Ces structures qui font tomber les murs

Depuis la rentrée 2016, ce collège nantais fonctionne sans classe, sans note et sans sonnerie, pour mieux individualiser les progressions de chaque élève.

 

« On ne vient pas à Saint-Raphaël pour ses locaux mais pour son projet », commente en souriant Viviane Henry, chef d’établissement en pleine visite guidée de son petit collège nantais. Les bâtiments, en attente de grands travaux à venir en 2017-2018, ne paient en effet pas de mine. Pourtant, ce « collège sans classe, sans note et sans sonnerie » depuis la rentrée 2016 n’en finit pas de susciter l’attention. Son organisation avant-gardiste lui a même valu de passer aux JT de TF1 et de France 3. Ici, les 145 élèves se répartissent en pas moins d’une dizaine de groupes de compétences, évolutifs. Cette gestion très individualisée des progressions donne lieu à une quinzaine d’emplois du temps différents, remaniés toutes les six semaines.
Alors que la majorité du monde enseignant hésitait encore entre se conformer ou résister à une réforme du collège redoutée, l’équipe de Saint-Raphaël s’est engagée, avec enthousiasme, dans une révolution systémique bien plus globale et ambitieuse. Peut-être parce que cette volonté de changement radical est née dans l’adversité ? À l’été 2015, le collège qui se préparait, depuis près de cinq ans, à déménager en périphérie voit ses projets contrecarrés.

À défaut, l’équipe décide d’engager le virage d’une pédagogie alternative. Elle a le déclic lorsqu’elle visite deux écoles sans classe de Mayenne, sur le conseil de Christine Fermaut, de la DDEC qui accompagne cette recherche : « La cohésion des personnels de cette petite structure, la cohérence de leur projet, le bien-être des enfants les ont séduits et à partir de là, j’ai senti que Saint-Raphaël se mettait en mouvement… avec une détermination qui lui permettrait de tomber les murs ! » En effet, six mois plus tard, pour la rentrée 2016, les classes du cycle 4 (de la 5è à la 3è) sont éclatées en groupes inter-âges, selon cinq gradations –apprentis, initiés et confirmés maître et experts- au sein desquels s’échelonnent sept niveaux de compétence intermédiaires.
Ce décloisonnement s’opère dans toutes les matières exceptées l’éducation physique et sportive, les disciplines artistiques et l’histoire géographie dont le programme chronologique se prête moins à la diversification des propositions. La classe d’appartenance se retrouve aussi tous les quinze jours autour de son professeur principal pour la vie de classe.

« Les élèves peuvent désormais acquérir les compétences du cycle 4 en deux ou trois années, à leur rythme, ce qui évacue la problématique du redoublement », commente Viviane Henry, convaincue que cette formule de collège à la carte répond aux enjeux éducatifs actuels. Les groupes de besoins, plus homogènes, permettent de faire progresser chaque élève au mieux de son potentiel. En un an, un élève de 5è a ainsi rejoint les groupes initiés composés majoritairement de 4è. Les groupes apprentis, eux, se réduisent au fil de l’année et des progressions ce qui permet de davantage solliciter ces élèves qui, en classe traditionnelle, ne participent pas et peuvent décrocher.
Ce système a aussi été conçu dans le souci de faciliter les seuils et transitions depuis l’école et vers le lycée. Ainsi, en 6e, le décloisonnement n’est introduit que pour les mathématiques et le français, au retour des vacances d’hiver seulement. Des partenariats sont engagés avec des lycées nantais afin de sécuriser les parcours scolaires des familles et mieux préparer l’entrée en seconde.

Les enseignants ont vécu cette année dans une effervescence qui a vu les temps de concertation se multiplier, en conseil pédagogique comme en conseil de direction, notamment à chaque période, lors de la recomposition des groupes. La suppression des notes a ouvert un autre chantier collégial, l’évaluation se pensant désormais de manière transversale.
Ainsi, chaque pôle - scientifique, humanités, documentation, expression artistique et sportive, vie scolaire- s’est doté d’une grille de compétences communes. Chaque discipline élabore ensuite des échelles descriptives détaillant comment les attendus du socle s’y traduisent de manière spécifique. Tout ceci est synthétisé en un bulletin unique pour tout le cycle qui s’enrichit au fur et à mesure des progrès.
« L’évaluation devient bienveillante : elle n’est plus perçue comme une sanction mais comme un curseur. C’est d’ailleurs l’élève qui demande lui-même à se faire évaluer, autant de fois que nécessaire, jusqu’à validation des compétences » analyse Étienne Langlois professeur de technologie qui fait aussi valoir le gain de lisibilité pour les élèves et leurs familles. « On comprend vraiment ce que veulent les enseignants, on avance mieux, et, en cours, on est moins dissipé et on s’ennuie moins ! » confirme Anis qui a atteint le niveau « maître » dans toutes disciplines et s’apprête donc à passer en seconde générale.

Dans un tel système, les enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI) coulent de source : ils offrent de belles opportunité d’évaluation commune et se font tous en co-animation, ainsi d’ailleurs que l’accompagnement personnalisé. Isabelle Dessard, professeur documentaliste, impliquée dans de nombreuses séquences d’EPI et d’AP « où les collègues mettent leur discipline au service de la recherche documentaire ou de la conduite de projet, ce qui n’était pas spontané auparavant. Les évaluations peuvent aussi s’appuyer sur des activités périscolaires comme la réalisation de clips de prévention routière avec le club vidéo. Tout ceci nous amène à un suivi à la fois plus global et plus fin des élèves. »

Logiquement, cette mutation impacte aussi la vie scolaire qui valide des compétences, porte ses propres appréciations sur le bulletin et qui anime plus qu’elle ne surveille une salle de permanence d’ailleurs rebaptisée salle de recherche. « Elle déploie une dimension d’accompagnement nourrie par diverses formations et l’évolution de leur mission, tout comme celle des personnels administratifs, sera reconnue par une reclassification, en cours», détaille Vivianne Henry.
Le bon fonctionnement du collège sans note et sans classe repose aussi sur la responsabilisation d’élèves qui participent à leur évaluation, disposent de davantage de choix dans les propositions qui leur sont faites en cours. Cerise sur le gâteau, un foyer auto-géré par les délégués de 4è et de 3è a été créé cette année. Un nouvel espace qui comme la future salle polyvalente où les parents seront conviés plus fréquemment, matérialise aussi le changement de posture général adopté à Saint-Raphaël.

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