Mis à jour le : 20 mars 2017 / Publié le : 25 juillet 2016
« La radio nous apprend l’autonomie et la responsabilité »
Depuis les attentats de janvier 2015, les établissements sont invités par le ministère de l’Éducation nationale à créer leur propre journal, radio ou blog. De jeunes animateurs de Radio Temps Rodez témoignent des bénéfices de ces pratiques journalistiques.
Par Virginie Leray
À Radio Temps Rodez (RTR), c’est la Semaine de la presse toute l’année ! Une demi-douzaine d’animateurs en herbe y réalisent trois émissions d’actualité et de culture hebdomadaires, diffusées sur 107 FM. Née en 2002, au lycée Louis-Querbes, à Rodez (Aveyron), sous l’impulsion de l’ancien directeur Pierre-Étienne Vanpouille, la petite radio scolaire a obtenu du CSA une fréquence permanente qui l’a consacrée comme radio sociale de proximité. Avec 4 000 auditeurs quotidiens, Jean-Pierre Alexandre, directeur des programmes et transfuge de France Culture, soumet ses jeunes animateurs à une forte exigence de professionnalisme. Ces lycéens, voire collégiens, viennent d’établissement différents situés autour de Rodez. Ils ont été repérés à l’occasion d’ateliers radiophoniques d’établissements privés et publics, menés en partenariat avec RTR. « Mais gare au mélange des genres : je ne suis pas prof de radio ! prévient Jean-Pierre Alexandre qui n’ouvre son antenne qu’à des projets d’élèves ou de classes de qualité. « Ici, ce n’est pas un cours… On fait de l’éducation citoyenne sans le savoir : les jeunes connaissent leurs élus, leur environnement local, respectent les règles du vivre ensemble, éveillent leur esprit critique… »
Lien social de proximité
« Éduquer aux médias en acte », comme y incite le Clemi depuis les années 1980, c’est tout à la fois ouvrir aux jeunes des espaces d’expression et leur permettre de s’interroger sur les enjeux de cette liberté. Une pratique amenée à se systématiser, après les attentats de janvier 2015, et le vœu du ministère de l’Éducation de voir chaque collège et lycée créer son média. Pour lancer leur web-radio et diffuser certains programmes sur les ondes, les établissements pourront s’appuyer sur l’expertise des 600 radios associatives de France, dont la moitié s’implique déjà dans la Semaine de la presse à l’école. Au service du lien social de proximité, les collaborations entre radios associatives et école ont toute leur pertinence. C’est ce qu’a expliqué Éric Lucas, responsable éducation du syndicat des radios libres, au micro de RTR, le 21 mars dernier, lors d’une des nombreuses émissions que l’antenne consacre aux questions éducatives (cf. Savoir plus) : « Radio associatives et médias scolaires se rejoignent en ce qu’ils ont vocation à donner la parole à ceux qui en sont dépossédés. Maintenant, généraliser des collaborations nécessite des moyens humains et financiers. » Et Éric Lucas, par ailleurs enseignant et directeur de Fréquence Sillé, autre radio en milieu scolaire basée au lycée Paul-Scarron (Sarthe) depuis 1991, mesure bien le potentiel pédagogique de la radio: « Au-delà des multiples applications possibles, cette pratique enrichit la relation prof-élèves d’une dimension d’entraide, de confiance. Elle ouvre aussi des perspectives, par exemple lorsque des lycéens couvrent des manifestations locales ou co-animent un genre de duplex radiophonique régulier avec des élèves du Burundi… »
Pierre-Étienne Vanpouille, qui animait l’émission du 21 mars veut croire que les radios scolaires feront bientôt partie intégrante du paysage éducatif français, à l’image de ce qui se pratique aux États-Unis ou dans les pays nordiques : « La radio présente le gros avantage de motiver les élèves les moins scolaires. En même temps, elle est en train de conquérir ses lettres de noblesses : l’Institut catholique de Lille accepte, par exemple, que les étudiants soutiennent des mémoires radiophoniques.» Affaire de passionnés, la radio pourrait devenir l’affaire de tous les éducateurs. Et apporter un souffle nouveau au petit monde des fréquences non commerciales qui étaient cinq fois plus nombreuses à la fin des années 1980.
L’antenne est à eux
« L’école bousculée », c’est le titre des deux heures d’une émission en direct, enregistrée le 21 mars dernier, dans les locaux montreuillois de l’Ares-formation, association pour la rénovation de l’enseignement scolaire. Avec l’éducation aux médias, il y a été question de laïcité et de liberté de conscience, de formation à la tenue de débats, d’inter-culturalité ou encore d’école bien-traitante. Parmi les intervenants : Marie-Odile Masson, experte en climat scolaire, Jacqueline Luciani, directrice d’un collège sans classe à Marseille, Pauline Nicolas, formatrice de l’Ares au dispositif Alter-égaux, outil idéal pour l’échange de points de vue au service du vivre ensemble. Avec des paroles de jeunes et des témoignages sonores variés, tels que ceux du sociologue François Dubet, du président de L’Observatoire de la laïcité Jean-Louis Bianco ou encore de Claude Berruer, secrétaire général adjoint de l’enseignement catholique. Deux heures d’une réflexion éducative stimulante, à podcaster sur radiotemps.com ou ares.asso.fr.
En direct avec les collégiens et lycéens, animateurs de Radio Temps Rodez
Fabian, en 2de : La radio, ça aide d’abord à gagner en aisance pour s’exprimer. Je lui dois un 38/40 à mon oral d’histoire des arts du brevet des collèges !
Eliot, en 5è : Ça ouvre sur le monde. Ça nous aide à mieux le comprendre. On s’intéresse, on suit l’actualité, on découvre les lieux culturels près de chez nous. Et puis on fait des rencontres. Parfois, ça se passe mal, on se fait jeter, comme moi récemment par Norman, le jeune réalisateur de « Norman fait des vidéos » en tounée à Rodez…
Valentin, en 1re : Quand on arrive à la radio, on se plonge dans les journaux. C’est un rituel. Ça crée une habitude et on se tient aussi informé en dehors.
Eliot : La radio nous apprend l’autonomie et la responsabilité aussi. On est écouté, il faut donner de bonnes informations, respecter les auditeurs. On prépare nos émissions tout seul mais on les soumet avant diffusion. Si on n’a pas respecté les règles, l’émission est déprogrammée ! Et voilà une dizaine d’heures de boulot perdues…
Fabian : On couvre l’actualité mais notre domaine de prédilection, c’est le divertissement, la culture, l’actualité musicale. On ne se sentait pas légitime pour débattre à l’antenne des attentats de janvier. Je me suis contenté de dédier aux victimes Imagine de John Lennon.
Valentin : Concernant les attentats, on s’est tous mobilisés dans nos établissements et tout le monde en parlait tout le temps… pas la peine d’en rajouter à la radio.
Fabian : Et puis, c’est aussi une question de déontologie journalistique : on retransmet le factuel, sans le commenter. Or c’est un sujet dont il est difficile de débattre sans donner son avis. D’ailleurs, c’est aussi compliqué d’en discuter en cours.
Eliot : Chez, nous, il y a eu plusieurs débats sur Charlie sans que cela ne pose problème, en cours de SVT, aussi en arts plastiques, où l’on a étudié la caricature. Au contraire, ça faisait du bien d’en parler…
Valentin : C’est bien que l’école s’ouvre au débat et à de nouvelles pratiques. Mais il y a la contrainte des programmes… du coup, on ne peut pas tout révolutionner non plus. Il faudrait inventer un modèle hybride. Avec des ateliers radio, le recours à des archives sonores en histoire, ce qui aiderait d’ailleurs les élèves qui sont davantage auditifs.
Fabian : Moi, j’apprécie de travailler différemment, comme cette année en français : à la radio on a réalisé des interviews posthumes de grands dramaturges comme Molière ou Racine, mais on a aussi fait du théâtre, de la mise en voix ou de l’écriture poétique. C’est mieux que de passer son temps à prendre des notes de manière passive !
Eliot : C’est moins vrai en 5è. J’aimerais que les cours soient plus ludiques mais il y a quand même des bouffées d’air comme l’atelier radiophonique du collège dont la dernière production était consacrée à l’égalité garçons-filles… On y est toutefois plus encadré que pour nos émissions sur RTR que l’on gère de A à Z et pour lesquelles on se sent davantage libres, responsables et donc impliqués.