Mis à jour le : 3 mai 2024 / Publié le : 23 septembre 2019
Enseigner autrement la Shoah
Alors que les derniers témoins de la Shoah qui intervenaient dans les classes disparaissent, il devient urgent d’aborder le sujet autrement. C’est ce que propose le projet européen « Convoi 77 » qui invite les élèves à reconstituer la vie d’un déporté de ce convoi, parti pour Auschwitz à la fin de la guerre.
Sylvie Horguelin
Le 31 juillet 1944, un convoi quitte le camp d’internement de Drancy pour celui d’extermination d’Auschwitz. À son bord, entassés dans des wagons à bestiaux : 1 310 femmes, hommes et enfants issus de 32 pays différents et vivant en France. Il s’agit du convoi n° 77, pour la comptabilité nazie. « Le 77 est le dernier grand convoi à partir, trois semaines avant la libération de Paris. Il comprend 324 enfants, raflés en urgence dans les orphelinats de la banlieue parisienne, à la demande du commandant du camp, Alois Brunner », précise Georges Mayer, consul honoraire de France pour le sud d’Israël. Son père, déporté dans ce convoi, fut l’un des rares rescapés.
En sa mémoire et celle de ses compagnons d’infortune, Georges Mayer a créé en 2015 Convoi 77. Cette association qui rassemble des familles et amis des victimes de ce convoi veut continuer à transmettre la mémoire de la Shoah après la disparition des derniers survivants.
Comment ? Par des actions pédagogiques qui permettent la prise de conscience des processus ayant conduit à la Solution finale, à travers la reconstitution de l’histoire personnelle de chacun des déportés. « En tentant de reconstituer le destin d’une personne qui est née ou qui a habité là où ils vivent aujourd’hui, les élèves apprennent l’Histoire dans la proximité. Au rythme de leurs découvertes, ils sont amenés à réfléchir à ce qu’il s’est passé dans leur ville ou leur quartier. Les enseignants les accompagnent, mais ce sont eux qui mènent l’enquête », explique Georges Mayer.
La Shoah au programme
Habilité par le ministère de l’Éducation nationale et subventionné par l’Union européenne, la Dilcrah (Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’anti- sémitisme et la haine anti-LGBT), le ministère des Armées, la Ville de Paris et la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, ce projet européen s’adresse aux enseignants en collège (classes de 3e) ou en lycée, qui exercent dans un établissement proche du lieu de naissance ou de résidence d’un déporté du convoi 77. La recherche peut être menée avec une classe – la Shoah est au programme de 3e et de 1re – ou avec quelques élèves. « 162 biographies sont en cours (dans 86 établissements), dont 120 par des classes françaises », détaille Amos Benezra, 19 ans. Cet ancien élève du Sacré-Cœur d’Aix-en- Provence (13), en 1re année à Sciences Po Paris l’an dernier, était chargé avec deux autres étudiants de contacter des enseignants susceptibles de participer au projet : professeurs d’histoire, de lettres, d’art, documentalistes...
Dans l’enseignement catholique, « Convoi 77 » reste de fait peu connu. Seuls trois établissements y participaient l’an dernier : le Sacré-Cœur à Aix-en-Provence, La Salle – Saint-Charles à La Réunion, et Notre-Dame-des-Missions à Charenton (94).
« C’est un petit projet qui fait beaucoup grandir », constate Amos Benezra, admiratif devant les biographies de déportés, expositions, pièces de théâtre réalisées par les élèves, « y compris dans des endroits chauds où l’antisémitisme se développe ». Encadrés par des enseignants motivés, les jeunes se forment par ce biais à la recherche historique, à l’écriture biographique et à différentes formes et techniques de narration : travail avec des archives, interviews de témoins, manipulation de caméra, montage vidéo...
Le projet offre en outre une ouverture à l’international, la plateforme eTwinning France permettant aux enseignants français de contacter des professeurs d’autres pays européens pour rédiger ensemble une biographie. L’association, quant à elle, propose à l’établissement qui s’inscrit sur son site, le nom d’une personne déportée, des documents la concernant, et des outils pédagogiques. Une aide dont Laurence Krongelb, professeur d’histoire-géographie et éducation morale et civique (EMC) au collège- lycée Notre-Dame-des-Missions (1 200 élèves), à Charenton (94), n’a pas eu besoin.
Arrêtée par la Gestapo
Cette enseignante passionnée a proposé, l’an dernier à ses 2des de reconstituer la vie d’Yvette Lévy, née Dreyfuss, ancienne déportée du convoi 77... qui venait déjà témoigner dans l’établissement. Cette grande dame, plusieurs fois décorée, a fourni aux élèves des documents personnels, après leur avoir raconté son histoire. Arrêtée par la Gestapo dans la nuit du 21 juillet 1944, à Paris, avec les enfants de la maison de l’Union générale des Israélites de France (Ugif) de la rue Vauquelin, elle a été internée au camp de Drancy, puis déportée avant de rentrer en France en mai 1945.
Rédigée par Camille et Caroline, en 2de, et leur professeur, sa biographie sera mise en ligne courant septembre sur le site de Convoi 77. « En 3e, on avait étudié la Deuxième Guerre mondiale, mais plonger dans la vie d’une personne est beaucoup plus intéressant. J’ai été très émue par son témoignage », confie Camille. Dans ce même établissement, le professeur d’histoire-géographie
Guillaume Desrosiers s’est lancé lui aussi l’an dernier. Il a débuté une enquête avec ses 1res sur Albert Broïdo, un autre déporté du convoi 77, à la demande de sa fille rencontrée dans un car affrété par le Mémorial de la Shoah pour visiter Drancy. Ces deux enseignants sont assurés du soutien indéfectible du chef d’établissement, Philippe Vella, qui a déjà accompagné des élèves à Auschwitz.
D’autres établissements catholiques devraient les rejoindre, ce projet contribuant à lutter efficacement contre le racisme et l’antisémitisme. Une priorité identifiée par le ministère de l’Éducation nationale, alarmé par l’augmentation des actes antisémites et racistes en France. Preuve en est le mémento très complet mis en ligne sur son site qui recense d’autres ressources pédagogiques possibles.