Mis à jour le : 23 avril 2024 / Publié le : 12 janvier 2018
Retrouver le goût d’apprendre
Un emploi du temps à la carte, pas de notes, des classes multi-niveaux… Le collège Clairefontaine, de Duisans, dans le Nord-Pas-de-Calais, innove pour raccrocher les décrocheurs.
Ce dispositif quasi sur-mesure aide les collégiens à surmonter l'échec scolaire. Certains sont des décrocheurs, d'autres souffrent de dyslexie, quelques uns ne savent pas lire. Leurs difficultés d'apprentissage se doublent souvent de problèmes de comportement et de précarité sociale. « Nombre d'entre eux sont des “accidentés de la vie”, en famille d'accueil, ou en foyer, orientés vers nous par les services sociaux... Quelques-uns viennent de familles aisées, explique Christophe Lepoivre, directeur de Clairefontaine depuis septembre 2010. À tous, nous offrons une solution quand les autres établissements n’en ont plus. » Une mission portée par le collège depuis sa création en 1962.
À quelques encablures d'Arras, l'établissement, implanté dans un château du XVIIIe siècle, sur un terrain traversé d'une rivière – d'où le nom de Clairefontaine –, offre un cadre verdoyant aux élèves. Venus du Nord, du Pas-de-Calais et de région parisienne, la quasi-totalité d'entre eux est en internat. Mais depuis l'ouverture de la demi-pension en 2015, une dizaine de jeunes des alentours, sans difficultés scolaires, a rejoint le collège pour bénéficier de ses innovations pédagogiques. Au total, le collège accueille donc 113 élèves répartis dans dix classes, dont une ULIS (unité localisée pour l’inclusion scolaire) et une classe en alternance. Outre les vingt professeurs chargés d’enseigner, neuf éducateurs, trois assistantes de vie scolaire, une infirmière et une psychologue veillent sur les collégiens. Sans compter les interventions régulières d'orthophonistes et d'un kinésithérapeute.
Des classes de moins de douze élèves
Ici, tout est fait pour aider les jeunes à reprendre confiance dans leur capacité à apprendre. L'effectif d’une classe n'excède jamais douze collégiens. Un projet personnel de réussite éducative, établi en présence des parents, de l'élève et du professeur référent, définit les objectifs visés par période. « À un jeune déscolarisé de longue date, nous proposons d'abord de venir seulement deux jours par semaine. À un élève qui ne sait pas lire, on donne pour but d’y parvenir avant les vacances de la Toussaint », illustre Christophe Lepoivre.
Depuis la rentrée 2014, l'établissement a abandonné les notes, au profit de l'évaluation par compétences. « Que signifie une mauvaise note ? Que l'élève a mal compris la consigne ? Qu'il n'a pas eu le temps d'achever son devoir ? Que j'ai mal expliqué le cours? La note ne permet pas d'identifier ce qui doit être mis en place pour aider l'élève », explique celui qui est aussi professeur de mathématiques. Depuis, chaque cours vise l'acquisition d'une compétence : « Que je fasse ou non une interrogation, je dois être en mesure d'évaluer si cette compétence est acquise par l’élève à la fin de ma séance », explique-t-il
Des points rouges et des points verts, entrés dans un logiciel d'évaluation, traduisent le degré d'acquisition de la notion. Un simple coup d'œil à cette grille suffit à l'enseignant pour repérer les notions acquises ou non. Angélique Béclin, professeur de lettres, apprécie la souplesse de l'outil, par opposition à une note figée : « Si j'observe qu'un élève a acquis des compétences pendant la correction d'un devoir, je modifie son évaluation en cours de séance. » Cette méthode a en outre le mérite de ne pas dévaloriser les jeunes. « Avec une mauvaise note, je me sens nulle, pas avec un point rouge ! », lance Kassandra, 14 ans, en 3e, orientée vers le pensionnat par son éducatrice, alors qu'elle vivait des difficultés familiales. L'établissement continue malgré tout à traduire ces points rouges et verts sous forme de notes chaque trimestre, grâce à un algorithme, qui permet aux élèves de réintégrer ensuite un cursus scolaire traditionnel.
55 % de réussite au brevet
Une autre innovation a vu le jour à la rentrée : les cours à la carte. Pour chaque heure, l'élève a le choix entre plusieurs matières et professeurs. Il établit ainsi son emploi du temps hebdomadaire. Seul impératif, suivre au moins une heure par matière au cours de la semaine et respecter le quota d’heures annuelles. « L'objectif est de responsabiliser les élèves, de les rendre acteurs de leur scolarité », explique le directeur. C'est un succès. « Depuis la rentrée, les élèves sont moins agités en classe du fait qu’ils ont choisi de participer à mon cours », souligne Angélique Béclin. Les cours à la carte s'accompagnent de la mise en place de classes multi-niveaux. Cette mesure qui incite les professeurs à abandonner le cours magistral pour le travail en îlots traduit la volonté du directeur de tendre vers l'individualisation des cours : « Chacun doit pouvoir apprendre à son rythme et selon son niveau scolaire. Pour ce faire, dès la Toussaint, chaque élève sera équipé d’une tablette numérique », annonce le chef d'établissement.
Les efforts menés par l'équipe éducative portent leurs fruits. Kassandra est passée de 9/20 de moyenne dans son ancien établissement à 17/20 à Clairefontaine. Antoine, 14 ans, élève dyslexique, à la diction hésitante, l’a faite grimper de 12 à 17/20. Malgré le profil de ses jeunes, l'établissement n'a pas à rougir de son taux de réussite au brevet, de 55 % en 2016. Pourtant, Christophe Lepoivre ne considère pas cela comme un critère : « Peu importe que les élèves obtiennent ou non le brevet. L'important, c'est qu'ils puissent réaliser leur projet. Seule compte l'affectation des élèves dans les orientations de leur choix. »
Malgré ces résultats, le collège est confronté à des difficultés financières. De 250 élèves en 2008, l'établissement n'en accueille plus que 113 aujourd'hui. Une baisse de l’effectif que le directeur attribue à la chute des subventions allouées aux services sociaux par les conseils départementaux, indispensables aux familles défavorisées pour financer les 9 650 euros annuels de l'internat. Le collège, qui ne bénéficie d'aucun statut particulier malgré les spécificités du public accueilli, a lancé des appels à diverses personnalités politiques et au ministère de l'Éducation nationale, auquel il a présenté son usage de l'évaluation par compétence, en novembre 2015. En faisant connaître le travail de l'établissement, Christophe Lepoivre espère que Clairefontaine obtiendra les soutiens nécessaires à la poursuite de sa vocation : l'accueil de tous.
La mode pour travailler sur soi
Depuis deux ans, Aurélie Petit, infirmière au collège Clairefontaine de Duisans, propose un atelier mode. Son projet a été lauréat l'été dernier du concours lancé par l'Association française de promotion pour la santé scolaire et universitaire. Les élèves de l'atelier sont invités à créer ou transformer des vêtements, avec lesquels ils défilent à la fin de l'année. Chaque séance est l'occasion de libérer la parole et de délivrer des messages de prévention pour l'infirmière. Mais c'est aussi et surtout un support pour travailler l'estime de soi. « Malgré sa phobie scolaire et la peur du regard des autres, une élève à accepter de défiler, un autre de chanter », témoigne l'infirmière. L'atelier permet aussi de détecter les talents pour affiner les orientations. « Outre les jeunes créateurs, certains élèves participent à la coiffure, la préparation de l'événement, la logistique », souligne-t-elle. À l'issue, chacun reçoit un book retraçant cette expérience, et leurs tenues.
Article de Coline Léger
in ECA n°375 (nov.2016)