qui pourrait, dans un second temps, être élargi aux équipes enseignantes dans les autres dispositifs.
Primo-arrivants
Autre chantier de taille, auquel s’est attaqué Fénelon : la mise en place d’outils pour raccrocher les décrocheurs avant qu’ils ne disparaissent complètement dans la nature. C’est la tâche à laquelle s’attèle depuis douze ans l’École sans murs développée par l’établissement en partenariat avec la DDEC de Seine-Saint-Denis dans un quartier de Clichy-Montfermeil. Deux enseignants à temps plein proposent ainsi des cours à quelque 90 enfants de 6 à 17 ans déscolarisés pour leur permettre de rejoindre rapidement une école, un collège ou un lycée dans les meilleurs conditions possibles. « Nous nous adressons essentiellement à des primo-arrivants. Nous leur apportons beaucoup de méthodologie et des rudiments pour pouvoir se débrouiller ensuite et éviter qu’ils restent dans la rue où ils ont alors toutes les chances de ne plus jamais retourner dans le système scolaire », indique Pascale Lallemand, responsable de cette structure.
« Au-delà de cas particuliers, il est toutefois très difficile d’éviter le décrochage car il y a de multiples causes, et pas toujours scolaires, qui expliquent cette situation. Le rôle de l’école est de chercher à le prévenir et de proposer des alternatives au collège unique. Et c’est déjà pas mal », conclut Brigitte Bacquet, coordinatrice de l’ERS qui, comme ses collègues, mobilise chaque jour une énergie sans faille pour atteindre cet objectif…
(1). Établissement de réinsertion scolaire.
Thomas De Jésus, 15 ans, élève en seconde générale à Vaujours
« J’ai retrouvé l’envie de faire des études »
C’est avec une certaine appréhension que Thomas De Jésus découvre il y a deux ans l’enseignement agricole, orienté sans l’avoir réellement choisi en 4e technologique à Vaujours après une 5e calamiteuse terminée avec 9 de moyenne… « Je n’arrivais plus à me concentrer, je n’avais plus envie de rester dans la classe », se souvient-il. Après avoir visité l’établissement au cours d’une journée portes ouvertes où il découvre le projet éducatif, il commence à retrouver le sourire, conquis par les nombreux travaux pratiques en technologies horticoles sur le terrain. « Depuis, je m’éclate, les profs sont géniaux. Ils prennent du temps pour nous expliquer ce que nous n’avons pas compris. Il y a de nombreux cours de soutien », explique l’adolescent particulièrement prolixe sur le projet conduit en fin d’année en Sologne. « On a travaillé avec des pensionnaires d’une maison de retraite sur la création de jardins suspendus pour permettre aux personnes âgées de continuer à jardiner sans avoir à se baisser. » Avec des résultats en progression, Thomas intègre la 3e avec, à la fin de ce parcours, une moyenne générale de 13/20. De quoi lui permettre de retourner dans l’enseignement général avec en prime une confiance en lui retrouvée. Passionné par le machinisme agricole, il s’imagine bien poursuivre ses études après le bac dans une école d’ingénieurs…