Mis à jour le : 27 juin 2017 / Publié le : 2 mai 2017
Réflexions électorales de Mgr Ricard
En perspective du second tour de l’élection présidentielle 2017 et des législatives, les évêques de France prennent la parole.
Mgr Jean-Pierre Ricard, archevêque de Bordeaux, évêque de Bazas,
livre quelques réflexions sur la situation politique actuelle et le discernement des catholiques.
La situation est aujourd’hui inédite et déroute un certain nombre de catholiques.
Jusqu’à présent, nous assistions à une polarisation droite-gauche. Il fallait choisir entre des partis politiques qui faisaient partie du paysage politique depuis longtemps. On votait pour les candidats qui étaient proposés par ces partis et on leur accordait, puisqu’ils étaient désignés, assez facilement la confiance, même si on a toujours su qu’il y avait une marge entre l’énoncé d’un programme et sa réalisation.
Or, aujourd’hui, cette opposition droite-gauche n’est plus pertinente : la gauche comme la droite se sont divisées. Le phénomène des « primaires », qui donnait l’impression d’un plus grand choix démocratique, a contribué à accentuer la fragmentation. Nous assistons aujourd’hui à une remise en question du « système politique » par les différents candidats. Que personne ne veuille endosser la responsabilité de l’actuel quinquennat en dit long sur ce scepticisme devant les responsables politiques ! On sent une aspiration citoyenne à militer en dehors des partis, quitte à faire alliance avec eux à un moment donné. Certains candidats se présentent « en dehors des partis ». Que les représentants du Parti Socialiste et des Républicains aient été éliminés du deuxième tour de la présidentielle est révélateur des évolutions actuelles.
La propension de certains médias à mettre en avant les attaques sur la personnalité des candidats a entraîné une perte de confiance dans les élus. Les jugements à l’emporte-pièce, les attaques personnelles, les simplismes auxquels nous pouvons participer ne favorisent pas de vrais débats ni de vrais choix.
Devant cette situation, quels repères se donner ?
Le vote est un élément constitutif de la vie démocratique. Il est un droit pour les citoyens et un devoir pour les chrétiens, même si, parfois, le choix s’avère difficile. Lorsque l’abstention devient le premier parti de France, la démocratie est malade, car la porte est alors ouverte à toutes les aventures, y compris les plus extrêmes.
Il ne faut pas attendre le candidat idéal ou l’homme providentiel pour aller voter. Aucun parti, aucun programme, aucun candidat ne peut dire qu’il incarne à lui seul l’idéal évangélique. Chacun propose une analyse particulière de la situation présente et élabore un programme. Il faut procéder à un discernement pour voir le programme qui nous paraît le plus proche de nos convictions et le candidat qui sera le plus apte à le mettre en œuvre.
Nous avons donc une réflexion à faire en vue d’un choix et d’une option de vote. Cette réflexion implique :
- Une étude des programmes et de leur faisabilité.
- Une appréciation des personnes.
- Une distance par rapport à l’événementiel et aux polémiques.
- Une distance vis-à-vis du conditionnement de l’opinion par les sondages.
Les chrétiens ont à faire personnellement des choix mais l’Église, comme communauté des chrétiens, n’a pas à être force d’appoint en faveur de tel ou tel candidat. Elle a une autre ambition. Elle est porteuse d’un projet global qui concerne l’homme et la société. Ce projet, qui ne se réduit pas à un programme politique, est source d’inspiration, de discernement et d’engagement. Ce dessein ambitieux doit se traduire en engagements et en réalisations pratiques sans pourtant s’y réduire. Le même dessein peut d’ailleurs avoir des traductions politiques différentes. D’où une légitime diversité d’engagements politiques des chrétiens.
Ce projet global nous donne au moins cinq points d’appui pour élaborer notre décision :
1- La recherche du bien commun
Trop souvent les programmes manifestent le choix de répondre aux aspirations d’une partie de la population ou aux revendications de groupes particuliers (tous ceux qui sont vus comme les électeurs privilégiés). Or, il faut chercher ce qui contribue au bien commun, à la consolidation et à l’essor de la société française. On ne gagne rien à être clivant et à opposer une partie du pays à l’autre.
Dans ce souci du bien commun, il y a la recherche du lien citoyen et de la cohésion nationale ; comment aujourd’hui se sent-on français ? Comment entre-t-on dans une histoire nationale qui nous a précédés ? Comment participe-t-on à une aventure collective ouverte sur l’avenir ? Comment les différentes composantes religieuses sont-elles parties prenantes de l’aventure commune ? La question de la citoyenneté et celle de l’unité nationale sont des questions fondamentales. Elles sont à poser dans une dynamique d’accueil, d’intégration et de coopération et non dans celle d’un enfermement et d’un repli sur soi.
3- Le souci de la maison commune
Défendre et respecter notre « mère terre » fait partie des obligations graves qui doivent se traduire par des choix politiques courageux. Il faut s’interroger sur nos modes de vie : production, consommation, énergie, alimentation, transport : « L’heure est venue d’accepter une certaine décroissance dans quelques parties du monde, mettant à disposition des ressources pour une saine croissance en d’autres parties. Benoît XVI affirmait qu’il est nécessaire que les sociétés technologiquement avancées soient disposées à favoriser des comportements plus sobres, réduisant leurs propres besoins d’énergie et améliorant les conditions de son utilisation » (Pape François Laudato Si, n° 93). L’écologie intégrale est une boussole fiable pour un programme politique en cohérence avec la Doctrine sociale de l’Église.
2- Une véritable solidarité
Il nous faut mettre en œuvre une solidarité efficace entre tous les citoyens. L’action politique doit veiller à instaurer une véritable solidarité, en particulier avec ceux dont la situation est la plus précaire : pauvres, chômeurs, personnes âgées, personnes handicapées, migrants, conditions des détenus. « Négliger les plus fragiles revient à diviser la société. L’État doit donc gérer positivement la tension entre un libéralisme sans contrôle et la sauvegarde des mécanismes de protection sociale » (Communiqué de la Conférence des évêques de France au lendemain du premier tour de l'élection présidentielle). N’oublions pas que l’option préférentielle pour les pauvres est un élément clé de toute action politique chrétienne. Il nous faut repenser une économie qui soit vraiment au service de l’homme. Un des maux politiques actuels est, pour le pape François, la renonciation du politique face aux exigences de l’économie et du marché.
Cette solidarité ne saurait se vivre uniquement à l’intérieur de notre pays. Elle doit se vivre également au niveau planétaire, avec une collaboration avec tous les pays qui vivent aujourd’hui des situations humaines préoccupantes (guerres, famines, sous-développement). Cette collaboration doit être diplomatique, économique et financière. Pour faire face à ces difficultés rencontrées au niveau de la planète, il est important de situer l’Europe comme partenaire privilégié.
C’est dans cette dynamique que la France doit prendre sa part dans l’accueil de migrants économiques et de réfugiés politiques. Cela implique aide aux pays de départ (pour agir sur les causes des migrations), accueil en France et attention aux conditions d’une véritable intégration. Constituer des ghettos de migrants aboutirait à confectionner de véritables bombes sociales pour l’avenir.
4- Le respect de la dignité de la personne humaine
Toute personne humaine créée à l’image de Dieu doit voir sa dignité respectée depuis sa conception jusqu’à sa mort naturelle. Refusant l’avortement et l’euthanasie, l’Église a toujours milité pour le respect de la dignité du plus faible que ce soit l’embryon, le vieillard en fin de vie ou la personne porteuse d’un handicap. Le pape François a souvent dénoncé la « civilisation » du rejet ou du déchet.
La promotion du mariage comme union stable d’un couple composé d’un homme et d’une femme fait partie aussi de ce grand projet ecclésial. Tout enfant a le droit d’avoir un père et une mère. L’adoption plénière par un couple de même sexe n’est pas un cadre juridique protecteur pour l’enfant qui a besoin de se savoir issu d’un père et d’une mère.
Un soutien résolu doit être apporté à une véritable politique familiale, vu l’importance de la famille comme cellule de base de la société.
Au nom de cette dignité de la personne humaine, on doit refuser de traiter l’être humain comme une marchandise. La gestation pour autrui (GPA) doit être fermement condamnée.
Le droit à la liberté de conscience, à la liberté religieuse et à la liberté d’enseigner fait également partie des droits de la personne humaine.
5- Laïcité, neutralité de l’État et pluralisme dans l’espace public
La laïcité se définit essentiellement par la neutralité de l’État, c’est-à-dire la non-inféodation de celui-ci à une conception idéologique, philosophique ou religieuse du monde. Cette neutralité n’implique pas une neutralisation du religieux ou une hostilité vis-à-vis des religions. Il revient, en effet, à l’État de veiller au respect de la liberté de conscience et au libre exercice des cultes. La société, elle n’est pas laïque. Elle est le lieu du pluralisme où les différentes forces sociales (y compris religieuses) sont appelées à vivre ensemble. La laïcité de l’État est un cadre juridique qui doit permettre à tous, croyants de toutes religions et non-croyants, de vivre ensemble. Cela n’implique pas la relégation du religieux de l’espace public vers le seul domaine privé où il devrait rester caché.
Voilà donc un certain nombre de composantes du projet global de l’Église sur la société. On peut le compléter, le détailler, en préciser tel ou tel aspect. Certes, chacun peut être plus particulièrement sensible à une des convictions exprimées (accueil des migrants, politique familiale, écologie…). Mais, il est important de se situer sur cet horizon un peu ample pour procéder à un discernement politique et à un choix au moment du deuxième tour de l’élection présidentielle et des élections législatives qui vont suivre.
L’Église veut apporter sa contribution au débat. Contre toutes les menaces que font peser sur notre société le fatalisme, le pessimisme et le repli sur soi, une parole d’espérance, de confiance et d’engagement fraternel de la part des chrétiens est attendue. Soyons présents au rendez-vous !
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sur le site de la CEF
Bordeaux, le 1er mai 2017
+ Cardinal Jean-Pierre RICARD
Archevêque de Bordeaux
Évêque de Bazas