Publié le : 27 février 2020

Liban: l’Ecole catholique dans la tourmente

En août 2017, les salaires des professeurs libanais du public ont été revalorisés. L’enseignement catholique a dû suivre, même si l’État ne lui a pas versé les subventions dues. Résultat: c’est au prix de grandes difficultés que ses écoles continuent à délivrer un enseignement exigeant et ouvert à tous.

Rien ne va plus au pays du Cèdre ! Et les responsables de l’enseignement catholique libanais ont toutes les raisons d’être inquiets. « L’État refuse de verser aux écoles privées semi-gratuites les subventions qu’il leur doit depuis 2014-2015 », explique le père Boutros Azar, secrétaire général de l’enseignement catholique du Liban (Sgec-L).
De fait, un décret-loi exige 2017 que les subventions dues à ces écoles privées (voir encadré) soient réglées deux fois par an, en avril et juillet. Or les dettes de l’État s’accumulent. « Les conséquences sont désastreuses pour l’enseignement catholique qui a dû fermer quatre écoles et licencier 500 enseignants », déplore le père Boutros Azar.
À Tyr, l’École des Sœurs de Saint-Joseph-de-l’Apparition qui scolarisait depuis 140 ans toute la population, à majorité chiite, n’a pas rouvert à la rentrée 2018. « D’autres écoles auraient dû fermer mais les habitants s’y sont opposés, confie le père Boutros Azar. Aussi, nous avons essayé de réduire les dépenses en regroupant des classes. »
À la défaillance de l’État s’est en effet ajoutée une loi votée par les parlementaires en août 2017, à la veille d’élections : elle impose d’augmenter de manière conséquente le salaire des enseignants (de +40 à +70 %) et de leur donner six échelons exceptionnels supplémentaires dans leur grille de rémunération.

 

Une loi qui sème la zizanie

Le ministère de l’Éducation nationale libanais ayant répercuté ces deux augmentations sur le salaire des professeurs du public, l’enseignement catholique qui, contrairement à la France, rémunère lui-même ses professeurs, se devait de suivre. Mais s’il a appliqué de mauvais gré la première revalorisation – moyennant une hausse des frais de scolarité qui pénalise les familles –, il s’est refusé à rajouter des échelons.

« La loi de 2017 a créé un vrai problème social, témoigne sœur Myrna Farah, directrice de l’institution Besançon – Sainte-Anne, située au cœur de Beyrouth. Désormais, tout le monde est contre tout le monde. Les parents sont contre l’école car ils ne veulent pas payer plus ; les enseignants sont contre la direction qui ne leur octroie pas les six échelons auxquels ils ont droit ; quant à la direction, elle est hors-la-loi ! »

Mais ce qui chagrine le plus sœur Myrna, c’est la campagne de dévalorisation menée dans le pays contre l’École catholique sur les réseaux sociaux. Pour autant, aucun professeur du privé ne démissionne pour aller travailler dans le public. « L’École publique, malgré les aides qu’elle reçoit, n’arrive pas à délivrer un enseignement de qualité, pointe le père André Daher, directeur de l’Antonine international school, à Ajaltoun (située au Mont-Liban), et pourtant un élève du public coûte plus cher qu’un élève du privé. » Aussi, les parents libanais évitent-ils d’y scolariser leurs enfants. Mais la hausse de l’écolage dans le privé et la crise économique ont changé la donne. « Le Liban est endetté à hauteur de 85 milliards de dollars. Ses habitants – parmi lesquels 30 % sont des réfugiés syriens – s’appauvrissent de plus en plus et le taux de chômage dépasse les 36 % », résume sœur Myrna, confrontée à des familles qui ne peuvent plus payer les frais de scolarité (de 3 500 dollars par an dans son école, et jusqu’à 15 000 dollars dans d’autres réseaux privés, pour un Smic mensuel d’environ 450 dollars). Face à cette situation alarmante, le Sgec-L, ainsi que l’association des établissements scolaires privés, essaient de renégocier avec les pouvoirs publics, sans succès.

 

Contribution à la francophonie

Dernier sujet d’inquiétude et non des moindres : « Des écoles musulmanes communautaristes ouvrent un peu partout », note le père André Daher qui plaide pour un enseignement ouvert, au service de tous les Libanais. Et ces écoles confessionnelles peu chères, car financées par l’Iran et l’Arabie saoudite, attirent de nombreuses fa- milles. L’heure est donc grave car c’est l’avenir de la société libanaise qui se joue à travers ses choix éducatifs. La France en est bien consciente et Emmanuel Macron a fait parvenir un message aux responsables chrétiens, lors d’une rencontre sur la francophonie qui s’est tenue les 12 et 13 avril 2018 à Beyrouth. Le président de la République y salue « l’œuvre admirable entreprise par les congrégations catholiques au service des populations de la région [...]. Les écoles chrétiennes et en particulier catholiques, au Liban et dans plusieurs pays du proche et du Moyen-Orient, apportent depuis plusieurs siècles [...] une contribution essentielle à la diffusion du savoir, du respect mutuel entre les personnes, et de la francophonie ». C’est pourquoi les responsables libanais espèrent que la France s’investira davantage dans la défense des droits des établissements chrétiens de la région, ce que préconise le rapport du haut fonctionnaire Charles Personnaz, remis en octobre 2018 à Emmanuel Macron.

L’enseignement catholique français a aussi à cœur de soutenir son homologue libanais et les liens, déjà étroits, se sont encore resserrés. Il existait depuis de nombreuses années des échanges entre enseignants, chefs d’établisse- ment, formateurs... dans les deux sens car les Libanais ont beaucoup à apprendre aux Français, notamment en matière de dialogue interculturel et interreligieux. Un pas nouveau a été franchi en décembre dernier : le bureau pédagogique du Sgec-L est venu découvrir la formation délivrée par l’École des cadres missionnés de Montrouge (92). Avec un objectif : préparer à terme les chefs d’établissement laïcs à prendre la relève des religieux. Cette semaine d’étude avait été précédée en juin 2018 d’une rencontre à Paris, organisée par le département Relations internationales du Sgec, sur le thème de la mission des laïcs, destinée aux représentants de l’enseignement catholique d’Égypte, de Terre Sainte, de Jordanie... et du Liban qui avait envoyé huit personnes. « Cette nouvelle loi avec les six échelons met en danger les écoles catholiques, surtout celles qui ont moins de 500 élèves, conclut le père Boutros Azar. Elle fragilise le tissu social mixte du pays et compromet la mission de l’Église, qui est de diffuser non seulement du savoir mais aussi des valeurs spirituelles, patriotiques et humaines. En définitive, les écoles catholiques risquent de devenir des écoles de riches au lieu d’être au service de tout le peuple de Dieu ».

 

Le système éducatif libanais

Il comprend des écoles publiques (qui accueillent 80 % d’enfants libanais et 20 % d’enfants étrangers, notamment des réfugiés syriens) et des écoles privées. Ces dernières sont de deux sortes:
Les premières sont semi- gratuites, le ministère de l’Éducation nationale devant payer une part des frais de scolarité (les parents devraient avoir à charge environ 50 % de l’écolage), mais l’État n’a rien versé depuis 4 ans.
Les secondes sont entièrement payantes avec des frais de scolarité qui peuvent aller jusqu’à 15 000 dollars par an dans des écoles non catholiques.

Le privé comprend : l’enseignement catholique (avec du semi-gratuit et du payant), des écoles confessionnelles non catholiques, des écoles non confessionnelles, des établissements gérés par des particuliers. Enfin, le Liban compte 1 100 000 élèves (public et privé): 90 000 élèves sont scolarisés dans l’enseignement catholique où les frais de scolarité sont en moyenne de 3 500 dollars par an. Ce réseau possède 332 écoles (dont 90 semi-gratuites) et salarie 17 000 enseignants. Contrairement aux écoles musulmanes, les écoles catholiques accueillent des jeunes de toutes les religions (27 % de non chrétiens).

Le pays des Cèdres gémit…
qui entendra son cri ?

L'appel de Soeur Myrna Farah,
directrice de l’institution Besançon – Sainte-Anne, à Beyrouth. 

 

L’histoire biblique est significative… Les 7 années de grâces suivies de sept années de sécheresse sont-elles une prédiction de la situation financière libanaise ? Le miracle financier libanais -longtemps flatté par les économistes- s’est effondré à une vitesse vertigineuse jusqu'au point où nous n'arrivons plus à assimiler les malheurs qui nous foudroient impitoyablement sans distinguer entre riche et pauvre…

En l'espace de quelques mois, les libanais ont vu leur espoir sombrer dans la déception à cause d’une classe dirigeante corrompue et apparemment autiste ; Les politiciens font fi des réclamations du peuple et protègent minutieusement leurs prérogatives. Depuis le 17 octobre 2019, soixante-deux milles libanais (majoritairement des jeunes de moins de 35 ans) ont choisi librement de s’exiler et de quitter le pays des Cèdres, « terre où ruissellent le lait et le miel » selon l’expression du livre de l’Exode.

Nos Ecoles Catholiques ne sont pas épargnées, elles sont même dans l’œil du cyclone ! Les parents qui sont partiellement au chômage, ou qui ont été complètement licenciés de leur travail, n’ont pas la possibilité de payer les frais des scolarités, du coup, les directions se trouvent devant une impasse financière : comment payer les salaires des enseignants et assurer les frais du fonctionnement ? (surtout que l’Etat ne subventionne nullement le secteur privé). Heureusement, jusqu’à présent les Ordres et Congrégations soutiennent leurs écoles respectives.

Il est vrai que notre tableau est désolant, que dans notre horizon ne figure pas un redressement économique ou un dénouement politique de la situation dans les jours qui viennent... Toutefois, nous essayons d’entretenir « la mèche vacillante qui fume », de soutenir nos concitoyens et d’aller de l’avant en comptant sur la Grâce du très-Haut qui ne déçoit jamais et en vivant une solidarité sociale édifiante… Des initiatives fusent sur les réseaux sociaux, lancées par des jeunes, des gens modestes, des militants pour les droits de l’homme... Ces gestes de fraternité ressemblent aux « deux piécettes de la veuve », ils ne font pas de bruit médiatique, mais retracent un sourire d’espérance sur le visage d’une population brusquement ruinée économiquement !

Sr Myrna Farah, sdc

 

Article tiré du
n° 390 de la Revue ECA,
Enseignement catholique actualités

 

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