Mis à jour le : 2 mars 2022 / Publié le : 11 janvier 2021
Loi « séparatisme » : Philippe Delorme sceptique Ouest-France
Débattu en commission à l'Assemblée nationale à partir du 18 janvier, le projet de loi confortant les principes républicains, initialement appelé "séparatiste" inquiète l'Enseignement catholique.
Philippe Delorme, secrétaire général de l'enseignement catholique fait part de sa circonspection dans la presse, dans des entretiens accordés respectivement au journal Ouest France et au journal La Croix.
Projet de loi « séparatisme » : L’enseignement catholique est sceptique (Ouest France)
Le projet de loi « confortant les principes républicains » arrive à l’Assemblée, ce lundi 18 janvier, devant les députés en commission spéciale. L’enseignement catholique se dit « sceptique »: son secrétaire général, Philippe Delorme juge le texte « trop répressif », à l’instar de la Défenseure des droits, Claire Hédon. Entretien avec Ouest-France
Que pensez-vous du projet de loi « confortant les principes républicains » ?
Nous l’accueillons avec scepticisme et interrogation. Il y a une volonté de lutter contre celles et ceux qui voudraient s’éloigner des valeurs de la République, à laquelle nous ne pouvons que souscrire. Mais nous ne sommes pas convaincus par le texte. Comme la Défenseure des droits, nous le jugeons trop répressif. Sa tonalité ne va pas dans le sens d’une plus grande fraternité, qui conforterait les lois de la République.
Concernant l’enseignement, quelles sont vos craintes ?
Dès lors qu’on touche à certains principes, comme la liberté d’enseignement, cela a des répercussions. Soumettre l’instruction en famille à une autorisation préalable est une entrave à la liberté de choix. Une famille qui souhaite instruire un enfant à domicile pourrait tout à fait être inscrite en même temps dans un établissement de référence, qui exercerait un contrôle a posteriori. Cela conjuguerait la liberté des familles et le droit à l’éducation des enfants.
Avez-vous reçu des garanties concernant l’application de l’article 1?
Nous avons demandé que soit précisé le champ d’application de cet article qui porte sur l’extension des principes de neutralité de l’État et de laïcité aux organismes privés « concessionnaires, délégataires et prestataires ». La loi Debré de 1959 reconnaît en effet le projet éducatif spécifique des établissements privés sous contrat qui assurent une mission de service public. Le projet de loi dans sa forme actuelle ne remet pas en cause cet équilibre. Nous avons eu des garanties du ministre et du président de l’Assemblée nationale. Mais nous ne sommes pas à l’abri d’un amendement.
L'Enseignement catholique,
soucieux de la liberté d'enseignement
Le volet éducation du projet de loi visant à conforter le respect des principes de la République, présenté en Conseil des ministres le 9 décembre dernier, suscite l’inquiétude de l’enseignement catholique.
Sans contester le danger de certaines « velléités communautaristes » ni l’importance d'un socle commun à tous les jeunes de notre pays, l'Enseignement catholique juge regrettable de restreindre la variété des projets pédagogiques spécifiques, pourtant gage de pluralisme et de liberté de conscience. Et ce d'autant plus quand on substitue au régime déclaratif contrôlé existant aujourd'hui en matière d'enseignement un régime d’autorisation administrative.
Cantonner la possibilité d’instruction en famille aux seuls cas dérogatoires énumérés par la loi (impératifs de santé, pratique sportive ou artistique intensive, itinérance des parents ou la très floue « situation particulière propre à l’enfant ») pose en outre la question de la confiance faite aux parents et de l’interprétation, possiblement arbitraire, qui en sera donnée.
Par ailleurs, l’enseignement catholique demande à ce que le législateur reconnaisse explicitement que ses établissements ne sont pas concernés par l’extension des principes de neutralité aux organismes privés exécutant une mission de service public, la loi Debré de 1959 ayant inscrit dans le marbre « leur caractère propre » et donc leur non neutralité.
Projet de loi « séparatisme » :
L’enseignement catholique est circonspect (La Croix)
Propos recueillis par Denis Peiron
www.lacroix.fr
Comment accueillez-vous le projet de loi confortant les principes républicains ?
Philippe Delorme : Avec circonspection. Nous ne nions pas les difficultés engendrées par la montée d’une forme de « séparatisme » et de « communautarisme ». Mais l’esprit de ce texte est préoccupant. L’État donne l’impression de vouloir prendre entièrement en charge l’éducation et reléguer les parents au second plan. Des parents qui, à nos yeux, doivent demeurer les premiers éducateurs de leurs enfants. En soumettant l’instruction à domicile à une autorisation préalable, à titre exceptionnel, là où jusqu’ici suffisait une simple déclaration, on remet en cause la liberté de choix. La loi « séparatisme » aboutit ainsi à une privation de liberté.
Que redoutez-vous ?
Philippe Delorme : Que ces autorisations relèvent d’une forme d’arbitraire. Même chose concernant le contrôle renforcé des établissements privés hors contrat. Le projet de loi prévoit la possibilité d’une fermeture administrative (sans saisine du procureur, NDLR)si les enfants sont en danger, ce qui est souhaitable. Mais il faut qu’une telle mesure s’applique suivant des critères précis.
Ces craintes ne concernent pas vos établissements…
Philippe Delorme : Ce n’est pas si simple. Car la liberté d’enseignement, qui fait partie du bloc de constitutionnalité, est un tout. Ses différentes modalités (liberté de choix éducatif des familles, liberté de fonder une école, liberté de développer un projet pédagogique spécifique, etc.) font système. Et toucher à certaines d’entre elles a un impact sur les autres.
Par ailleurs, nous demandons que soit clarifié le champ d’application de l’article 1er du projet de loi portant sur l’extension des principes de neutralité de l’État et de laïcité aux organismes privés « concessionnaires, délégataires et prestataires » du service public. Les principes de la loi Debré de 1959, repris dans le code de l’éducation, prévoient que les établissements privés sous contrat contribuent à une mission de service public en proposant un projet éducatif spécifique, reconnu comme leur caractère propre. Le projet de loi, dans sa forme actuelle, ne remet pas en cause cet équilibre. Mais nous ne voudrions pas que, à la faveur d’un amendement parlementaire, on cherche à étendre à l’enseignement catholique le principe de neutralité de l’État. Nos enseignants bénéficient bien sûr d’une liberté de conscience mais ils doivent a minima accepter le caractère propre de leur établissement. On ne peut pas exiger de nos agents une neutralité.
Qu’attendez-vous du débat parlementaire ?
Philippe Delorme : Qu’il vienne clarifier et border le champ d’application de ce texte. Le projet de loi et les déclarations qui l’accompagnent relèvent d’une mauvaise lecture de la laïcité. Dire, comme on l’entend, qu’une fois franchie la porte de l’école l’enfant doit oublier les convictions qui s’expriment à la maison est absurde. Car la fraternité, c’est la différence. Et permettre aux jeunes de se rencontrer et de se comprendre dans leurs différences, c’est la meilleure façon de contribuer à une société plus apaisée, plus fraternelle.