Mis à jour le : 22 septembre 2016 / Publié le : 1 août 2016

L’école inclusive, selon Charles Gardou

Charles Gardou, professeur d’anthropologie à l'Université Lumière Lyon 2 et spécialiste du handicap
Charles Gardou, professeur d’anthropologie à l'Université Lumière Lyon 2 et spécialiste du handicap. © Erès

Charles Gardou, professeur d’anthropologie à l'Université Lumière Lyon 2 et spécialiste du handicap consacre ses travaux à la diversité humaine, à la vulnérabilité et à leurs multiples expressions. Il vient d’obtenir l'engagement de la Ville de Paris à soutenir toute initiative commémorative rendant hommage aux 45.000 malades mentaux morts de faim, victimes du coupable abandon de la France de Vichy… Ses nombreux ouvrages posent la question du rapport de nos sociétés au handicap et proposent des pistes pour améliorer la qualité de la scolarisation des élèves en situation de handicap.

Quelles sont les marges d’amélioration pour l’école inclusive ?

Charles Gardou : La bonne volonté des acteurs demande à être étayée par une formation initiale et continue réellement élaborée. C’est ce l’on attend des Espé. La simple sensibilisation ne suffit pas. À partir d’un travail de recensement des pratiques de formation et des besoins, je propose, dans la conclusion d’un récent ouvrage (1), de concevoir une matrice formative, composée d’un tronc commun interprofessionnel et d’arborescences par branches d’activités. Je préconise aussi un serment éthique, sur le modèle du serment d’Hippocrate, qui signifie clairement l’engagement de l’ensemble des membres du système éducatif à prendre en compte la question du handicap.

 

Que pensez-vous du rapprochement engagé entre l’Éducation nationale et la sphère médico-sociale ?

C. G. : Remettre le handicap, cette forme de fragilité humaine, dans l’ordinaire de la vie, c’est se départir d’une visée séparative qui a présidé à la construction de deux filières distinctes. L’école ne juge pas irréaliste un changement profond de l’ordre établi qui passe par un effort de personnalisation des projets, mais c’est un cheminement au long cours. Le secteur médico-social, lui, se sent sans doute encore menacé en termes de reconnaissance de ses apports. Il s’agit de déclore des territoires que l’on croyait impartageables. Ce processus de flux et d’échanges passe notamment par des formations conjointes qui contribueront à créer une culture en commun. Il est encourageant de constater qu’à l’échelle européenne, ce mouvement de décloisonnement est entamé, et transforme de proche en proche les établissements spécialisés en centres d’appui à l’école.

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Les dispositifs inclusifs de type Ulis sont-ils amenés à disparaître ?

C. G. : L’exemple de l’Italie, qui a opté pour la scolarisation des élèves en situation de handicap dans le milieu ordinaire en 1977, montre qu’il est possible de sortir du particularisme de dispositifs, encore nécessaires aujourd’hui, même s’ils ont déjà évolué vers plus d’ouverture et de circulation. Là encore, c’est à partir de la formation que pourront se développer des interactions entre des espaces et des temporalités encore séparés. Mais il importe bien sûr de donner à l’école inclusive les moyens de ses ambitions. Il y a, par exemple, à s’interroger sur les effectifs des classes accueillant des élèves en situation de handicap. Autre piste à étudier : la co-intervention sur laquelle repose le modèle italien où les classes fonctionnent avec l’appui d’un professeur de soutien et d’un accompagnant de vie scolaire.

Vous paraît-il pertinent que les savoirs sur le handicap, les notions de norme et de diversité, soient introduits dans les savoirs scolaires ?

C. G. : Veillons à ne pas considérer les enfants en situation de handicap comme des moyens de thérapie pour les autres. Ce serait une forme d’instrumentalisation à nouveau ségrégative. C’est le croisement de la diversité des silhouettes enfantines, de tous les milieux sociaux et cultures, avec leurs forces et fragilités, qui constitue en soi un apprentissage sur leur humanité commune, sur la vulnérabilité universelle. Le handicap est l’un de ses visages : il n’y a lieu ni de le tenir à l’écart ni le mettre trop en avant.

(1). Charles Gardou et des spécialistes de 24 disciplines, Handicap, une encyclopédie des savoirs, Érès, 472 pages, 2014.


eca364Issu du magazine Enseignement catholique actualités n° 364, décembre 2014 - janvier 2015

 

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