Mis à jour le : 25 avril 2017 / Publié le : 10 mars 2017

Le lycée pro, à la croisée des chemins

 

La réforme du bac professionnel aurait-elle changé la donne au sein de la voie professionnelle mais aussi du lycée dans son ensemble ? C’est l’analyse de Vincent Troger, chercheur au Cren (Centre de recherches en éducation de Nantes) qui identifie de nouveaux défis décisifs pour les établissements et leurs équipes.

Propos recueillis par Aurélie Sobocinski

 

Quels ont été les effets du passage du bac pro de 4 à 3 ans?

Vincent Troger : Le premier constat global, c’est que l’enseignement professionnel ne se porte pas trop mal. La réforme a été un succès dans la mesure où les élèves qui entrent dans la voie professionnelle aujourd’hui arrivent pour plus de la moitié d’entre eux (59%) avec un projet d’études post-bac et pour 35% le concrétisent. Ce désenclavement de l’enseignement professionnel était l’un des objectifs phare de la réforme. Pour ces élèves qui, quels que soient leurs résultats antérieurs au collège, manifestent tous une grande lassitude à l’égard de l’enseignement général, mais dont les familles les poussent à continuer des études pour échapper aux risques de précarité sociale, le bac pro apparaît comme un bon compromis.

 

Vous dites pourtant que cette réforme a introduit un nouveau clivage problématique parmi ses publics…

V. T. : Comme toujours dans l’enseignement professionnel, il faut se méfier des constats globaux : la réussite est très conditionnée par les filières. Environ 20% des élèves, inscrits essentiellement dans les bacs pro du secteur industriel parviennent facilement à poursuivre leurs études en BTS, où ils sont rapidement opérationnels et réussissent. Pour eux c’est une réelle ouverture, une filière de promotion qui modifie le rôle de l’enseignement professionnel. D’autres, après leurs 3 années de bac vivent un véritable déclic de maturation et envisagent directement de chercher du travail. A l’inverse, ceux qui ont plus de difficultés sont principalement les élèves en bac pro tertiaire –à l’exception notables des filières sanitaires et sociales-, où, une fois admis en BTS ils se trouvent noyés dans des effectifs pléthoriques et en concurrence avec les bacs généraux et STMG. Enfin, il y a ceux -20% environ- qui n’obtiennent pas le bac et/ou décrochent, fragilisés par un temps de formation trop court, par la disparition progressive du BEP qui ne constitue plus un filet de sécurité comme c’était le cas auparavant, et par a marginalisation accrue du CAP.

 

Quelles priorités identifiez-vous pour améliorer la réussite de tous ?

V. T. : La nécessité de les accompagner d’abord ! Ces élèves, qui appartiennent majoritairement à des familles modestes, sont des « étapistes » : pour eux c’est une étape après l’autre, ils ont du mal à se projeter dans un avenir à long terme et ont besoin des profs pour les y aider! Si l’on veut aussi que le choix du lycée pro soit plus opérationnel, moins par défaut qu’il ne le reste encore parfois, cela suppose de tenir compte d’un public beaucoup plus contrasté qu’il ne l’était autrefois et de proposer une personnalisation accrue du travail des élèves par des systèmes de progression et de soutien différenciés (TD libres, plates-formes de travail en ligne…). De la même manière, il faudrait pouvoir aller vers une plus grande modularisation et assouplir les parcours bac-3/bac+3 en proposant à ceux qui en besoin de faire le bac en 4 ans, ou encore à ceux qui le souhaitent de suivre une année d’adaptation aux BTS, ce qui nécessite une réorganisation des établissements avec une coordination beaucoup plus systématique et de considérer dans ce cadre l’évolution profonde du métier enseignant.

 

Vous appelez aussi à travailler davantage la relation aux entreprises…

V. T. : C’est le sujet le plus sensible : en France il n’y a pas de tradition d’accueil des élèves dans l’entreprise par de véritables formateurs. De ce point de vue la comparaison avec l’Allemagne est édifiante ! La plus grande jeunesse des élèves en bac pro ajoute à ce problème de formation, notamment en termes d’accès aux stages en entreprise. Or un stage qui se passe mal pénalise l’élève et le fait souvent basculer dans un rapport négatif à sa spécialité, d’où un travail de proximité essentiel à réaliser. Une solution pourrait être un fonds financé par les entreprises ou via la taxe d’apprentissage dont une partie serait consacrée à la formation de leurs salariés au tutorat des élèves. Autre axe : le développement de la formation en alternance, plébiscitée par de plus en plus de jeunes. Il faut aller de plus en plus vers des lycées formateurs tout au long de la vie offrant des passerelles entre formation initiale, apprentissage et formation continue pour créer un véritable continuum.

 

Le transfert de la formation professionnelle aux régions peut-il répondre à ces besoins ?


V. T. :
Il peut améliorer la situation en permettant de mutualiser des moyens entre CFA et bacs pro –ce qui serait un progrès évident vers des parcours de formation plus souples, en s’appuyant à la fois sur les ressources régionales mais en prévoyant aussi des moyens –de la formation à distance par exemple- pour que les gens ayant d’autres projets puissent les réaliser. Dans cette optique, un dispositif de régulation doit également être mis en place pour pallier la question des inégalités régionales. Il ne faudrait pas oublier que si, historiquement, l’enseignement professionnel a été créé au niveau national, c’était pour répondre à la mobilité de la main d’œuvre.

 

Cette régionalisation ne risque-t-elle pas de mettre à mal les lycées polyvalents ?

V. T. : Effectivement, si on ne délègue que la formation professionnelle aux régions, cela pose problème pour la gestion de la formation en leur sein. On est à la croisée des chemins. Soit on assume qu’il existe grosso modo deux voies –celle générale et celle professionnelle- que l’on différencie. Soit on absorbe une partie de l’enseignement professionnel dans des filières générales à tendance professionnelle. Mais face à un système excessivement centralisé et exclusivement gestionnaire des flux et des coûts, on ne peut plus rester dans le compromis.

À lire:

Vincent Troger, Pierre Yves Bernard et James Masy,
Le baccalauréat professionnel:
impasse ou nouvelle chance ?
PUF, 2016.

Article issu du numéro 378 du magazine Enseignement catholique actualités, qui consacre son dossier au lycée professionnel.

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